Les Roms, peuple exclu

Les Roms, peuple exclu

A la suite de sa première
assemblée générale, le Mouvement de lutte contre
le racisme (MLCR) tenait le 29 avril une première
conférence-débat dans la salle, pleine, du cinéma
Oblò à Lausanne.

Le choix du thème, le sort de la population rom, ne pouvait
mieux coller à l’actualité, à l’heure
où on apprenait qu’à Genève, les pandores
inscrivaient dans les passeports de certains Roms la mention
« contrôlé pour
mendicité » et que huit femmes roms,
stérilisées de force en Slovaquie, obtenaient enfin,
devant la Cour européenne des droits de l’homme, le droit
de consulter leur dossier médical.

    Après une présentation
détaillée de la véritable traque aux mendiants
roms à laquelle se livrent les chaussettes à clous dans
la cité de Calvin, allant de la confiscation de leur
pécule à la mise à l’amende en passant par
la mise à sac de leurs endroits de repos, un survol historique
fit ressortir une constante de leurs persécutions. Peine de
mort, oreille ou main coupées, stérilisation, castration,
sédentarisation forcée, démantèlement des
familles, enlèvement des enfants, répression
actuelle : toujours et partout dans le pays, les
« Tziganes » eurent à subir une
politique répressive menée « pour leur
bien ». Ainsi, le député radical vaudois
Olivier Feller, demandant l’interdiction de la mendicité
dans le canton expliquait en octobre 2008 : « Notre
société doit tout faire pour que les gens n’en
viennent pas à mendier. Quelqu’un qui mendie a,
d’une manière ou d’une autre, perdu une partie de sa
dignité. Il n’a plus d’ancrage social, de point de
repère. Les plus fragiles doivent être encadrés et
soutenus, non pour les maintenir dans leur faiblesse, mais pour les en
sortir. » Et quoi de mieux pour « les en
sortir » que de leur supprimer leur seule source de
revenus ?

    « Race criminelle » ou
groupe social « inadapté » à la
modernité, il fallait coûte que coûte faire passer
ces nomades et « vagabonds moralement
instables » sous les fourches caudines de la
normalité bourgeoise. Quitte à les envoyer vers
l’extermination durant le nazisme. De 1905 à 1972, le
territoire suisse fut interdit aux Tsiganes, comme le rappelle
l’ouvrage de Thomas Huonker et Regula Ludi, Roms, Sintis et
Yéniches. La « politique tsigane »
suisse à l’époque du national-socialisme, paru aux
Editions Page deux. Et les Yéniches – personnes nomades ou
sédentaires vivant en Alle­magne, Autriche et Suisse et ne
parlant pas le romanès, la langue des Roms – qui vivaient
dans le pays ont été eux aussi victimes de
persécutions et de graves discriminations. Aujourd’hui
encore, amendes, expulsions et expulsions de force les menacent. Une
situation confirmée par l’importante postface de Thomas
Huonker : « Les ressentiments et les pratiques
anti-tsiganes n’ont en effet pas disparu, même si,
notamment chez les autorités, ils se cachent désormais
derrière un formalisme de façade. »

    Des membres de l’association Yenisch Suisse
ont ainsi déclaré qu’à l’écoute
de ce que subissaient les Roms à Genève, ils leur
semblaient revivre ce que leurs propres parents ou grands-parents
avaient vécu. Ils ont également souligné combien
la politique criminelle de l’Œuvre des enfants de la
grand’route avait marqué, encore aujourd’hui, les
jeunes yéniches, qui connaissent un fort taux de suicide. Ce
service de Pro Juventute a, de 1926 à 1973
systématiquement détruit une grande partie des familles
yéniches en séparant les parents des enfants
placés ensuite en orphelinat. Ils se sont aussi
distanciés clairement des déclarations du très
médiatisé pasteur et musicien sinti, May Bittel, qui
avait dénoncé le tort que les Roms faisaient
prétendument à sa propre communauté. Ce refus de
répondre à une discrimination en ajoutant une
discrimination supplémentaire à un groupe
déjà stigmatisé est remarquable et fut
remarqué.

Daniel Süri