Histoire: en 68, un 1er Août chahuté

Histoire: en 68, un 1er Août chahuté

En complément d’un
article sur 1968 à Neuchâtel, un rappel d’une action
menée le 1er août 1968 par le Comité d’action
pour une réforme universitaire (CARU). Ainsi que la
réaction
du journal
local – fort à droite –, la « Feuille
d’Avis de Neuchâtel ».

Ce jour-là, après l’allocution du conseiller aux
Etats libéral Blaise Clerc, « une voix un peu
molle, portée par un haut-parleur, monta de la foule face
à la tribune officielle, entre celle-ci et le lac. […] Le
moment de surprise passé et M. Henri Verdon 1, directeur de
police, ayant pris les mesures qui s’imposaient, les
organisateurs firent jouer les musiciens pour couvrir la voix du
haut-parleur. Dans l’intervalle, la police avait identifié
les perturbateurs. On vit alors M. F.J., étudiant à
l’université et, par ailleurs, président du CARU,
sortir de la foule entre quatre agents. […] Interrogés au
poste, M. F.J.2 et quatre de ses amis ont été
relâchés dix minutes plus tard » (C.-P.
Chambey, « Intolérable muflerie »,
FAN, 2.8.1968).
    Bien qu’accusés
d’« avoir perturbé une manifestation publique
dûment autorisée », les membres du CARU
n’ont finalement pas été poursuivis en justice,
à notre connaissance.
    Le « plus ancien journal de langue
française » s’était borné
à fustiger les contestataires, sans publier leur avis exhaustif.
Une lacune enfin comblée 41 ans plus tard.


Hans-Peter Renk

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« Vivent les Suisses !

La nuit tombée, vous êtes venus, avec vos enfants, votre
famille, votre amour pour la patrie, participer à la
célébration de votre fête nationale. La nuit
tombée, vous êtes venus, emportant avec vous votre
passé, proche et lointain, quelques chansons, quelques figures
légendaires, Tell, Nicolas de Flüe, peut-être
même une des phrases du serment que vous voulez commémorer
et perpétuer. Et c’est vrai, il y aura bientôt sept
cents ans que, sur la prairie du Grütli, par un pacte, un
système d’union jurée, nos pères nous ont
créé et donné plus qu’une nation, une
histoire. C’est l’histoire d’un peuple libre et
heureux qui, d’ores et déjà et pour toujours, a son
histoire. C’est l’histoire d’un peuple libre et
heureux qui, chaque année, veille à s’embaumer par
un passé qu’il trouve privilégié et par
conséquent réconfortant. C’est l’histoire
d’un peuple libre et heureux qui refuse les questions que lui
pose le monde qui l’entoure, qui refuse ses propres
questions !

Etre libre et heureux quand on nous cache :

– que nous participons à la mainmise sur le Tiers-Monde
– que nous exploitons ici dans notre pays les travailleurs
– que tout un système, avec des moyens publicitaires
inouïs, nous propose une conception du bonheur qui vise à
faire de nous de petits objets aux réflexes conditionnés
– que la culture dispensée dans nos écoles est une
culture de consommation, donc non consciente d’elle-même et
réservée à une minorité bourgeoise
– que l’inertie économico-culturelle
précédemment décrite a gagné nos structures
politiques.

Comme la liste pourrait s’allonger, de même votre surprise grandirait.

    Oui, sans doute, êtes-vous
étonnés : vous entendez deux voix ! Comment
quelqu’un ose-t-il parler alors que les autorités le
font ? Oui, sans doute, vous indignez-vous. Pourquoi
dévoiler, alors que tout concourt à vous tromper et
à vous faire croire qu’un certain lyrisme et un confort
certain signifient bonheur et liberté. Loin de nous cependant
l’idée de vouloir supprimer la fête nationale, mais
ce que nous voulons, c’est en changer la signification :
il faut qu’elle permette à chacun des participants non
plus de croire que la configuration géographique de notre pays
suffit à équilibrer nos structures politiques et à
les rendre éternelles, mais de comprendre l’urgence et la
nécessité du choix.

Vous entendez deux voix… Que voulez-vous ?

– Un homme au service de l’économie ou une économie au service de l’homme ?
– Perpétuer un savoir irréel et trompeur ou donner
à la culture sa dimension sociale, la seule qui peut proposer et
réaliser un monde nouveau ?
– Vous laisser enchaîner ou soutenir notre lutte,
puisqu’elle est la seule chance de salut pour des millions
d’hommes, puisqu’elle est notre seule chance
d’exister, et puisque ce soir exister, c’est d’abord
dénoncer les haut-parleurs officiels ? »

CARU (Comité d’Action pour une Réforme Universitaire)