Accord sur le logement : triste farce… contre le logement social

Accord sur le logement : triste farce… contre le logement social

Le «Protocole d’accord sur le logement» conclu, en
décembre dernier, sous l’égide du conseiller
d’Etat Mark Muller, a été salué par la
presse genevoise comme un grand succès du gouvernement cantonal,
qui aurait réussi l’impossible, à savoir trouver un
compromis entre les milieux immobiliers et les défenseurs du
logement social. Effectivement, la Chambre immobilière et le
conseiller d’Etat libéral Mark Muller peuvent être
satisfaits d’avoir arraché au Rassemblement pour une
politique sociale du logement, qui regroupe notamment les syndicats,
les Verts, le Parti du Travail, les Socialistes, les
Démocrates-chrétiens, Caritas, le Centre social
protestant, une signature qui représente pour les promoteurs
immobiliers la perspective d’affaires en or grâce à
la construction de logements chers et en propriété par
étage.

Capitulation au préjudice du logement social

Une seule organisation membre du Rassemblement s’est
élevée contre la signature de cet accord: il s’agit
de l’ASLOCA, Association genevoise de défense des
locataires, qui regroupe 28 000 membres et constitue la principale
représentante des locataires dans le canton.

L’ASLOCA a bien compris que le Rassemblement avait
lâché la proie pour l‘ombre. En particulier, le
Protocole d’accord détruit avec effet immédiat, la
règle posée depuis 50 ans (!) par le Conseil
d’Etat, prévoyant qu’en zone de développement
les projets de construction de logements doivent porter sur 2/3 de
logements sociaux subventionnés et un tiers de logements
à loyers libres ou en PPE. Le Protocole inverse les proportions
et va même au-delà: seuls 20 % des logements seront
sociaux et 80% pourront être en PPE ou en loyers libres.

Là réside la capitulation majeure des
«défenseurs du logement social» réunis dans
le Rassemblement. Grâce au Protocole, Monsieur Mark Muller a
l’intention maintenant, et sans attendre, d’affecter la
grande majorité des terrains constructibles en zone de
développement à des loyers chers et très
rentables. Un cadeau royal aux milieux immobiliers. Tant pis, pour
l’immense majorité de la population – à
revenus modestes ou moyens – qui n’aura jamais accès
à la location ou à la propriété de ces
logements.

Des engagements et promesses illusoires

Les partis et associations, rassemblés dans cette capitulation
du logement social, prétendent cependant avoir reçu en
compensation un engagement de l’Etat, consistant, dans les 10 ans
à venir, à construire 10 000 logements
d’utilité publique à caractère social, soit
1000 logements de cette catégorie par année.

L’analyse, faite par l’ASLOCA, de cet engagement, conduit
malheureusement à constater que cette promesse ne peut pas
être tenue et qu’elle est donc illusoire.

D’abord, cet engagement, pour être réalisé,
nécessiterait un effort financier bien plus élevé
que les 30 millions par année prévus par le Protocole.
D’ailleurs, il y a quelques années, l’effort
financier de l’Etat de Genève pour le logement social
était de 100 millions par année!

Ensuite, on l’a vu, il ne faut plus compter sur la zone de
développement déjà existante pour y construire du
logement social, puisque le Protocole la destine, très
majoritairement, à la PPE et aux loyers libres. En zone
ordinaire de construction, les possibilités de construction de
logements répondant aux besoins prépondérants de
la population sont pratiquement inexistantes. En effet, en zone
ordinaire de construction, l’Etat ne dispose d’aucun moyen
légal pour obliger les propriétaires à construire
ou à aménager des logements subventionnés.

Déclassements en zone agricole?

Restent les belles promesses du Protocole sur des déclassements
de terrains en zone agricole, qui permettraient de construire un peu
plus de logements sociaux. Mais, entre le moment où un
déclassement est décidé et celui où les
logements sont construits, il s’écoule une période
de gestation de 5 à 10 ans. La promesse de construction de
logements sociaux dans de telles zones potentielles dans les 10 ans
à venir est donc une pure finasserie.
Le destin réservé par le Protocole aux terrains des
«Communaux d’Ambilly», qui sont entièrement
détenus actuellement par des collectivités publiques,
démontre enfin à quel point les signataires ont
sacrifié le logement social. Il est en effet prévu par le
Protocole, pour ce périmètre, que les
collectivités publiques offriraient aux promoteurs privés
le 50 % des terrains pour y réaliser des logements en PPE ou
loyers libres, l’autre moitié étant
consacrée à des logements d’utilité publique
(qui ne seraient pas tous subventionnés). Le protocole gaspille
ainsi une occasion exceptionnelle de créer des logements sociaux
particulièrement nombreux.

Un protocole contre l’intérêt général

Les logements de 4-5 pièces (cuisine comprise) atteignent
aujourd’hui régulièrement des loyers mensuels de
2000 à 3000 Fr. par mois sur le marché libre. De tels
loyers sont inabordables pour l’immense majorité des
ménages. La construction de logements d’utilité
publique, avec des loyers inférieurs à 400 Fr. par
pièce et par mois, est donc un objectif indispensable et surtout
prioritaire.

Le Protocole d’accord va exactement en sens inverse en donnant
une priorité évidente -dans l’immédiat et
à terme- à la construction de logements en PPE. Une
triste farce.

Nils de Dardel