Les camps « action climat »: une nouvelle culture militante ?

Les camps « action climat »: une nouvelle culture militante ?

Contre toute attente dans un pays qui se chauffe encore en partie au
charbon et qui se place parmi les plus gros émetteurs
européens de gaz à effet de serre, un mouvement politique
activiste se développe en Grande-Bretagne depuis trois ans
autour du climat et de la crise écologique. Mais à la
différence de bien des luttes écologistes historiques, il
est d’abord né d’une forme, conçue par ses
initiateurs comme un levier de mobilisation, mais aussi comme une fin
en soi : les camps « action climat ».

Issus de la déception des anti-G8, ces rassemblements veulent
conjuguer activisme, expérience de vie alternative, et partage
de savoirs. Ils refusent le discours sur l’environnement et se
veulent un nouveau mouvement social du climat. Avec une identité
politique délibérément flottante entre
anticapitalisme, anarchisme, permaculture 1 et
décroissance. En France s’ouvre le 3 août le premier
camp climat hexagonal, pour s’opposer à la construction de
l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. […]

Faciliter l’apprentissage de l’action directe

Activisme, expérience de vie alternative, partage de
savoirs : tels sont les trois pieds des climate camps. Le
quotidien The Independent publie cette une stupéfaite :
c’est « un mélange surréaliste de
Glastonbury 2, de droits civiques et de
séminaire scientifique ». La dimension
éducative du camp est très importante note l’un des
initiateurs, elle fait toute la différence, car elle permet
à des personnes qui n’ont jamais fait d’action
directe, sans expérience militante solide de participer et
d’y trouver leur compte.
    Comme dans les années 90 le mouvement Reclaim
the streets se réappropriait l’espace de la rue, une
autoroute ou le quartier de la City pour en contester l’usage
consumériste, les climate camps britanniques prennent, eux, des
terres, squattées le temps du rassemblement. Jusqu’au
dernier moment, le lieu est tenu secret. Illégalité de
l’occupation, illégalité des actions
entreprises : les rapports avec la police sont tendus.
[…] En 2008, le campement de Kingsnorth est harcelé par
les forces de l’ordre qui le survolent de nuit en
hélicoptère pour en réveiller les occupants et
menacent d’y pénétrer à peine l’aube
venue. Les fouilles systématiques des arrivants et sortants
rendent les déplacements plus difficiles et créent un
sentiment d’état de siège.[…] Parmi les
campeurs, la crainte des arrestations est palpable et occupe les
conversations. Les moins aguerris perdent en motivation. Au
désespoir de l’un des initiateurs :
« mais le principe de la désobéissance
civile c’est de se faire arrêter pour bloquer le
système judiciaire ! »
L’œcuménisme militant du village du climat achoppe
ainsi parfois sur ses propres contradictions. La cause du climat ne
libère pas, comme par magie, des tensions classiques de
l’espace militant.

Anticapitaliste ou non ?

Un autre espace de conflit théorique est assez vite apparu, plus
fructueux celui-là : le rapport au capitalisme. Le
climate camp est-il anticapitaliste ? Bien sûr,
répondent certains. Je ne me reconnais pas dans ce mot,
réagissent d’autres. C’est notamment le cas
d’un permaculteur qui s’en ouvre en atelier lors
d’une discussion sur le mouvement du climat. Pas sa culture, pas
son vocabulaire, pas son horizon politique. Il travaille la terre,
s’attache à repenser le rapport de l’homme à
la nature de la manière la moins coloniale, la moins agressive
possible. Pense des systèmes énergétiques sans
externalité négative sur
l’écosystème. Pratique une agriculture
saisonnière, en touchant le moins possible à son sol. En
le recouvrant au lieu de le labourer. Fait ainsi revivre des espaces
animales et végétales. Crée des bulles de
résistance au rythme urbain, aux agressions du modèle
industriel, au consumérisme. Il n’est pas capitaliste.
Mais pas non plus anti. Il trouve sa place dans le mouvement du climat,
mais n’est pas forcément sûr d’être de
gauche – sans doute encore moins de droite. Et cela ne lui pose
aucun problème.
    Nous sommes anticapitalistes, mais pas
explicitement, réfléchit l’un des initiateurs du
camp, pas du tout gêné par le positionnement
extrapolitique du permaculteur. En Grande-Bretagne, le mouvement
écolo est assez anticapitaliste, mais nous ne voulions pas en
faire une condition des camps « action
climat ». Nous voulions un espace plus ouvert. Un
positionnement plus subtil. Et notre gauche s’est historiquement
peu intéressée à l’environnement.[…]
    L’un d’entre eux raconte. Il vient des
mobilisations antiguerre. Mais ce mouvement ne grandit plus. Je
n’y apprenais plus rien de nouveau. Le climate camp
m’intéresse, car les actions y sont créatives.
Avant une manifestation antiguerre, je pouvais prédire ce que
seraient les slogans. Combien de personnes seraient là. Ce
qu’elles feraient. Là, je suis constamment surpris.
C’est rafraîchissant. Et c’est encourageant de se
compter si nombreux dans les réunions de préparation.
    Un autre nouveau jeune organisateur
s’interroge à son tour sur l’identité
politique des climate camps : il y a beaucoup
d’anticapitalistes dans les climate camps. Mais nous utilisons un
autre langage. Nous ne parlons pas de révolution,
d’abattre le capitalisme. On utilise un vocabulaire normal, moins
marqué. Plus neutre. C’est une approche plus douce, utile,
mais qui peut aussi poser problème. C’est pourquoi cette
année nous allons insister sur la critique de la finance
carbone. 

Jade Lindgaard *

* Journaliste à Mediapart, membre du comité de
rédaction de la revue Mouvements, co-animatrice du blog Impasse
du pétrole (http://impassedupetrole.info). Le titre et les
intertitres sont de la rédaction. Le texte complet de son
article se trouve sur le site de la revue Contretemps: http://contretemps.eu



1    La permaculture est un ensemble de pratiques et de
modes de pensée visant à une intégration
harmonieuse des activités humaines avec les
écosystèmes naturels.
2    Paléo britannique, en plus rock et plus anticonformiste.