Lutte antiracisteUne voie vers la dépolitisation?

Lutte antiraciste
Une voie vers la dépolitisation?

La manière de faire reculer le
racisme fait manifestement débat (voir le numéro
précédent de solidaritéS). Et c’est en soi
une excellente nouvelle, parce qu’elle traduit le fait que la
lutte contre cette forme de discrimination est enfin prise au
sérieux, qu’elle figure désormais à
l’ordre du jour. Comme les deux auteurs de la contribution que
nous publions ci-dessous le rappellent, l’urgence et la
nécessité de la lutte ne doivent cependant pas
empêcher la réflexion sur son contenu. (réd.)



Force est de constater que les récentes campagnes de
l’Union Démocratique du Centre (UDC) ont provoqué
des réactions d’indignation tous azimuts. Ces prises de
position face au discours populiste et xénophobe de l’UDC
sont évidemment bienvenues et même salutaires. Il nous
apparaît cependant important de nous interroger sur le sens, la
qualité, mais aussi la portée de ces messages
d’indignation.

Un moralisme dépolitisant

Certains mouvements de gauche ainsi que quelques associations pensent
actuellement pouvoir ramener une certaine dose de conflictualité
politique au sein de la société suisse en la mobilisant
sur le thème de l’antiracisme. L’histoire
récente devrait toutefois leur servir de grille d’analyse:
un aperçu de la situation française se
révèle à cet égard très
éclairant. Pendant des années, dans l’Hexagone, la
gauche et des associations comme SOS racisme ont tenu un discours
unanimiste sur le mode du «Tout sauf Le Pen» ou «Le
Pen facho, le peuple aura ta peau». Ces slogans, qui
témoignent d’une critique moralisante et volontiers
«éthique», n’aident en rien à
l’identification des maux de la société et
s’avèrent en définitive parfaitement
dépolitisants. Ainsi les argumentaires sur le respect des
différences: consensuels, ils cachent à merveille des
aspects aussi essentiels que les rapports de force, les
inégalités, la répartition des richesses…
Suivant ce raisonnement, il n’y aurait plus
d’inégalités, seules les discriminations
subsisteraient. Or ne sont-ce pas les inégalités que
subissent les populations précarisées qui produisent les
discriminations?

Par ailleurs, la rhétorique antiraciste, déjà
improductive, peut même devenir contre-productive. De tels
discours, bien-pensants, en générant l’union
sacrée contre Le Pen que l’on sait, n’ont pas
empêché, au contraire, la présence de ce dernier au
second tour de l’élection présidentielle en 2002;
et ils ont même facilité l’élection
triomphale de Sarkozy à la Présidence de la
République cinq ans plus tard. Malheureusement, en Suisse, la
critique de l’extrême droite prend actuellement une
tournure identique: l’unanimité étouffante est de
mise. L’extrême gauche appelle ainsi à manifester
à Berne, le jour de l’élection du Conseil
fédéral, contre la reconduction de Blocher à
l’exécutif fédéral. Nous attendons
déjà les slogans «Touche pas à mon
pote», «Tout sauf Blocher»… Il est vrai qu’un
second Hans-Rudolf Merz serait bien meilleur que Blocher pour les
habitants de ce pays…

L’antiracisme, nouveau «politiquement correct» des bien-pensants?

Veillons donc à ne pas court-circuiter la contestation du
capitalisme par un antiracisme qui, bien souvent, apparaît aussi
«mou» et consensuel qu’un certain discours sur
l’écologie! La gauche sait pourtant bien que la
xénophobie de l’UDC sert essentiellement
d’écran de fumée pour renforcer l’ordre
bourgeois et capitaliste. Cependant, elle est aujourd’hui bien
trop éloignée des réalités des classes
dominées pour produire une réponse audible et efficace
à la propagande réactionnaire de l’UDC. Cet
éloignement est compensé dans les partis de gauche par la
recherche d’un électorat de classe moyenne,
«bobo»: les socialistes courent après
l’électorat des Verts, qui eux-mêmes chassent des
voix au centre droit; une grande partie de l’extrême
gauche, enfin, se gargarise d’un discours élitiste
destiné uniquement à son petit groupe d’amis
possédant un capital culturel semblable.

Alors, quelle attitude adopter? Renforcer la norme pénale
antiraciste? Cette solution entraîne les personnes
désorientées à se réfugier dans la
théorie du complot et à grossir les rangs de
l’extrême droite. Rappelons ici encore une fois que le
«politiquement correct» demeure totalement
contre-productif. Ainsi, aux Etats- Unis, lorsque des manifestations
d’extrême droite sont interdites par les autorités,
ce sont les associations antiracistes qui s’indignent au nom de
la liberté d’expression…

Aussi, pour contrer la blochérisation de notre
société, il est impératif de ne pas se
réfugier dans la «bien-pensance». La gauche devrait
au contraire devenir plus combative et mettre à jour
publiquement la volonté sous-jacente au discours de l’UDC
que sont le démantèlement social et la défense des
riches contre les pauvres. Utilisons au contraire les polémiques
suscitées par la campagne de ce parti pour imposer nos propres
sujets de préoccupation! Lutter uniquement pour
l’antiracisme et vouloir durcir les normes pénales
concernant l’expression de la xénophobie, c’est
aussi suivre un agenda politique fixé par le parti d’Ueli
Maurer.

Jean-Baptiste Blanc, Philippe Somsky

(intertitres de la rédaction)