La présidentielle du 22 avril en France: premiers éléments d’analyse à chaud…

La présidentielle du 22 avril en France: premiers éléments d’analyse à chaud…

Au lendemain du premier tour de
l’élection présidentielle, la presse du matin salue
le retour à une polarisation classique entre droite et gauche,
après l’épisode traumatisant du duel Chirac-Le Pen
au deuxième tour de 2002. Cette appréciation
mérite cependant d’être nuancée. Certes, le
Pen perd environ un million d’électeurs et plus de 6% des
voix et Sarkozy atteint, avec plus de 30% au premier tour, un score
historique pour la droite de gouvernement. Mais ce succès
résulte pour une part substantielle de sa campagne de
séduction en direction de l’électorat du FN, sur
son usage des thèmes de l’immigration et de
l’identité française, bref sur une
lepénisation de son discours. De son côté,
Segolène Royal n’a pas fait une campagne de gauche
classique, mais une campagne attrape tout, flirtant d’un
côté avec le nationalisme, l’ordre moral et
familial, avec quelques gestes symboliques de compassion sociale sur sa
gauche. La gauche de Ségolène est donc une gauche
largement «blairisée», avec peu de réserves
électorales sur sa gauche (la principale étant le million
et demi d’électeurs d’Olivier Besancenot). En
revanche, avec plus de 18% le centre de Bayrou s’installe en
position d’arbitre. Même en cas de victoire de
Ségolène Royal, elle pourrait difficilement envisager de
former une majorité parlementaire et gouvernementale sans un
certain accord avec Bayrou. C’est en quelque sorte le cycle de
l’Union de la gauche et de la Gauche plurielle (1972-2002) qui
s’achève, la perspective étant désormais
celle d’une coalition de centre gauche entre
sociaux-démocrates et démocrates-sociaux, autrement dit
une sorte de prodisme à la française. Ceci dit, au vu des
scores du premier tour, une élection de Sarkozy le 6 mai reste
l’hypothèse la plus probable, même si tout
n’est pas joué.

La gauche radicale ou gauche de gauche avait obtenu en 2002 environ
13,5% des voix (Arlette Laguiller 5,7, Olivier Besancenot 4,3, le Parti
communiste 3,5), et les Verts 5,5%. Cette gauche de la gauche
connaît un important recul, puisqu’elle totalise cette fois
un peu moins de 9% (4,1 pour Besancenot, 1,9 pour Marie-Georges Buffet,
1,4 pour Arlette Laguiller, et 1,3 pour José Bové). Les
Verts n’atteignent que 1,5%. Le recul est donc dû à
un effondrement de l’électorat du PC, de LO, et des Verts.

Pourquoi ce recul de la gauche de la gauche?

Tout le monde constate que seul Olivier Besancenot maintient son score
en pourcentage et l’améliore en nombre de voix (avec
près d’un million et demi de suffrages) par rapport
à 2002. Il a certainement perdu un bon tiers des
électeurs d’alors, qui avaient voté pour la
nouveauté, et s’en étaient mordus les doigts en
voyant Le Pen au deuxième tour. Il a en revanche enraciné
son vote dans les régions et milieux populaires, et,
d’après les premières indications,
réalisé des scores nettement supérieurs à
la moyenne nationale auprès des nouveaux électeurs jeunes.

Pourquoi ce recul de la gauche de la gauche?

La première raison est certainement le traumatisme de 2002. La
crainte, entretenue par les médias et l’état-major
du Parti socialiste, de voir un deuxième tour entre Sarkozy et
Le Pen, a pesé très lourd dans les quinze derniers jours
de campagne. Cet appel à un vote de la peur, dès le
premier tour, aboutissait à confisquer le vote de choix et de
conviction qu’est censé exprimer un premier tour, au
profit d’un vote d’élimination, un vote contre,
indépendamment du programme et du projet de la candidate
socialiste ou de François Bayrou. Ce mécanisme a
joué d’autant plus que la mobilisation électorale a
été exceptionnelle, environ 85%, et l’on peut
supposer que bon nombre de ces électeurs intermittents ont fait
un vote du moindre mal.

Une deuxième raison de ce recul est le changement intervenu
depuis la victoire du Non au référendum du 29 mai 2005
sur le Traité constitutionnel européen. Ce Non
l’avait emporté par 55%. Mais cette majorité
était partagée entre un Non de droite et un Non de
gauche. Même s’il est probable que le Non de gauche
était dominant, la part respective des électorats demeure
incertaine. L’illusion de certains, dans la gauche de la gauche
(en particulier dans l’entourage de José Bové), a
consisté à concevoir l’élection
présidentielle et législative comme un simple
prolongement du référendum et de surestimer en
conséquence le potentiel de la gauche radicale.

Elire un président de la République et dégager une
majorité de gouvernement autour d’un projet pour cinq ans
est tout autre chose que de répondre par oui ou par non à
un référendum. D’ailleurs, les
«nonistes» du Parti socialiste (Fabius, Montebourg,
Mélanchon) n’ont guère tardé à se
laisser synthétiser sous la houlette de Ségolène
Royal et derrière la majorité du parti favorable au
Traité.

Rester indépendant du PS

Il en est résulté que la question européenne (qui
reviendra sur le tapis dès la fin de l’année) a
été la grande absente de la campagne, comme s’il
s’était agi d’un simple mouvement d’humeur
à oublier bien vite. La droite, qui avait subi une gifle
retentissante au référendum, n’avait aucun
intérêt à en parler. Le Parti socialiste qui avait
colmaté ses divisions et qui ne sait probablement pas comment il
va gérer les prochaines échéances
européenne n’y avait aucun intérêt non plus.
La question fut donc escamotée.

Enfin, la division des candidatures à la gauche de la gauche a
certainement joué pour une partie de l’électorat
déconcerté par une telle multiplicité. Mais
d’un point de vue strictement électoral, ce n’est
certainement pas, contrairement à ce que commence à dire
Bové, la raison principale. Une candidature unitaire sur une
base politique claire aurait certainement eu une dynamique attractive
pour des hésitants, mais l’expérience prouve que
l’unité n’est pas une simple addition, et
qu’une partie des électorats respectifs du PC, de LO, et
de la Ligue ne se serait pas retrouvée dans une candidature
unitaire. On peut donc douter fortement que, dans les conditions
difficiles de cette campagne, une telle candidature ait atteint le
score cumulé des 8,5%.

Pourquoi Olivier est le candidat qui a le mieux résisté
aux sirènes du «vote utile»? Au delà du
dynamisme de sa campagne, de son talent personnel, de son image
très positive dans les milieux salariés et dans la
jeunesse, la réponse est à chercher dans
l’orientation fondamentale de sa campagne. Il est celui qui a
gardé le plus clairement le cap sur la question, qui a
développé un programme sérieux et
argumenté, qui a affirmé le plus vigoureusement son
indépendance vis à vis du Parti socialiste, y compris
dans l’hypothèse d’une victoire de
Ségolène Royal et d’un gouvernement de gauche. Il a
gagné ainsi une sympathie qui va bien au-delà de son
million et demi d’électeurs, comme en témoignent
sur son blog comme oralement nombre de messages s’excusant un peu
honteusement de renoncer à un vote de conviction pour
«voter utile» dans la crainte d’un nouveau 21 avril
(2002).

Quel rassemblement à la gauche de la gauche?

Ce résultat, non comptabilisable en termes de voix, de la
campagne est évidemment très important puisqu’il
ensemence le terrain pour les résistances et les luttes à
venir, quel que soit le résultat du 6 mai. Ainsi, il faut noter
que le résultat d’Olivier est très homogène
dans les différents départements,
généralement entre 4% et 5,5%, avec des pointes dans des
départements à forte tradition ouvrière et
communiste (le Nord, le Pas-de-Calais, le Limousin, la Meurthe et
Moselle), y compris en Seine-Saint-Denis où Marie-Georges Buffet
est députée. C’est donc le vote nettement
inférieur dans les centres embourgeoisés des grandes
villes (et notamment Paris) et dans les départements et
territoires d’outre-mer (bien qu’Olivier arrive en
quatrième position à la Martinique), qui explique le
tassement de sa moyenne un peu au-dessus des 4%.

Et après? La suite sera évidemment différente
selon que Sarkozy ou Ségolène Royal l’emporte le 6
mai. Mais dans les deux cas nous continuerons, comme Olivier l’a
fait dans ses meetings et dans son intervention le soir du 22 avril,
à appeler au rassemblement anticapitaliste de la gauche de
gauche. Si Sarkozy est élu, nous aurons besoin d’une
gauche radicale de résistance et de combat à la gauche du
PS. Si c’est Ségolène Royal, nous aurons aussi
besoin d’une opposition de gauche indépendante de sa
coalition gouvernementale.

La forme et le contenu d’un tel rassemblement restent à
discuter avec nos partenaires éventuels. Il est par ailleurs
évident que ces partenaires risquent d’être
différents dans les deux hypothèses. Pour notre part,
nous les rencontrerons le plus tôt possible. Nous tirerons, lors
de notre réunion de direction nationale du 28 avril un bilan du
scrutin et de ces rencontres pour définir notre orientation dans
les semaines à venir et faire des propositions.

Daniel Bensaïd*

*Introduction à une interview publiée par la revue Viento Sur, du 23 avril 2007.