Assurance-invalidité

La bande-annonce de la 5e révision: raisons de plus pour voter NON

Assurance-invalidité: La bande-annonce de la 5e révision… raisons de plus pour voter NON

Fibromyalgie, douleur dorsale
La fibromyalgie est une maladie rhumatismale incapacitante, provoquant douleurs articulaires, grande fatigue et troubles du sommeil, reconnue depuis 1992 par l’Organisation mondiale de la santé. Elle est la cible de l’UDC qui y voit des cas «abus» de l’AI.

L’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) est fier de ses résultats. Il a réussi à dompter la bête: en 2006, le nombre des nouvelles rentes AI a baissé de 16%. Par rapport à 2003, la baisse est même de 30 %. Corollaire de ce résultat, le taux de refus des premières rentes est passé de 42% à 45%. Cela correspond à 16000 refus en 2006. S’y ajoutent environ 6000 rentes baissées ou supprimées (chiffre 2005) à la suite des réexamens prévus par la 4e révision. Cette stabilisation des rentes AI cache, très mal à vrai dire, une aggravation sensible de la situation de milliers de rentiers et de rentières AI et un double transfert des charges, vers l’aide sociale cantonale ou communale d’une part, vers les personnes handicapées et leur famille d’autre part. Le prix de la «victoire» des technocrates de l’OFAS est simplement payé par d’autres.

Pour comprendre comment l’OFAS arrive à cet objectif, il faut d’abord prendre en compte le fait que le durcissement en matière d’octroi de nouvelles rentes ou de révision des anciennes est le fruit de la 4e révision de l’AI comme de l’anticipation, dans la pratique, des principes de la 5e. Ainsi, la détection précoce des cas, avec son cortège de sanctions, est explicitement prévue par la convention passée entre la Conférence des Offices AI (COAI), l’Association suisse d’assurances (ASA), santésuisse et l’OFAS, entrée en vigueur le 1er janvier 2006. Un mécanisme dont la base légale n’existe pas encore, vu le référendum déposé contre la 5e révision. Un détail, pour ces visionnaires.

Le royaume de la calculette

Deuxième élément à considérer: le droit à une rente ne dépend pas de l’invalidité physique ou psychique, mais bien de la perte de gain entraînée par cette invalidité. Une invalidité de moins de 40%, qui débouche sur un refus de rente, signifie donc que la perte de gain est inférieure à ce taux. Rappelons que la 4e révision de l’AI avait déjà permis l’introduction du trois quarts de rente, correspondant à un taux d’invalidité situé entre 60 et 70 % et permettant de revoir les rentes entières (à partir de 70 %) à la baisse. En pratique, comment cela se passe-t-il?

Voici l’exemple de Marcel Albert1, boucher de formation, qui, après s’être recyclé dans le bâtiment, travaille comme couvreur-ferblantier et se prépare à obtenir son CFC grâce à l’article 41 de l’ancienne Loi sur la formation professionnelle. Après avoir été opéré en 1990 d’une hernie discale, des complications avec fissures des vertèbres sont constatées. D’où une nouvelle opération la même année, avec pose de plaques métalliques et de vis sur les vertèbres endommagées. Marcel Albert doit dès lors arrêter son travail et ne peut plus se présenter à son examen professionnel. À l’âge de 36 ans, il touche alors une demi-rente AI. Il travaille ensuite dans un atelier protégé. En 2001, les plaques métalliques provoquant une usure accélérée des vertèbres, l’incapacité de gain devient complète et la rente entière.

En juin 2005, sur demande de l’Office cantonal de l’AI, le Centre d’expertise médicale de Genève l’examine. Le rapport, que le médecin de famille a dû se procurer, ne contient rien qui permette de conclure à une révision de rente. Le rentier n’obtient, lui, aucune information. En juillet 2006, soit plus d’un an après les examens, Marcel Albert reçoit la décision de suppression de la rente AI. Raison invoquée: son état de santé s’est amélioré, une activité légère de 60 % (5 heures par jour) est possible. Cela lui permettrait, en tant que travailleur sans formation de gagner un revenu déterminant pour l’invalidité de 31228.65 francs. S’il était resté aide-ferblantier, son revenu annuel moyen serait de 50464 francs. Donc le degré d’invalidité (la perte de gain) n’est que de 38%. Conclusion: la rente est supprimée dès le 1er jour du deuxième mois suivant la notification.

Depuis le 4 octobre 2006, Marcel Albert est un faux invalide. En décembre 2006, malgré les efforts de l’Office cantonal AI, aucun patron ne lui a fourni d’emploi et il a demandé une aide aux services sociaux de 635 francs. Cerise sur le gâteau: la notification tardive de la décision le concernant tombe, comme par hasard, après l’entrée en vigueur de la nouvelle procédure de recours, devenue payante depuis le 1er juillet 2007!

Ces douleurs si subjectives

Dans l’émission Mise au point de la Télévision suisse romande du dimanche 1er avril 2007, le journaliste Pietro Boschetti présente les cas de trois femmes qui se sont vu supprimer leur rente AI. L’une, Marianne Ryter, ancienne ouvrière dans l’horlogerie, touchait depuis sept ans une rente entière à la suite de dépressions multiples. Les deux autres, Sylviane Sommer et Marie-France X., souffraient de fibromyalgie, avec un diabète en sus pour la première. La fibromyalgie est une maladie rhumatismale incapacitante, provoquant douleurs articulaires, grande fatigue et troubles du sommeil, reconnue depuis 1992 par l’Organisation mondiale de la santé. Ces trois cas sont des cibles toutes trouvées pour l’UDC et sa campagne écœurante sur les «abus» et les faux invalides. Car ce dont ces femmes souffrent ne se voit pas, n’a rien de visible. Et leur handicap n’est ni constant, ni objectivement calculable, reposant sur la subjectivité du ressenti de leurs douleurs physiques et psychiques. Du pain béni pour les promoteurs de la contre-réforme de l’AI qui ont décidé d’exclure au maximum les malades souffrant de douleurs chroniques. Pour le Conseil fédéral en effet: «L’appréciation de ce qui peut être exigé d’un point de vue objectif et de ce qui ne peut l’être est du ressort des offices AI, sur la base des indications médicales fournies par les SMR [Services médicaux régionaux, ds]. La perception subjective de la personne assurée (douleurs p. ex.) n’est pas déterminante pour l’appréciation, qui doit répondre à des critères objectifs.» (Message concernant la 5e révision de l’AI, p. 118).

Un transfert des charges nié par l’OFAS

Le gouvernement fédéral, Pascal Couchepin en tête, et l’OFAS ont toujours nié le fait que ces pratiques sévèrement restrictives aient pour effet de gonfler les dépenses de l’aide sociale des cantons et des communes, sans parler de la charge financière supplémentaire infligée aux personnes touchées et à leurs proches. Ils ont d’abord évoqué des études qui «auraient» prouvé l’absence de ce transfert. Inexistantes. Puis ils se sont réfugiés derrière le manque de corrélation directe entre l’entrée en vigueur des mesures de la 4e révision et les statistiques de l’aide sociale. En ignorant volontairement: a) que les effets des mesures ne se répercutent pas instantanément sur les statistiques; b) que tous les exclu-e-s de l’AI ne sont pas pour autant acceptés à l’aide sociale; c) que les raisons de l’évolution positive ou négative des statistiques de l’aide sociale sont multiples.

Malgré ces dénégations fédérales, les indices convergent. Les villes attestent une croissance de la pression: «Il ne semble pas imaginable que le domaine de l’aide sociale puisse encore être en mesure de supporter les conséquences de pratiques plus restrictives de la part de l’assurance-invalidité» (Lettre de l’Union des villes suisses et de l’Association des communes suisses aux membres du Conseil national, 15 mars 2005). La réalité de ce transfert se marque par exemple à travers le taux de remboursement des avances en attente de décision de l’AI. Il peut en effet se passer des mois, voire une année ou plus, entre le moment où la personne fait sa demande à l’AI et la décision de cette dernière. Durant cette période, c’est l’aide sociale qui prend en charge l’individu qui ne peut plus travailler. Les montants avancés sont ensuite remboursés grâce à l’effet rétroactif de la rente obtenue. Mais si la décision est négative et que la personne correspond aux critères de l’aide sociale, c’est cette dernière qui supporte la charge financière. Sur cette base, Michel Hunkeler, l’un des dirigeants de l’Hospice général de Genève, estime à 10 millions de francs le transfert de l’AI à l’Hospice pour l’année 2006 seulement.

Daniel Süri

1 Nom fictif, mais cas réel.