Marisa Pralong : la lutte continue !

Marisa Pralong : la lutte continue !

Depuis février 2009, Marisa Pralong est en conflit avec Manor
suite à un licenciement antisyndical. Portée devant la
justice, cette affaire vient de subir un nouveau rebondissement. La
Chambre des relations collectives de travail (CRCT) a en effet
décidé que la déléguée syndicale
UNIA ne pouvait être réintégrée par son
ancien employeur. Si le jugement reconnaît en substance le
caractère antisyndical du licenciement, c’est une question
de procédure qui autorise les juges a tranché en
définitive en faveur de Manor. Le syndicat n’a en effet
pas la qualité pour réclamer la réparation
d’un dommage subi par l’un de ses membres. Entretien avec
Joël Varone, secrétaire syndical à UNIA pour le
secteur de la vente.

Vous attendiez-vous à ce jugement ?

Joël Varone :
Quiconque connaît le droit du travail, et particulièrement
le droit du travail en Suisse, sait qu’il n’y a pas
grand-chose à attendre de la justice et qu’il faut au
contraire la pousser sans relâche à faire
reconnaître les droits des salarié·e·s.
C’est bien dans ce but que nous avons déposé
plainte auprès de la Chambre des relations collectives de
travail (CRCT). Après avoir, dans un premier temps,
ordonné à Manor de réengager Marisa Pralong, le
jugement de la CRCT établit aujourd’hui que la
réintégration d’un·e
délégué·e licencié en raison de son
activité syndicale entre en contradiction avec le Code des
obligations. En juin de l’année passée, le Conseil
fédéral répondait à l’OIT qu’il
n’entendait pas modifier la législation mais qu’il
se proposait d’aider les « partenaires
sociaux » à prévoir des clauses de
réintégration dans les Conventions Collectives de Travail
(CCT). Une voie illusoire qui est aujourd’hui cassée
frontalement par la CRCT. Afin de respecter les Conventions
internationales dont elle est signataire, la Suisse devra passer par
une modification de sa législation.

Un recours au Tribunal Fédéral est-il envisagé ? Que peut-on en attendre ?

JV : La CRCT convient
que notre déléguée syndicale a bien
été licenciée abusivement pour ses
activités syndicales, et que Manor a contrevenu ce faisant
à la Convention collective de la vente. Elle a néanmoins
estimé que le syndicat n’avait pas qualité pour
agir puisque, selon la CRCT, il s’agissait d’un cas
individuel. Or, le licenciement de cette déléguée
s’est fait précisément au moment où des
démarches étaient entreprises en vue de la
création d’une commission du personnel. En bref, le
licenciement de Marisa Pralong porte préjudice à
l’ensemble de l’organisation syndicale. Manor s’en
est d’ailleurs largement servi pour faire régner la peur
et geler toutes avancées possibles dans l’organisation
syndicale des vendeuses et des vendeurs. Les motifs d’un recours
au Tribunal fédéral existent donc bel et bien. Nous nous
laissons en outre quelques jours pour envisager
d’éventuelles autres démarches.

Au vu des conclusions du jugement, peut-on dire qu’UNIA aurait pu faire un autre choix tactique ?

JV : Le licenciement
d’un·e délégué·e syndical a
des répercussions sur toute l’organisation syndicale. En
ce sens, la voie de la CRCT était des plus légitimes. De
surcroît, seul un passage auprès de la CRCT permettait de
demander la réintégration provisionnelle de notre
déléguée, ce que nous avons obtenu. Enfin, nous
disposons d’un jugement qui peut nous être utile pour de
prochaines démarches puisqu’à nouveau les arguments
fallacieux et diffamatoires de Manor ont été
balayés ; la CRCT ayant reconnu le caractère
antisyndical du licenciement.

Il semble plus nécessaire que jamais de renforcer les droits
des salarié-e-s sur le plan fédéral. Comment aller
de l’avant ?

JV : Depuis
février de l’année passée, notre campagne a
indéniablement relancé sur la place publique la question
du manque de protection légale des
délégué·e·s syndicaux ; elle a
également eu pour effet positif de pousser les autres
régions et centrales syndicales à rendre publique toute
une série de licenciements antisyndicaux. De là est aussi
partie la pétition signée par 1 234
délégué·e·s du personnel, remise en
février dernier au Conseil fédéral, qui demandait
le respect des Conventions de l’OIT en matière de
protection des délégué·e·s. Cette
démarche est une première afin de populariser et
d’ancrer auprès des salarié·e·s des
questions liées à des droits fondamentaux qui ont souvent
été vus comme trop
« techniques » pour être
débattus par les militant·e·s.

Quelle sera la conséquence immédiate du jugement de
la CRCT sur l’activité syndicale dans les grands
magasins ?

JV : A
l’échelle de l’entreprise Manor, le fait que notre
déléguée n’a finalement pas pu être
réintégrée est un coup de massue pour le personnel
de la vente. Le jugement de la CRCT, malgré ses quelques aspects
positifs, sanctionne l’absence de liberté
d’expression pour les vendeuses en rendant possible et effectif
le licenciement d’une vendeuse officiellement pour le simple fait
d’avoir répondu à une interview de la Tribune de
Genève. En tant qu’organisation syndicale, nous ne pouvons
nous permettre de rester les bras croisés. Le renforcement des
droits syndicaux doit être d’autant plus la priorité
d’un syndicat que ce dernier ne peut fonder sa force que sur la
capacité de mobilisation et d’organisation de ses membres,
contrairement à ce que des décennies de
« partenariat social » et de
« paix du travail » ont pu laisser croire
à certains.

Propos recueillis par Maxime Clivaz et Giulia Willig