La Cour de justice s’en prend à la liberté d’expression

La Cour de justice s’en prend à la liberté d’expression

A mi-février 2006, nous
dénoncions dans nos colonnes la décision du Tribunal de
1e instance de dissoudre l’association RHINO. Nous relevions que
les droits démocratiques et les libertés publiques
étaient mis à mal dans ce canton. Un an plus tard, la
Cour de justice persiste et signe en entérinant cette
décision. Ceci implique la saisie des fonds de RHINO, la
nomination d’un liquidateur et la perte de la qualité de
personne morale pour l’association, rendant impossible toute
action en justice et toute collecte de fonds. Mais ne tue pas RHINO le
premier chasseur venu: les membres de l’association vont ainsi
continuer à se battre politiquement et juridiquement pour faire
annuler ces décisions des tribunaux et défendre la
liberté d’association. Nous reproduisons ci-dessous le
communiqué de presse de RHINO qui fait suite à la
décision de la Cour (réd.)

Le 15 décembre 2006 , la Cour de Justice du canton de
Genève a prononcé la dissolution de l’association
RHINO, confirmant ainsi un jugement du Tribunal de première
instance.
Il va de soi que l’association RHINO fera recours contre cette
décision devant le Tribunal Fédéral. Cependant, au
vu des considérants de ce jugement et de ses conclusions, nous
nous permettons de vous soumettre ces quelques commentaires.

Le but de l’association RHINO n’est pas et ne sera jamais
d’occuper illégalement des immeubles, mais bien au
contraire de sortir pacifiquement ces immeubles du marché de
l’immobilier par une action politique et juridique. Les moyens
mis en œuvre par l’association, outre l’occupation
tolérée depuis plus de quinze ans, se sont toujours
situés dans le respect des lois. Aujourd’hui, le
propriétaire concerné n’est au
bénéfice d’aucune décision judiciaire
condamnant les occupant-e-s à quitter les locaux.

Comme de nombreuses associations non professionnelles et
professionnelles (les syndicats par exemple), l’association RHINO
a été également formée pour dénoncer
les abus de certains acteurs économiques dans notre
société. Elle a fait la promotion du droit au logement
depuis sa création. Elle a manifesté son opposition aux
conditions scandaleuses du logement à Genève par une mise
en évidence flagrante des agissements crapuleux des
spéculateurs, qui avaient laissé les logements vides
pendant de nombreuses années.

L’action de l’association RHINO s’inscrit
parfaitement dans le mouvement de lutte contre la spéculation
immobilière et pour l’accès de toutes et tous
à un logement à des conditions abordables et
répondant à leurs besoins. Grâce à ce
mouvement, Genève bénéficie maintenant d’un
important dispositif légal de protection des locataires et
d’une réglementation salutaire en matière de
rénovation et de transformation. Le canton dispose aussi
d’une loi autorisant la réquisition de logements
laissés vides sans motifs valable par leurs
propriétaires. Enfin, Genève a inscrit le droit au
logement dans sa Constitution.

La légitimité de l’association RHINO lors de sa
création ne fait donc aucun doute, puisqu’une partie de
nos revendications d’hier se retrouve inscrite dans les lois
d’aujourd’hui: c’est tout ce mécanisme de
l’évolution du droit que la décision de la Cour de
Justice remet en question. D’autre part, en déclarant
illégale l’association RHINO, la justice genevoise
s’en prend à la liberté d’association de
l’ensemble des citoyen-nes.

La liberté d’association est l’un des droits
fondamentaux. S’il est vrai que, pendant les années 1930
à 1945, les autorités suisse, notamment en application du
droit d’exception, ont interdit certains partis ou associations,
plus de 60 ans se sont maintenant écoulés depuis la
montée du nazisme et la Deuxième Guerre mondiale.
L’arrêt de la Cour de justice du 15 décembre 2006
est donc, à notre connaissance, sans précédent
depuis 60 ans. Alors que la liberté d’association est
conçue pour permettre aux minorités de défendre
leurs idées et leurs intérêts, fût-ce contre
l’État et les conceptions dominantes, la Cour de justice a
préféré s’asseoir sur ce grand principe.

Notre recours au Tribunal fédéral concerne celles et ceux
qui sont au front de la lutte pour les droits fondamentaux, individuels
et sociaux. L’occupation de logements, laissés vides
pendant de longues années pour des raisons spéculatives,
constitue une action légitime au même titre que la
grève des salariés est légitime dans les conflits
de travail.

Droits démocratiques en danger

A Genève, il devient de plus en plus dur pour les voix
minoritaires, critiques et alternatives de se faire entendre. Le 11
mars, nous nous prononcerons sur la modification de la Loi concernant
les procédés de réclame, qui vise à
restreindre drastiquement l’affichage libre. En 2005, lorsque
cette loi était examinée en commission du Grand Conseil,
seul solidaritéS s’était opposé à ce
projet. Lors du lancement du référendum, le PS et les
Verts s’étaient illustrés par leur silence et par
leur absence. Changement de cap de dernière minute: ces deux
partis viennent de rejoindre le comité unitaire pour la campagne
et c’est tant mieux!

Cette votation revêt en effet un caractère essentiel dans
le combat pour la liberté d’expression, qui ne se monnaie
pas, contrairement à ce que souhaite la droite et les milieux
dominants. Les attaques contre toute voix discordante sont
déjà une réalité pour les syndicats: ainsi,
plusieurs syndicalistes ont reçu des amendes pour avoir
déployé une banderole sur un trottoir lors d’une
manifestation et pour ne pas avoir respecté l’interdiction
de manifester au-delà de la Place Neuve, le 14 décembre
dernier, et s’être rendu comme simple piéton-ne
jusqu’au lieu de la réception donnée en
l’honneur de Calmy-Rey. Quant au droit d’association, la
dissolution de RHINO ouvre une brèche qui pourrait fragiliser
nombre d’organisations…

Face à de telles mesures, qui reflètent un glissement
autoritaire préoccupant des autorités politiques à
l’heure du néolibéralisme, nous restons
vigilant-e-s pour que s’exprimer, s’associer et participer
à des actions politiques et syndicales, restent des droits
fondamentaux.

Marie-Eve Tejedor