Commerce de détail: profits et exploitation

Commerce de détail: profits et exploitation



Dans quelques semaines, la
majorité bourgeoise du Grand Conseil genevois votera une
extension des heures d’ouverture des commerces pour
répondre au désir de la grande distribution.
 Afin
de préparer la lutte, il est urgent de démêler les
mécanismes capitalistes en œuvre dans la
réorganisation du commerce de détail.

Pour comprendre les logiques et intérêts capitalistes qui
poussent actuellement à la libéralisation en continu des
horaires des commerces, il faut se pencher sur l’évolution
de ce secteur au cours des dernières décennies. En effet,
qu’il s’agisse de l’exploitation intensive
d’ouvrier·e·s agricoles hyper
précarisés, de la mise sous pression de la petite
paysannerie et de fournisseurs industriels, ou
d’opérations de rationalisation du travail du personnel de
la vente les mêmes intérêts sont en œuvre.

    La réalité du commerce de
détail n’a plus rien à voir avec celle d’il y
a 50 ans. La réorganisation capitaliste de la branche, via des
opérations de concentrations d’entreprises individuelles
et isolées en passant par des rachats pour donner naissance
à des géants de la distribution, est impressionnante.

Un monde réorganisé par le capitalisme

Aujourd’hui, la plus grande entreprise au monde n’est autre
que Wal Mart avec près de 2,1 millions
d’employé·e·s et un chiffre d’affaire
de 450 milliards de francs. Carrefour, autre géant mondial de la
grande distribution, n’est pas en reste avec quelques
500 000 employé·e·s et un chiffre
d’affaire de 86 milliards de francs. En 50 ans, les
entreprises de la grande distribution se sont concentrées sur
des échelles nationales de telle sorte qu’elles figurent
parmi les plus grands employeurs de la plupart des pays. C’est
bien sûr le cas de Wal Mart pour les Etats-Unis et de Carrefour
pour la France, mais c’est aussi celui de Migros pour la Suisse
(avec 83 000 employé·e·s).

    Cependant si, jusqu’à présent,
les stratégies de développement de la grande distribution
ont touché essentiellement les aires géographiques
nationales par le biais de fusion ou de rachat (comme
dernièrement le rachat de Denner par Migros ou celui de Fust par
COOP), depuis un peu plus d’une décennie, elles tendent
vers une transnationalisation des activités de la grande
distribution. Cette transnationalisation a évidemment
commencé bien plus tôt s’agissant du recours
toujours plus fréquent à des fournisseurs provenant de
pays aux législations sociales lacunaires (Wal Mart s’est
développé aux Etats-Unis avec des produits low cost
fabriqués notamment en Chine, alors que les autres chaînes
continuaient à se fournir sur le marché local ; dans les
magasins Migros de Genève, 80 % des fruits sont
importés ; la boucherie Bell – du groupe COOP – a
ses propres usines de production en Hongrie). Aujourd’hui, la
volonté de développer les réseaux de vente
au-delà des frontières est plus que jamais au centre de
l’agenda économique de la grande distribution.

Des profits colossaux

Au vu de ces phénomènes internationaux de concentration,
il n’est guère étonnant que les patrons ou les
détenteurs de ces groupes figurent parmi les personnes les plus
riches de la planète. La famille Albrecht, qui contrôle
Aldi, se partage 45 milliards de francs suisse, quant au patron de
Zara, il possède la plus grande fortune d’Espagne avec
28,5 milliards de francs. La grande distribution suisse n’est pas
en reste dans l’accaparement des richesses avec les 2-3 milliards
de fortunes des familles Maus et Nordmann (Manor), le milliard de la
famille Gaydoul (Denner) ou les 800 millions de la famille Baud (PAM)
sans oublier les 100 à 200 millions de la famille Brunschwig
(Bon Génie).

    Au-delà de leur forme coopérative
particulière, les deux géants suisses de la grande
distribution, COOP et Migros, ont aussi rigoureusement adapté
leur fonctionnement au marché capitaliste. En témoigne
l’accumulation des bénéfices de ces
dernières années : un bénéfice
cumulé de 2,3 milliards de francs pour COOP de 2003 à
2009 et de 4,8 milliards pour Migros pour la même période.

Intensification du travail et précariat

Les richesses accumulées par ces familles l’ont bien
évidemment aussi été sur le dos du personnel. A
Genève, le salaire médian des vendeuses et vendeurs
progresse moins vite que l’indice des prix à la
consommation de 2000 à 2008. Au niveau national,
l’évolution est tout juste supérieure alors que la
productivité horaire du personnel a augmenté de
2,4 % par an durant la même période (contre
0,8 % pour le reste de l’économie).

L’intensification du travail est particulièrement visible
chez COOP, qui a eu recours ces dix dernières années
à un emploi massif de personnel payé à
l’heure. Dans la présentation des résultats de
2009, le PDG de COOP se vantait du fait que la productivité
horaire du personnel ait crû de 37 % depuis 2003 :
« Ces chiffres reflètent la mise en oeuvre
d’un vaste arsenal de mesures de rationalisation. »

    Sous couvert d’augmenter le confort des
consommateurs, une extension des heures d’ouverture des commerces
ne fera qu’augmenter le chiffre d’affaire de ces groupes et
la fortune de leur détenteur. Le tout au détriment des
salarié·e·s du secteur. Nous avons affaire au
même mécanisme de recours au consommateur·trice que
pour la vente de produits industriels bas de gamme. Sous couvert
d’offrir aux couches populaires les joies du consumérisme,
la nourriture et les produits bas de gamme ne font que remplir les
poches de milliardaire. On est loin d’une stratégie
Win-Win…

    Une opposition à l’extension des heures
d’ouverture des commerces peut au contraire se concevoir comme
une remise en cause du système de grande distribution
privée qui s’est mis en place ces dernières
décennies. Affaire à suivre.

Joël Varone