Hedge funds, spéculation et famine: un serviteur zélé des banquiers privés...

Hedge funds, spéculation et famine: un serviteur zélé des banquiers privés…

La Tribune de Genève du 17 mai
en faisait ses choux gras. Sous le titre «Genève convoite
les millions des hedge funds» on y apprenait que le ministre vert
des finances genevoises David Hiler avait «annoncé aux
patrons genevois qu’il voulait attirer les fonds
spéculatifs dans le canton» et que «les financiers
jubilent à l’idée de voler aux Iles Caïman une
partie de ces “machines à milliards”». Et le
quotidien d’aligner ensuite les satisfecit du premier
secrétaire du Groupement des banquiers privés genevois,
qui loue les «succès remportés par les Iles
Caïman» et explique la nécessité
d’allégements fiscaux sur les gains en capitaux pour
prendre le même chemin…

Un député vert consulté est cité comme
«entrant en matière» et, dans ce cadre, demande
à ce qu’on réfléchisse «aux meilleurs
moyens de servir le développement durable du canton.» Du
canton ! Adieu la maxime verte penser globalement, agir
localement… Quand aux socialistes, dont la ministre Calmy-Rey
défend le secret bancaire, ils-elles toussent…

Dans une interview, trois jours plus tard, dans la Tribune toujours,
Hiler explique son scénario: il s’agit de se positionner
préemptivement face au fait que l’UE et l’OCDE
«ont dans leur collimateur certaine facilités fiscales
octroyées en Suisse à des multinationales» et
qu’il faut soit résister, soit se retourner habilement,
trouver un nouveau créneau et être en mesure de se
positionner au mieux dans la «concurrence fiscale qui se fera
entre les cantons.»

Bref, un libéral ne ferait pas mieux. Au contraire, comme le
souligne, Jean-François Mabut, blogueur-en-chef de la Tribune:
«Les milieux économiques sont bien mieux servis par un
gouvernement de gauche.» En effet, comme nous l’expliquait
Le Temps, deux jours après la première salve de la
Tribune, il y a moins de quinze jours, l’association suisse des
banquiers et son président Pierre Mirabeau appelaient de leurs
vœux une baisse de la fiscalité frappant les hedge funds
en changeant les textes légaux en la matière
«très vite, d’ici deux à trois mois».
Et Hiler a répondu, le premier, et en bon élève
qu’il est, à cet appel…

Et la gauche là-dedans? Rassurez-vous tout va bien! Hiler
explique que «Ces fonds se sont développés en
Angleterre, un pays dirigé par les travaillistes… Leurs
gestionnaires ont profité de conditions extraordinairement
favorables, qui se sont aujourd’hui un peu durcies. Il
s’agit de profiter de l’occasion pour attirer une partie de
ces activités…» Or la guerre de Bush pour le
pétrole et contre les peuples, en Irak et ailleurs a – elle
aussi – été soutenue par un pays dirigé par les
mêmes «travaillistes» de Tony Blair… (qui
viennent par ailleurs de prendre une claque monumentale aux
élections locales… v. notre article en p 5-6).
Mais, des gens meurent de faim aujourd’hui, comme de la guerre,
aux quatre coins de la planète, précisément de
cette spéculation, dont les hedge funds sont un outil
privilégié, de même que de la course aux
agrocarburants prétendument «verts». C’est le
sort d’un monde livré à un système odieux,
le capitalisme, ou l’allocation des ressources est
décidée par l’argent et ceux qui en ont et en
accumulent toujours plus, plutôt que par les gens et leurs
besoins, y compris leurs besoins les plus vitaux, garantis – en
principe et sur le papier – par des textes comme la Déclaration
universelle des droits humains, qui consacre le droit à
l’alimentation, parmi d’autres.

Dans ce contexte, plutôt que de s’engager pour une
réponse internationale – ne serait-ce qu’européenne
– au vol des collectivités et des citoyen-ne-s que
représente la sous-enchère, l’évasion et la
fraude fiscales, un ministre cantonal, élu sur un ticket de
«centre gauche», s’aplatit honteusement en
cautionnant le capitalisme financier débridé, pour les
miettes qui tomberont de sa table, dans notre coin du pays (30% du
négoce des céréales comme du pétrole est
déjà localisé à Genève). Pourtant,
David Hiler n’est sans doute pas un salaud, c’est un
«pragmatique», qui pense qu’on doit composer avec le
système dans le sens du «moindre mal» et qui pense
qu’il n’existe aucune force sociale capable de se mobiliser
pour faire barrage au rouleau compresseur du capitalisme libéral
ni aucune possibilité de construire un projet alternatif. Il a
le grand mérite d’illustrer froidement et sans pudeur
combien ce chemin-là est démoralisant et sans issue.

Au chapitre de la pudeur, signalons-lui quand même que quelques
jours après sa prestation devant les patrons romands, le
parlement européen – qui n’est pas vraiment un nid de
militant-e-s de gauche radicale, votait par 485 voix contre 52, une
résolution «sur la hausse des prix des denrées
alimentaires dans l’UE et les pays en développement»
qui soulignait le «caractère fondamental du droit à
l’alimentation» et affirmait être
«préoccupé par les effets que la spéculation
sur les produits alimentaires de base, notamment par les fonds
alternatifs (hedge funds) de matières premières, engendre
en matière de faim et de pauvret酻

Pierre Vanek