Le marxisme humaniste de Raya Dunayevskaya

Le marxisme humaniste de Raya Dunayevskaya



Cette année, on
célèbre le centenaire de la naissance de la
théoricienne marxiste Raya Dunayevskaya (1910–1987).
C’est l’occasion d’évoquer cette figure
révolutionnaire et son apport au marxisme. Nous traduisons
ci-dessous l’article que lui a consacré Gilberto
López y Rivas, membre du Parti de la Révolution
démocratique, dans la revue mexicaine « La
Jornada » le 2 avril 2010.

Née en Ukraine, Raya Dunaevskaya s’installe avec sa
famille aux Etats-Unis en 1922. En 1937, on la retrouve au Mexique,
secrétaire en langue russe de Trotsky, avec lequel elle rompt
néanmoins en raison de divergences politiques sur la
caractérisation de l’Union sovié­tique :
elle pensait, surtout après le pacte de non-agression
Hitler-Staline en 1939, que la Russie n’était plus un Etat
des travailleurs ; le fondateur de l’Armée rouge estimait,
quant à lui, qu’il s’agissait toujours d’un
Etat ouvrier, mais dégénéré. En 1938, Raya
regagne les Etats-Unis, où elle mène une intense
activité politique et où elle poursuit une production
intellectuelle importante, toutes deux en rapport avec la revue News
and Letters, expression du courant marxiste-humaniste qu’elle
fonde dans les années 1950, car selon elle Marx ne nomme pas ses
nouvelles élaborations théoriques matérialisme ou
idéalisme, mais humanisme.

Avant-gardisme ou spontanéité des masses

Partant de l’idée que la théorie ne peut se
développer pleinement qu’en reposant sur l’action ou
la pensée des masses, elle relève que l’aspect
fondamental pour Marx consiste à voir l’être humain
non comme un simple objet, mais comme un sujet qui fonde
l’histoire et n’est pas seulement déterminé
par elle. 

    D’où sa critique radicale de
l’avant-gardisme : les masses paysannes ou
prolétaires forgent-­elles l’histoire, ou leur
incombe-t-il seulement de se soumettre à une direction ?
Doivent-elles être passives au lendemain de la
révolution ? Ainsi Raya condamne sans trêve le
stalinisme parce que, selon elle, ce régime a
étouffé la spontanéité des masses : il
a tant et si bien absorbé les syndicats et toutes les
organisations ouvrières, que la propriété
étatique, le plan étatique, le Parti sont devenus des
fétiches auxquels les travailleur-euses ont donné leur
vie.

Le sujet auto-développé au cœur de la révolution

Tout comme Lénine, Raya Dunayevskaya croit à la
nécessité d’une nouvelle impulsion théorique
fondée sur les sujets auto-développés comme les
masses, le prolétariat, la paysannerie et les
nationalités opprimées. En cela, elle diverge de Trotsky
qui n’attribue à la paysannerie aucune conscience
nationale et la gratifie moins encore d’une conscience socialiste.

    La révolutionnaire marxiste estime, au
contraire, que l’initiative politique n’est pas toujours le
patrimoine exclusif de la classe ouvrière. Si les masses sont le
sujet, alors la révolution doit être analysée non
à partir de la direction, mais du sujet
auto-développé. Or  Trotsky s’est toujours
trop préoccupé du problème de la direction, en y
subordonnant le sujet auto-développé.

    Dans cette perspective – fort utile pour
l’analyse des indigènes comme sujet
auto-développ頖 sa critique de
l’étatisme est très intéressante :
« Le subjectivisme petit-bourgeois »,
affirme-t-elle, « a toujours fini par s’accrocher
à un pouvoir d’Etat déterminé, et il
l’a fait surtout en cette période de capitalisme
d’Etat, dont les intellectuels sont imprégnés, par
la mentalité administrative du plan, du parti
d’avant-garde, de la révolution culturelle, comme
substitut de la révolution prolétarienne ».

    Ainsi Jean-Paul Sartre est le philosophe de la
défaite. Derrière le langage nihiliste de Sartre,
affirme-t-elle, on ne trouve… rien ; et comme il n’y a pas
de passé et que le monde actuel est absurde, il n’y a pas
de futur.

Pour un socialisme humaniste

Mao n’échappe pas aux critiques de la théoricienne
marxiste. En voulant augmenter la production, ce dirigeant a
impulsé, selon elle, un processus original d’accumulation
du capital via un capitalisme d’Etat, où le parti
détient le monopole de la pensée correcte ; celui-ci se
solde par un gaspillage humain total, le bureaucratisme et
l’inefficience. Le mot
« rétrograde » résume
réellement la pensée de Mao, car celle-ci ne
représente pas une réorganisation totale de la vie et des
relations humaines totalement nouvelles. Raya Dunayevskaya accuse le
dirigeant chinois d’avoir tourné le dos à
l’allié et au camarade vietnamien, qui livrait un combat
à mort contre l’impérialisme étatsunien, et
d’avoir fait pression pour que ce même Vietnam signe la
paix américaine. En Chine, la dialectique de la
libération a été remplacée par un
dogmatisme capricieux et arbitraire, par la fétichisation
simultanée du
« marxisme-léninisme-pensée Mao
Zedong » et de la révolution mondiale. La
dialectique a révélé l’existence de la
contre-révolution au sein de la révolution
elle-même.

    A la question, « que se passe-t-il
après la prise du pouvoir ? » Raya
répond par le caractère imprescriptible de la
spontanéité qui est non seulement inhérente au
processus révolutionnaire mais à sa trajectoire
ultérieure, tout comme  la diversité culturelle,
l’auto-développement et l’instauration d’une
forme non-étatique de collectivité. La
réinterprétation de Marx et la théorie de la
révolution développée par Raya Dunayevskaya sont
d’une importance stratégique dans les luttes pour un
socialisme humaniste, libertaire et auto-développé.

Gilberto López y Rivas

« El marxismo humanista de Raya Dunayevskaya » ; www.jornada.unam.mx.
Traduction Hans-Peter Renk ; Intertitres et cou­pures de notre rédaction.
A lire
— R. Dunayevskaya, « Marxisme et
liberté », Préface d’Herbert Marcuse,
Paris, Champ Libre, 1971.
– R. Dunayevskaya, « Trotsky,
l’homme », Cahiers Léon Trotsky,
nº 2, avril-juin 1979.
— R. Dunayevskaya, « Philosophy and
Revolution : from Hegel to Sartre and from Marx to
Mao », New York, Columbia University Press, 1989.