L’Equipe de choc de la C.I.A.
LEquipe de choc de la C.I.A.
Lorsque Hernando Calvo Opsina survole
les Etats-Unis le 18 avril 2009, lavion dAir France
à bord duquel il se trouve est détourné par les
autorités étasuniennes. La publication de son livre,
« Léquipe de choc de la CIA »,
venait dêtre annoncée dans la presse
Cest que lenquête menée par cet
écrivain et journaliste au Monde Diplomatique a toutes les
raisons de déranger les plus hautes sphères du pouvoir.
De linvasion de Cuba au scandale du Watergate, ce ne sont pas
loin dune quinzaine daffaires sales, passées sous
silence par le gouvernement étasunien au moment des faits,
quOspina retrace chronologiquement. La richesse et la
précision des informations livrées font de cet ouvrage un
bon outil de base pour la connaissance de la plus grosse machine de
services secrets au monde. Bien que lon puisse parfois regretter
le manque dapprofondissement pour certains thèmes
(normal, au vu des 170 pages), ce livre présente le
mérite de rapporter de manière simple et concise une
série de faits trop souvent méconnus.
Des méthodes bien rôdées
Qui sont donc les membres de cette « équipe de
choc » ? Il sagit dun noyau solide
dune dizaine de personnes, qui ont toutes occupé de hauts
postes à la CIA, et que lon retrouve comme fil rouge tout
au long des chapitres de ce livre, qui relatent chacun un
épisode de lhistoire
« secrète » des Etats-Unis.
Créée en 1947 sous la direction du
président Eisenhower, la Central Intelligence Agency a
jeté les bases de son fonctionnement et a commencé le
recrutement de ses « cadres » au cours de
lopération menée en 1951 au Guatemala dans le but
de renverser le président social-démocrate. Cest
un plan inédit de guerre mercenaire, paramilitaire et
psychologique qui fut alors testé pour la première fois
par la CIA et réutilisé par la suite lors de nombreuses
autres opérations clandestines : le PBSUCCESS. Ainsi, les
mêmes méthodes daction, mais aussi de propagande et
de pression, seront employées lors du « Projet
Cuba », ou plus tard encore lors de lassassinat du
Che. Au début des années 60, la plus grande base de
lAgence est mise en place en Floride : la JM/WAVE.
Véritable centre de planification et de recrutement (plusieurs
milliers dagents y firent école, dont une majorité
de Cubains), cest là que léquipe de choc se
constitue véritablement : Shackley, Clines, Dulles, Hunt,
Goss
autant dindividualités louches qui ne
cesseront jamais réellement de collaborer avec les services
secrets étasuniens. Le scénario est bien
rôdé, et il va être mis à contribution moult
fois au cours des cinquante dernières années : du
Viêtnam à lAngola, du coup dEtat contre
Allende à lassassinat du président Kennedy.
La saga Bush
Peut-être plus effrayants encore, les liens très
étroits qui existent dès le début entre la CIA et
la Maison Blanche. Lexemple le plus frappant est celui de la
famille Bush, bien que tous les présidents (Kennedy, Nixon,
Reagan) aient collaboré étroitement au cours de leurs
mandats avec lAgence. Depuis plusieurs
générations, le clan Bush possède des
intérêts financiers à Cuba au travers de grandes
industries, toutes nationalisées suite à la
révolution de 1959. De plus, les Bush entretiennent depuis
toujours des liens étroits avec la CIA. Ainsi, cest tout
naturellement que Bush père est mandaté par Nixon pour
participer au « Projet Cuba » mis en
uvre par lAgence, et quil dirigera ensuite les
opérations de soutien à la Contra (milice
contre-révolutionnaire au Nicaragua). Il est directeur de la CIA
en 1976, avant daccéder à la présidence en
1989
Et son fils reprendra les rênes du pouvoir dix ans
plus tard.
Ce que lon peut avoir du mal à
comprendre de prime abord, cest la raison pour laquelle le clan
Bush a continué à occuper de si hautes fonctions en
dépit de toutes ces guerres sales auxquelles il a
participé. En réalité, cest que lune
des procédures que lAgence et les différents
présidents ont su mettre au point de façon
extrêmement perfectionnée, cest
précisément la capacité à occulter toute
information compromettante. A coups de mensonges, dachats de
silence, de pressions ou de corruptions,
l« équipe de choc » et les
hauts dirigeants impliqués dans les affaires les plus
clandestines ont toujours réussi à échapper aux
critiques des médias et de lopinion publique. Sans parler
des mailles de la justice au travers desquelles ils passent en toute
impunité
Et quand bien même ils se sont parfois
retrouvés dans des situations délicates, la sacro-sainte
doctrine de la « sécurité
nationale » a toujours eu le pouvoir magique de justifier
leurs pires actions.
Un passé toujours présent
Aujourdhui, si une partie dentre eux sont morts, la
plupart jouissent de tous les privilèges dans de luxueuses
maisons en Floride, après avoir pendant longtemps
continué à exercer des fonctions importantes,
quelles soient politiques, au sein même de la CIA, dans
des ambassades à létranger ou encore dans de
grands groupes pétroliers. Pour ne prendre quun exemple,
retraçons la carrière de Porter Goss, membre type de
léquipe de choc : entré à la CIA en
1962, il participe aux opérations du « Projet
Cuba » visant à renverser Fidel Castro ; puis il
forme les agents chargés dexécuter le Che en 1967.
Il est également impliqué dans différentes
affaires aux Caraïbes et en Amérique centrale. En 1972, il
quitte officiellement la CIA. Il démarre alors une
carrière politique sous la bannière des
Républicains. Il est notamment maire de sa ville et, en 1988, il
est élu à la Chambre des Représentants. En 1997,
il est désigné président de la Commission des
Renseignements, ce qui le conduit, ironie de lhistoire, à
mener les audiences concernant limplication de la CIA dans le
trafic de drogue, connu pour avoir financé la Contra. Conclusion
logique ? LAgence est jugée innocente
Si
lon sait que ce mensonge a permis de sauver Bush père, on
comprend alors aisément pourquoi Goss fut nommé à
la tête de la CIA suite aux attentats du 11 septembre par
Bush fils. La boucle est bouclée. Et lhistoire promet de
se répéter
Giulia Willig
Hernando Calvo Ospina, « LEquipe de choc de la CIA », Pantin, Le Temps des Cerises, 2009.