Après les attentats du 11 Septembre…


Après les attentats du 11 Septembre…


Faisons l’effort de comprendre pourquoi une partie du monde a applaudi aux attentats monstrueux du 11 septembre. En réalité, l’islam politique emprisonne les peuples arabo-musulmans et marche main dans la main avec le nouveau maccarthysme américain.

Samir Amin*

Les attentats du 11 septembre appellent des commentaires autres que ceux qui dominent la scène des médias, avant tout soucieux de légitimer l’utilisation que l’establishment hégémonique des Etats-Unis veut en faire.


L’horreur que tout être humain normal éprouve naturellement devant le spectacle du massacre d’un grand nombre d’innocents ne doit pas faire oublier la responsabilité de la politique conduite par les Etats-Unis et leurs alliés du G7. Car si ce massacre a frappé pour la première fois sur le territoire même des Etats-Unis, il est loin d’être le seul du genre. Mais les médias en question ne se sont pas donné la peine de montrer avec autant d’insistance le sort des civils irakiens et yougoslaves bombardés par l’OTAN, celui des Palestiniens assassinés par les ordres Sharon, hier à Sabra et Chatila, également aujourd’hui chaque jour, celui des prisonniers de guerre égyptiens froidement assassinés. Ce qu’il faut bien appeler le terrorisme d’Etat n’est pas moins horrible que celui pratiqué par les auteurs des attentats du 11 septembre.


Une partie du monde a applaudi


L’opinion américaine doit savoir que, pour cette raison, ces attentats n’ont pas soulevé l’opprobre absolue et générale qu’on veut faire croire. Le choix des cibles – le centre financier de New York et le Pentagone – leur a même valu les applaudissements non pas d’une poignée de «fanatiques islamistes» mais de la grande majorité de l’opinion en Asie et en Afrique et de secteurs non négligeables de l’opinion européenne.


La lumière sur la part de responsabilité des exécutants directs – des kamikazes islamistes fort bien organisés mais dont on ne peut dire avec certitude s’ils constituent un seul ou plusieurs réseaux – et peut être de la CIA et du Mossad, qui les auraient manipulé ou laissé faire (sans nécessairement avoir mesuré correctement l’ampleur des dégâts), n’est pas faite. Elle ne le sera peut être jamais. N’a-t-il pas fallu attendre vingt ans pour savoir que le Mossad avait posé des bombes dans des synagogues de pays arabes? La violence du ton des appels immédiats des responsables israéliens (Sharon, Barak, Peres) à «massacrer» Hamas et Hezbollah invite à réfléchir. Car précisément, ni Hamas ni Hezbollah, bien que relevant de la mouvance idéologique islamiste ne sont des organisations qui ont conduit des opérations autres que contre l’occupant israélien.


Les peuples arabes et musulmans, premières victimes de l’Islam politique


L’auteur de ces lignes compte parmi les nombreux intellectuels qui considèrent que les premières victimes de l’Islam politique sont les peuples arabes et musulmans eux mêmes. Que l’idéologie réactionnaire sur laquelle il se fonde n’offre aucune réponse alternative efficace aux problèmes des sociétés en question, que ses méthodes d’action sont inadmissibles, répugnantes même. Mais c’est précisément pour ces raisons que l’Islam politique a toujours été et continue à être «bien vu» par les stratégies de Washington, souvent son allié.


Les Talibans et Oussama Ben Laden lui-même ont été qualifiés de «combattants de la liberté» (freedom fighters). Leur «colère» contre les horribles «communistes» (en fait des modernistes nationaux populistes) dont le crime principal – à leurs yeux – était d’avoir ouvert les écoles aux filles n’a pas entraîné à l’époque la condamnation des diplomaties occidentales, pas même l’opprobre de leurs mouvements féministes.


Ceux qu’on appelle les «Afghans» c’est-à-dire des Algériens, des Egyptiens et d’autres, formés à l’assassinat dans les camps financés par les Etats Unis et entraînés par des spécialistes de la CIA et du Pakistan allié, exercent leurs talents de «terroristes» en Algérie et ailleurs. Non seulement Washington n’y a jamais vu le moindre inconvénient, mais encore les a soutenus et les soutient jusqu’à aujourd’hui, réservant ses condamnations aux seuls qui combattent l’occupant israélien. Ce choix ne s’explique pas seulement par la sympathie que le discours dominant s’emploie à développer à l’égard des hérauts de la «spécificité» culturelle, il trouve sans doute sa raison dans l’analyse lucide et cynique de l’establishment nord américain: l’Islam politique enferme les peuples qui sont ses victimes dans l’impuissance face aux défis de la mondialisation capitaliste libérale et cela fait l’affaire du capital dominant.


Bombardements et nouveau maccarthysme


J’ignore, au moment où j’écris ces lignes, ce que sera exactement la méthode de la riposte de Washington aux attentats du 11 septembre. Mais le plus probable est que celle-ci comportera des bombardements massifs et le massacre de milliers de civils, déjà victimes des Etats-Unis et de leurs alliés de l’Islam politique. A terme, que Ben Laden périsse ou non dans l’opération, la haine redoublée à l’égard de Washington produira des milliers de nouveaux candidats à se venger sur des cibles américaines. L’establishment dirigeant des Etats Unis n’a-t-il pas déjà fait ce choix, c’est-à-dire celui de donner à la puissance de la terreur militaire en sa possession un rôle de plus en plus décisif, voir exclusif, dans la poursuite de son projet hégémoniste? Au-delà de l’horreur des massacres que cette option signifie, celle-ci est finalement vouée à l’échec tant elle mobilisera de haine à l’égard des Etats-Unis partout dans le monde.


C’est pourquoi ce choix ne peut qu’appeler le déploiement, dans la société américaine elle même, d’un nouveau «maccarthysme», permettant de diaboliser toute opposition aux diktats du capital dominant, au nom de la «sécurité interne» et de la «guerre contre le terrorisme» Il n’y a pas de front uni possible contre le terrorisme. C’est seulement le développement d’un front uni contre l’injustice internationale et sociale qui peut rendre inutile et par là même impossible, les actes désespérés de victimes du système.

Article diffusé par le CETIM. Nos intertitres. L’auteur est Président du Forum Mondial des Alternatives (FMA), directeur du Forum du Tiers Monde (Dakar), auteur d’un grand nombre d’ouvrages critiques sur l’économie politique mondiale comme L’échange inégal, La déconnexion, L’eurocentrisme, critique d’une idéologie, Les défis de la mondialisation, etc.