Nous avions jadis les mêmes ennemis: le patriarcat et les lois divines

Nous avions jadis les mêmes ennemis: le patriarcat et les lois divines

Dans le nº 141 du 20 janvier de
« solidaritéS », nous faisions
état du débat qui traversait le camp féministe
à propos de l’attitude à adopter à
l’égard du féminisme musulman. Nous y versons
aujourd’hui cette nouvelle contribution, signée par des
féministes laïques algériennes et iraniennes, dont
la version complète est parue entre autres sur le site canadien
www.sisyphe.org.

Ce message, certes chargé de colère, s’adresse
à certaines de nos camarades féministes engagées
dans les luttes antiracistes, altermondialistes, traversées par
une certaine culpabilité coloniale et postcoloniale.
Militantes et/ou chercheuses, porteuses des valeurs féministes,
nous n’arrivons pas à concevoir, à comprendre ni
à accepter votre engagement aux côtés de celles qui
se nomment « féministes musulmanes et/ou
voilées », aux dépens des féministes
laïques.
    […] Que nous soyons originaires d’Iran,
d’Algérie, d’Afghanistan ou du Pakistan, ce
n’est pas de gaieté de cœur que nous avons
quitté nos terres d’enfance.
    Aujourd’hui, nous nous retrouvons unies dans
une terre laïque où la liberté de conscience est
garantie par la loi, où les luttes pour
l’égalité des droits sont possibles,
quoiqu’ardues.
    Ardues, car l’égalité des droits
et des sexes est indissociable des luttes sociales, économiques,
culturelles et éducationnelles.
    Tout cela nous l’avions compris de là
où nous étions, vos luttes étaient les
nôtres, votre libération prédisait la nôtre.
Nous suivions vos cheminements et vos acquis nous renforçaient
dans nos convictions et dans la poursuite de nos luttes.
    Votre force, votre entente, au-delà de vos
différences partisanes, pour arracher le droit à la
contraception, à l’avortement, à la reconnaissance
de l’homosexualité, au PACS et plus loin, dans
l’histoire, au divorce étaient une source
d’encouragement, pour nous, dans nos luttes contre la polygamie,
la minorité des femmes à vie et le non-droit de disposer
de nous-mêmes.

Vos luttes et les nôtres avaient, alors, les mêmes
ennemis : le patriarcat et « les lois
divines ».

L’instauration des « lois divines »
dans nos différents pays, les violences et les actes terroristes
qui sont perpétrés contre les femmes et les hommes
porteurs des valeurs laïques de liberté de conscience ont
poussé beaucoup d’entre nous au départ.
Nous sommes arrivées avec l’expérience de nos
luttes inachevées, avec, comme seuls bagages, nos rêves,
nos utopies, notre quête de liberté et de
démocratie.
    Une démocratie où la
laïcité fondamentale, solide et vidée de toute
croyance religieuse, fait place à la liberté de
matérialiser des rapports humains dans un monde vivable pour
toutes et tous.
    C’est dans cet état d’esprit que
nous vous rejoignions, tout en ayant la conviction que ni les discours
trompeurs, ni les alliances contre nature et partisane ne peuvent venir
à bout de nos luttes communes.
    Chères camarades de luttes, d’Amour,
d’Amitié et de liberté, nous sommes là
à vos côtés et ensemble dans les mêmes luttes
ici ou là-bas.
    Avec vous nous luttons pour une réelle
égalité dans les institutions politiques, pour
l’égalité des salaires entre hommes et femmes,
contre toutes les publicités sexistes, pour protéger des
droits durement acquis, aujourd’hui fortement menacés (le
Planning Familial privé de son financement, la loi 1905
menacée…), avec vous et ensemble contre la
marchandisation des corps des femmes et contre toutes les violences
faites aux femmes tous les jours. Nous sommes avec vous, à vos
côtés et ensemble, mais vous, l’êtes-vous
réellement ?

Chères amies

Nous sommes arrivées avec les mêmes désirs de
liberté, les mêmes regards portés sur le
présent et l’avenir. Un avenir
d’égalité hommes-femmes,
d’égalité
hétérosexuelle·s / homosexuel·le·s
et d’égalité sociale ; mais, voilà,
aujourd’hui, vos regards se détournent de nous, vos mains
se tendent à celles et ceux qui nous obligent à
l’exil, votre fascination va vers celles et ceux qui placent les
« lois divines » au dessus de tout.
    Des « lois divines »
où charité ne peut pas rimer avec solidarité
citoyenne. L’égalité des sexes ne peut pas se
conjuguer avec patriarcat et suprématie de l’homme.
Homosexualité et libres désirs ne peuvent pas se
retrouver dans le même lit que procréation et soumission.
    … Aujourd’hui, il est encore temps de
nous ressaisir, de redonner au féminisme ses véritables
fondements et sa vocation universaliste en tant que femmes de gauche
luttant pour les droits de toutes les femmes, où qu’elles
soient et quelles que soient leurs origines ou leurs couleurs en ayant
toujours à l’esprit que les lois doivent être
là pour garantir les libertés de conscience et
empêcher que les lois et les règles communautaristes ne
redonnent toute sa place au patriarcat.
  
    N’existe-t-il pas des lieux, des structures et
des groupes qui portent différentes luttes quelles que soient
les valeurs que nous défendons ? Aujourd’hui, au nom des
valeurs et des luttes et du projet de société que nous
partageons avec vous, nous vous interpellons haut et fort pour nous
répondre et nous expliquer votre fascination pour des femmes qui
mettent la loi divine au-dessus
de tout. Au nom de ces dernières, les femmes sont tout simplement niées dans leur existence.
    […] Il nous arrive, parfois, de nous
questionner sur la place des chercheuses féministes, leurs
démarches par rapport aux appels à projets et aux
commandes des institutions, la laïcité étant
menacée de toute part.
    Nous vous interpellons, car notre place est avec vous et votre combat est avec nous.
Nous, Féministes laïques,
Chères amies, à bientôt…



Féministes laïques algériennes et iraniennes

(intertitres et coupures de la rédaction)