Mourir en tuant - Comment faire un monde plus sûr?


Mourir en tuant – Comment faire un monde plus sûr?


«Il n’y a que le désespéré pour mourir en tuant, celui qui a de l’espoir préfère vivre en luttant… Le défi consiste à mettre fin aux situations qui produisent des milliers de désespérés prêts à mourir en tuant.»

Carlos Alonso Zaldívar*

Ce qui s’est produit mardi passé a New-York et Washington, ce que nous avons vu à la télévision sans en croire nos yeux, ce qui aujourd’hui encore semble invraisemblable s’explique simplement: quand la vie se résume a l’enfer, mourir en tuant ceux qu’on tient pour responsables est une option, et dans le monde dans lequel nous vivons, il y a des gens qui l’ont prise. Ils ne sont pas rares. Ils ne se trouvent pas seulement dans les camps de réfugiés. Ils ne sont pas seulement des fanatiques ignorants ou des faibles d’esprit. Ce sont aussi des gens avec l’instruction et les aptitudes necessaires pour piloter un avion de passagers, et avec la détermination suffisante pour le faire voler jusqu’au suicide. Nous l’avons vu mardi.


Quand la vie est un enfer


Qu’est-ce qui les amène a le faire? Quand la vie n’offre que douleur et humilisation, le désespoir pousse à la vengeance et à la mort. La misère peut transformer la vie en un enfer. Nous le savons en Occident, mais ne le prenons pas au sérieux. La vie peut aussi devenir un enfer pour des raisons que nous autres Occidentaux avons oubliées: vivre sous occupation militaire, subir des bombardements punitifs, endurer des humiliations quotidiennes, voir disparaître ce qui donnait du sens aux choses. Ces éléments poussent au désespoir, autre nom de l’enfer.


Pour ceux qui vivent aujourd’hui désespérés, l’histoire récente équivaut à un affrontement entre les occidentaux riches et puissants, prêts à tuer mais pas à mourir, et les pauvres impuissants qui ne peuvent que mourir en tuant. Ils pensent qu’en Palestine, en Irak, en Afrique et à d’autres endroits, nous puissants avons passé des années à tuer sans mourir. Ils croient que mardi passé, pour une fois, les désespérés ont pris leur revanche au prix de mourir en tuant. Ce mardi a aussi changé notre vision du monde dans lequel nous vivons. Nous avons découvert que les impuissants et ignorants savent et peuvent plus que ce qu’ils nous avaient dit, et que ceux qui nous protègent savent et peuvent moins que ce qu’ils prétendent.


Une guerre ? Contre qui ?


Après ce mardi, il faut repenser les moyens de rendre le monde plus sûr. Certains évoquent Pearl Harbour et se sont lancés à parler de guerre et de victoire. C’est une vieille rhétorique aux échos puissants, mais d’efficacité nulle. Une guerre? Contre qui? Contre les terroristes, mais nous ne savons pas qui ils sont. Le temps a passé et nous continuons d’ignorer qui ont été les auteurs de l’attentat de Dharan (Arabie Saoudite) qui a tué 19 soldats américains; nous ne savons pas non plus qui a dirigé l’attaque contre le destroyer américain Cole dans le port d’Aden (Yemen). Guerre contre le terrorisme? Comment? Avec des tanks, des missiles et des avions? Il n’est pas d’arme plus intelligente et léthale qu’un terroriste suicide. Devant le terrorisme, l’instrument le plus rentable est l’espionnage, mais combien la CIA dispose-t-elle d’agents infiltrés chez les Talibans, mangeant mal et vivant sans femme? Quelqu’un se posait la question l’autre jour et la réponse est évidente. Une guerre? Pour quoi? Pour que chacun vive et laisse vivre ou pour que nous occidentaux disions comment doit vivre le reste du monde? Une erreur dans les objectifs, dans les fins ou dans les moyens, et nous n’aurons fait qu’augmenter les rangs de ceux qui sont prêts à mourir en tuant.


Provoquer 1000 millions de fidèles ?


Si nous, qui sommes plus disposés à tuer qu’à mourir, nous retrouvons confrontés à ceux qui sont prêts à mourir en tuant, il y a deux variables sur lesquelles on peut agir dans ce conflit: la capacité de tuer et la disposition à mourir. La capacité à tuer déborde de notre côté et, comme on l’a vérifié ce mardi, ne fait pas non plus défaut de l’autre. Et il faut garder à l’esprit qu’avec moins d’efforts ils auraient pu faire beaucoup plus de dégâts, par exemple en utilisant un agent chimique. Mais en plus du massacre, ils cherchaient l’image de leur revanche, et ils l’ont obtenue. La solution n’est pas dans la capacité à tuer; elle est dans la disposition à mourir. Ou nous augmentons la nôtre, ou nous parvenons à ce qu’ils réduisent la leur. Le brouhaha de guerre vise la première option, mais je ne crois pas qu’il ira très loin. L’Occident ne va pas se lancer dans une guerre contre on ne sait pas trop qui et, s’il s’affronte à une religion avec mille millions d’adeptes, il commettra une erreur épouvantable.


Vivre en luttant


La voie vers notre sécurité consiste à réduire le nombre des autres disposés à mourir. Y parvenir ne requiert pas de résoudre au préalable tous les conflits et drames du monde. Ce que cela exige en revanche, c’est de recréer l’espérance que les injustices puissent finir par se réparer. Il n’y a que le désespéré pour mourir en tuant, celui qui a de l’espoir préfère vivre en luttant. Le grand défi de l’Occident n’est pas de tuer quelques centaines d’assassins suicides; si c’est là tout ce que nous faisons, il en apparaîtra d’autres. Le défi consiste à mettre fin aux situations qui produisent des milliers de désespérés prêts à mourir en tuant, chose que nous n’avons pas faite dans les 10 dernières années. Peut-être qu’après le 11 septembre 2001 nous commencerons à le faire



  • Cette libre opinion parue dans El Pais du 16 septembre pose quelques questions gênantes aux partisans de la rhétorique guerrière. Traduction et intertitres de la rédaction.


Une voix contre la guerre à la Chambre des Représentants


Le Sénat a voté à l’unanimité (98-0) pour autoriser le Président Bush à utiliser «toutes forces appropriés et nécessaires contre les nations, organisations ou personnes, dont il détermine qu’elles ont planifié, autorisé, commis ou aidé à commettre les attaques terroristes du 11 septembre 2001, ou qu’elles ont accueilli de telles organisations ou personnes…» De son côté, la Chambre des Représentants a approuvé cette résolution à 420 contre 1.


La seule opposition est venue d’une juriste démocrate noire de San Francisco, Barbara Lee, active dans les mouvements pour la paix et la justice sociale. Elle était à la tête des critiques du Congrès contre l’intervention US au Kosovo. A ses yeux, il est fou de se lancer ainsi dans une guerre sans calendrier ni objectif précis. «Je suis convaincue qu’une intervention militaire n’empêchera pas des actions terroristes internationales contre les USA» (The Nation, 15 sept. 2001).


Lettre des parents d’une victime à G.W. Bush


Notre gouvernement se sert du souvenir de notre fils comme justification pour faire souffrir d’autres enfants, d’autres parents, dans d’autres pays» (Lettre à George W. Bush, adressée par les parents de l’une des victimes du World Trade Center à New York).


Monsieur le Président,


Notre fils est l’une des victimes des attentats de mardi sur le WTC.


Nous avons pris connaissance de votre réaction ces derniers jours et de la décision du Congrès, qui vous donne tout pouvoir pour réagir aux attaques terroristes. Votre réaction ne nous console en rien de la perte de notre fils. Au contraire. Ce que nous ressentons, c’est que notre gouvernement se sert du souvenir de notre fils comme justification pour faire souffrir d’autres enfants, d’autres parents, dans d’autres pays. Ce n’est pas la première fois que quelqu’un dans votre position reçoit ainsi des pouvoirs illimités et l’a regretté. L’heure n’est pas aux gestes vides pour tenter de nous consoler. L’heure n’est pas à jouer des mécaniques. Nous vous supplions de réfléchir à comment notre gouvernement peut mettre ouvre des solutions rationnelles et pacifiques au terrorisme qui ne nous réduisent pas au niveau inhumain des terroristes.


Bien à vous.


Mme et M. Rodriguez