L’apartheid dans les transports en Cisjordanie

L’apartheid dans les transports en Cisjordanie

Certaines grandes autoroutes
israéliennes comme la 443 Tel Aviv–Jérusalem et la
60 Bethlehem–Jérusalem sont strictement
réservées aux Israéliens et aux Palestiniens
bénéficiant d’un permis de résidence
à Jérusalem. Mais la vaste majorité des
Palestiniens de Cisjordanie doivent emprunter des routes secondaires,
souvent en mauvais état, ou des itinéraires alternatifs
beaucoup plus longs.

Les terres sur lesquelles ces autoroutes ont été
construites ont été confisquées aux
Palestinien·nes. La Cour Suprême d’Israël avait
approuvée leur expropriation « pour autant que
celle-ci profiterait à la population locale ».
Pourtant, en 2002, pendant la deuxième Intifada,
l’armée en a interdit l’accès aux
Palestinien·nes pour des « raisons de
sécurité ». Ainsi, depuis de nombreuses
années, la population israélienne est seule à
circuler sur des autoroutes bien entretenues où la circulation
est fluide. Grâce aux tunnels et aux murs de protection le long
de l’autoroute, ils évitent la vue des villages
palestiniens. En effaçant les noms de ces villages des panneaux
routiers, leurs habitant·e·s sont devenus invisibles
à la grande majorité des Israélien·nes.
Ainsi, le maire d’Effrata, une importante colonie du sud de
Bethlehem, peut-il affirmer qu’il n’y a pas de
Palestinien·nes à proximité en oubliant les sept
villages voisins. Et c’est sur leurs terres que la colonie a
été bâtie.

Une première victoire

Le 29 décembre 2009, la Cour suprême a rendu une
décision favorable à une association israélienne
des droits civils qui représentait les Palestinien·nes.
Les juges ont estimé qu’à l’heure actuelle,
il n’y avait aucune raison d’interdire l’accès
à l’autoroute 443 aux Palestinien·nes. De plus,
selon les juges, l’armée n’était pas
habilitée à imposer une telle interdiction en Cisjordanie
car cela transformait, dans les faits, la rue en une route
désignée exclusivement pour un trafic israélien
« interne ». Le jugement donne au
gouvernement israélien cinq mois pour le respecter.

Comme l’écrit Gideon Lévy :
« Cette autoroute symbolise toute l’histoire. Ils
goudronnent une route, exproprient la terre palestinienne et ensuite la
Cour Suprême approuve l’expropriation « pour
autant que cela profite à la population locale …
Ensuite, ils interdisent à « la population
locale » l’utilisation de la route, et finalement
ils construisent un mur décoré de dessins de ruisseaux et
de prairies. Pour que nous ne voyions pas et que nous ne sachions pas
que nous circulions sur une route d’apartheid, que nous voyagions
sur l’axe du mal » (Haaretz, 30 déc. 2009).

Certes, il faut saluer ce nouveau jugement de la Cour Suprême.
Mais il ne concerne qu’une infime partie des problèmes
auxquels sont confrontés la majorité des
Palestinien·nes dans leurs déplacements quotidiens. En
effet, en Israël et en Cisjordanie, l’ensemble des
transports, que ce soit l’avion, les transports collectifs et la
voiture, sont régis par une politique de
ségrégation à l’égard des
Palestinien·nes.

Ségrégation généralisée

L’aéroport international Ben Gurion est ainsi
réservé aux Israélien·nes et aux
Palestinien·nes au bénéfice d’un permis de
résidence à Jérusalem. A cause de cette
restriction, la grande majorité des Palestinien·nes qui
doivent aller à l’étranger sont obligés de
passer par la Jordanie en empruntant le plus souvent le Pont Allenby.
Là, ils sont soumis à un contrôle strict avant de
pouvoir quitter le pays. Les attentes sont interminables, les refus
fréquents. Acheter des billets à des tarifs attractifs
devient tout simplement impossible dans de telles conditions.

La notion de libre circulation n’existe pas pour les
Palestinien·nes de Cisjordanie. Les hommes de moins de 50 ans et
les femmes de moins de 45 ans sont ainsi interdits
d’entrée à Jérusalem sans permis
spécial (de durée limitée et difficile à
obtenir). Il est ainsi impossible de rendre visite aux membres de sa
famille à Jérusalem ou d’aller prier à la
Mosquée Al Aqsa, troisième lieu saint du monde musulman.
De même, toute démarche administrative – demande de
visa, dépôt de projets, etc. – à
Jérusalem est un parcours du combattant pour les
Palestinien·nes de Cisjordanie. Il faut trouver un
« ayant droit » pour amener les documents et
les rechercher quelques semaines plus tard. Lors du dernier mois de
ramadan, les checkpoints de Bethlehem ouvraient souvent avec retard le
vendredi matin, empêchant les Palestinien-nes de plus de 50 ans
d’arriver à La Mosquée Al Aqsa à temps pour
la prière.

Circulation entravée

Avec une voiture munie de plaques israélienne, le voyage entre
Bethlehem et Jérusalem ne prend que 15 minutes sur la route 60.
Mais les Palestinien-nes arrivant du sud de la Cisjordanie doivent
franchir un checkpoint près de Bethlehem. Tout le monde doit
descendre du car qui est fouillé de fond en comble. Ensuite, les
cartes d’identité et les permis spéciaux, sans
parler des sacs à dos, sacs à main et paquets, sont
examinés soigneusement. Tout ceci peut prendre 20 minutes ou des
heures, selon la circulation et l’humeur des jeunes soldats
israélien·nes. Il arrive qu’une fois le checkpoint
passé, le car soit de nouveau arrêté par un
checkpoint « volant », quelques
kilomètres plus loin. Pour les Palestinien·nes qui
travaillent à Jérusalem ou les
étudiant·e·s de l’université de
Jérusalem, il n’y a aucune garantie d’arriver
à l’heure

La situation est identique pour les Palestinien-nes qui doivent se
rendre à Hébron pour le travail où leurs
études. Vu la tension extrême causée par la
présence de colons extrémistes, l’accès
à la ville est souvent fermé pendant plusieurs heures.
Tout voyage du nord au sud est entravé de surcroît par le
Mur et de nombreux checkpoints. Alors que seulement 30
kilomètres séparent Bethlehem de Ramallah, les
Palestinien·nes doivent faire un immense détour à
l’Est afin de contourner la ville de Jérusalem et les
colonie d’Ma’ale Adumin. La route est tortueuse par les
collines. Les embouteillages ralentissent le trafic dès
l’approche de Ramallah et l’on ne peut jamais savoir
combien de temps le trajet va prendre.

Le nouveau tramway léger de Jérusalem en fin de
construction est un dernier exemple de cette politique de
séparation. Son tracé relie Jérusalem Ouest aux
colonies de Psgat Zeer, French Hill et Neve Yaakov, implantées
illégalement sur les Territoires Occupées. Par contre, il
n’y a pas d’arrêt dans les quartiers palestiniens.
Grâce à une mobilisation internationale autour de la
campagne BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanction), la
compagnie française Veolia, a dû se retirer du projet en
2009.

Appeler un chat un chat

Deux systèmes de transport : l’un moderne,
entretenu, réservés exclusivement aux
Israélien·nes (et quelques milliers de Palestinien-nes
résidant à Jérusalem), l’autre
vétuste, non fonctionnel, engendrant des pertes de temps et
d’argent très importantes à des dizaines de
milliers de Palestinien·nes. Ces deux systèmes sont le
résultat d’une politique de séparation que
l’on doit qualifier d’apartheid. L’usage de  ce
terme est-il excessif? Giddeon Levy, citoyen israélien,
journaliste d’Haaretz, n’hésite pourtant pas
à l’utiliser.

De même, l’Association Israélienne pour les Droits
Civils (ACRI), dans son rapport 2008 publié à
l’occasion du 60e anniversaire de la Déclaration
universelle des droits de l’homme, écrit que les colonies
juives en Cisjordanie « ont crée une situation de
discrimination et de ségrégation
institutionnalisées. La discrimination perceptible au niveau des
services, des budgets, et de l’accès aux ressources
naturelles entre les deux sociétés sur le même
territoire constitue une nette violation du principe
d’égalité qui rappelle à beaucoup
d’égards et de façon de plus en plus
prononcée le régime d’apartheid jadis
appliqué en Afrique du Sud » (Nouvel Observateur,
« Apartheid en Cisjordanie ? », 11
déc. 2008). Shulamit Aloni, ancienne Ministre israélienne
de l’éducation du gouvernement d’ Y. Rabin ne
titre-t-elle pas l’un de ses articles: « Oui, il y a
un apartheid en Israël » (Counterpunch, 8 janv.
2007) ?

    Si ces différents acteurs
isra-élien·nes, témoins directs de la situation en
Cisjordanie et à Gaza, qualifient la situation
d’apartheid, n’est-il pas temps pour nous qui soutenons la
cause palestinienne en Europe, d’appeler un chat un chat.


Mary Honderich*

* De retour d’un séjour de trois mois dans un village de Cisjordanie où elle a enseigné aux adultes.