La crise automobile: Un symbole et une exigence

La crise automobile: Un symbole et une exigence

L’industrie automobile fut l’emblème et le moteur du
développement du capitalisme dans la deuxième
moitié du XXe siècle. Aujourd’hui, cette industrie
est entrée dans une crise profonde. Ses surcapacités de
production sont estimées entre 20 et 30 %, et le
dirigeant de FIAT, Sergio Marchionne pense que seule une demi-douzaine
de constructeurs, capables de produire chacun 5 à 6 millions de
véhicules par an, pourront survivre dans la prochaine
décennie. Rappelons que cette industrie a eu sa part dans le
gonflement du crédit qui a stimulé la
« croissance par l’endettement »
brutalement stoppée depuis 2008, dans la mesure où 2
voitures sur 3 étaient vendues à crédit. La crise
de l’automobile est ainsi emblématique de la crise
économique mondiale.

    La réponse en cours à cette crise est
aussi représentative : elle consiste d’une part
à aller chercher le secours de l’Etat et d’autre
part à attaquer massivement les
salarié·e·s. L’Etat américain est
sollicité par General Motors et Chrysler pour avancer des fonds
et éventuellement apporter, le temps des restructurations, la
protection de la loi sur les faillites. Sergio Marchionne, qui veut
propulser FIAT au rang des grands en pénétrant dans le
capital de Chrysler voire d’Opel, mais n’a pas les fonds
pour le faire – son entreprise étant elle-même
endettée – cherche des garanties publiques pour consolider
son offre. En France, Renault et PSA ont tendu la sébile et
Nicolas Sarkozy a répondu que l’Etat « allait
mobiliser beaucoup d’argent ».

    L’attaque contre les
salarié·e·s se fait d’abord en
matière d’emploi. Au niveau européen,
150 000 à 200 000 emplois pourraient être
supprimés, cette année seulement, dans la branche. Elle
se fait aussi au niveau des salaires de ceux qui restent.
L’antienne est connue : les
salarié·e·s « coûtent trop
cher ». Personne n’a jamais pu expliquer comment
tous les employé·e·s de tous les sites de
production au niveau mondial pouvaient tous coûter trop cher au
même moment. C’est pourtant bien ce que prétend le
patronat à la recherche du maintien de son taux de profit, des
USA au Japon en passant par l’Europe, l’Inde et la Chine.
Et déjà, sous prétexte de sauver l’emploi,
les syndicats reculent. Ici, la compensation du renchérissement
disparaît, là le salaire lui-même est réduit,
quelquefois brutalement, ailleurs les retraites sont rognées.

    Cette politique de multiplication des concessions
justifiée par la priorité donnée à la
sauvegarde de l’emploi est en réalité myope. A la
fin des années 70, le syndicat américain de
l’automobile, l’UAW, comptait 450 000 membres chez
General Motors (GM). Après la signature de plusieurs conventions
collectives contenant à chaque fois des concessions en terme de
salaire ou de conditions de travail contre des
« garanties » pour l’emploi, les
syndiqués de GM ne sont, trente ans plus tard, que
64 000. A la demande de la Maison-Blanche, le durcissement du
dernier plan de restructuration met plus de 20 000 autres
emplois en jeu. Plus de 90 % des emplois auront ainsi disparu.
Telle est la logique implacable du capitalisme lorsque les syndicats
acceptent que les salarié·e·s soient
traités comme un « facteur de
coûts » et « un
problème » de production.

    La crise de l’automobile, ce n’est
toutefois pas seulement la suppression de centaines de milliers
d’emplois et la dégradation des conditions de travail.
C’est aussi la crise d’un modèle de mobilité
basé sur la voiture individuelle, qui a entraîné
non seulement une pollution atmosphérique sévère,
mais aussi un dérèglement climatique d’une ampleur
inouïe. Comme le reconnaissait, dans les années 90, le
syndicat allemand de l’automobile IG-Metall, « il
n’est pas nécessaire d’argumenter plus longuement
pour juger qu’une extension au niveau mondial de la
densité des voitures individuelles présente dans les pays
industrialisés serait une catastrophe en matière
d’énergie, de matières premières et
d’environnement de la planète. »
(Comité de juin 1990).

    La défense intransigeante de l’emploi
et des conditions de travail, couplée avec celle de
l’outil industriel, doit donc être l’occasion
d’une réorientation générale de cette
industrie. Pour parler comme un banquier, la crise de
l’automobile offre une formidable opportunité pour
développer une politique des transports collectifs au service et
dans le respect de l’environnement. Un énorme potentiel
productif est là, une impressionnante masse de savoir-faire
ouvriers, de compétences en ingénierie et dans la
recherche peuvent et doivent servir à impulser une production
répondant à un besoin social et écologique
fondamental.

    Mais est-ce techniquement possible ? Bien
sûr, comme en témoigne l’histoire de
l’automobile elle-même. Lors de la Seconde Guerre mondiale,
GM cessa sa production automobile en 1942 pour répondre aux
priorités du conflit ; en 1944, la même entreprise
était devenue le premier producteur du monde d’avions de
combat pour la marine. Après la guerre, le retour à la
production automobile fut tout aussi spectaculaire et efficace. De
même, les salarié·e·s de l’entreprise
britannique Lucas Aerospace (aviation militaire) dans les années
70, comme plus tard ceux des chantiers navals allemands Blohm &
Voss, ont démontré qu’ils étaient à
même d’impulser des politiques de reconversion vers une
production socialement utile, permettant de conserver des emplois.

    Recourir aux fonds publics pour reproduire, dans des
conditions d’exploitation renouvelées, la même
impasse économique et écologique n’a pas de sens.
Financer cette mise à disposition de nouveaux milliards par une
réduction du salaire indirect de la population laborieuse, en
coupant dans les assurances sociales et en augmentant ses impôts
est inacceptable. Il ne s’agit pas d’éponger les
dettes des actionnaires de l’automobile. Il s’agit de
s’en défaire et de mettre sur pied un service public des
transports collectifs et de la sauvegarde de l’environnement.

Daniel Süri