conseil fédéral: une majorité féminine n’y changera rien

conseil fédéral: une majorité féminine n’y changera rien

L’élection le 22
septembre dernier de Simonetta Sommaruga au Conseil
fédéral porte à quatre le nombre de femmes
à y siéger. Si cette élection est une
première, et marque un progrès strictement symbolique,
cela n’arrêtera pas les attaques contre les femmes
menées avec constance par l’exécutif
fédéral.



«Avec l’arrivée
d’une nouvelle femme, le gouvernement est plus riche
d’expériences diverses, ce qui est toujours un bien pour
un gouvernement. […] Son parcours n’est pas aussi
linéaire que celui d’un homme. Il est sans doute moins
facile, plus compliqué. Et en cela, son histoire reflète
bien celle de la majorité des femmes de ce pays.
 » :
ainsi s’exprimait Ruth Dreyfuss, interrogée dans la
foulée de l’élection d’une quatrième
femme au Conseil fédéral.

Des réformes au goût de régression

Si l’ancienne conseillère fédérale a raison
de souligner le caractère « plus
compliqué » des trajectoires féminines, il
n’en reste pas moins que le parcours d’une
conseillère fédérale est sans nul doute bien loin
de refléter celui de la « majorité des
femmes de ce pays ». Si c’était vraiment le
cas, est-ce que les femmes du Conseil fédéral auraient
défendu comme un seul l’homme l’acceptation de la
quatrième révision de l’assurance
chômage ? Quoiqu’elle s’y soit opposée
avant son élection, on peut d’ailleurs parier sans risque
que S. Sommaruga participera fidèlement et sans rupture de la
sacro-sainte collégialité à sa mise en
œuvre, en compagnie de ses trois collègues. Cette
révision touchera en effet de manière
particulièrement prononcée les femmes, ces
dernières ayant davantage tendance à interrompre leur vie
professionnelle pour se consacrer aux tâches
d’éducation des enfants : elles verront leur droit
aux indemnités réduit de 240 à 90 jours lors
d’une interruption de travail due à une maternité.

    Mais la révision de l’assurance
chômage n’est pas le seul processus en cours à
discriminer les femmes. La 11ème révision de l’AVS,
actuellement en discussion dans les Chambres fédérales,
prévoit une augmentation de l’âge de la retraite
à 65 ans pour les femmes, alors même que ces
dernières ne connaissent toujours pas
d’égalité salariale ou de traitement dans le
marché de l’emploi ! (cf. solidaritéS n°
173, 16 sept. 2010) D’ailleurs, selon l’enquête sur
la structure des salaires (ESS) réalisée par l’OFS,
les inégalités salariales, à formation et à
travail égal, sont reparties à la hausse en 2009 dans le
pays. Cette aggravation des inégalités salariales est
significative : elle passe de 18,9 % à
19,3 % en défaveur des femmes. A noter que, selon les
branches, l’écart en devient vertigineux, atteignant par
exemple 25 % et 29 % de salaire en moins pour les femmes
dans les branches « industrie habillement et
fourrure », « assurances » et
« services personnels » !
(Travail.Suisse, n°18, 7 déc. 2009, Egalité des
salaires)

    Par ailleurs, selon des statistiques
récentes, les femmes totalisent en Suisse 79,2 % des
activités à temps partiel – dont on sait qu’elles
représentent les emplois les plus précarisés -,
alors que seulement 29,5 % d’entre elles travaillent
à temps plein. Des indicateurs qui montrent bien que les femmes
sont davantage victimes de conditions de travail difficiles, et
qu’elles connaissent plus de risques de licenciements.

Un Etat déficient

Ce constat d’inégalité au niveau du marché
du travail va évidemment de pair avec celui qui touche à
la manière dont l’Etat soutient les mères dans la
prise en charge des enfants. Or, sur ce plan également, les
attaques fusent : que l’on pense à la
récente proposition de l’UDC de privatiser
l’avortement, remettant en cause des acquis majeurs des luttes
féministes, ou à celle du Conseil fédéral
de réduire le crédit consacré à la mise sur
pied de nouvelles structures consacrées à l’accueil
des enfants, alors même que la Suisse se place parmi les pays
développés dont le budget consacré à
l’accueil extrafamilial est le plus faible. Cette proposition
avait d’ailleurs suscité un élan de contestation,
le 14 juin dernier, qui avait rassemblé sur la Place
fédérale des femmes venues dire leur colère face
à de telles mesures.

    De fait, si la majorité des femmes sont
aujourd’hui actives professionnellement, le monde du travail
peine toujours à s’adapter à cette
réalité, et il reste difficile pour elles de
connaître une réelle intégration dans le
marché de l’emploi, alors même que la lutte contre
les inégalités hommes-femmes ne fait pas partie des
priorités politiques. Les quatre femmes du Conseil
Fédéral, en cela strictement fidèles à
l’approche bourgeoise dominante, n’ont pour réponse
à ces inégalités que celle de la
responsabilité individuelle, réponse qui, dans les faits,
ne fait que contribuer au maintien d’un modèle patriarcal.

Une égalité qui reste à gagner

Ainsi, la récente majorité féminine au Conseil
fédéral ne peut se targuer de représenter
globalement la réalité des femmes de ce pays : au
niveau politique d’abord, le Conseil fédéral fait
désormais figure d’exception, dans la mesure où le
reste des organes décisionnels est représenté par
une large majorité d’hommes. Sur le plan économique
ensuite, les femmes connaissent des conditions professionnelles
fragilisées de manière générale, et les
fonctions dirigeantes sont essentiellement occupées par des
hommes (seules 33,4 % de femmes occupent une telle fonction).
Enfin, sur le plan familial et personnel, les femmes restent la cible
d’attaques récurrentes mettant en péril des
fondamentaux tels que le droit à l’avortement gratuit,
alors que les infrastructures censées contribuer à
l’effort des femmes voient leur financement diminuer au fil des
plans d’austérités qui ciblent les services
publics. Autant d’éléments qui laissent à
penser qu’une femme de plus au Conseil fédéral ne
changera en rien la réalité de la majorité de
celles qui subissent encore, de manière plus prononcée
qu’auparavant dans certains cas, les offensives tendant à
creuser toujours plus le fossé de
l’inégalité hommes-femmes ! 

Maïla Kocher