Liaisons dangereuses, manifs multiples et impasse libérale

Liaisons dangereuses, manifs multiples et impasse libérale



Fukushima suscite des
révélations confirmant les thèses
antinucléaires. Notamment sur le fait que les contrôles de
sécurité de la branche sont une farce.

Il y a en effet un lobby de
« nucléocrates », juges et parties,
que milles liens – y compris d’argent – attachent et
qui servent fidèlement l’industrie atomique et ses
profits… jusqu’au bord du gouffre, ou au-delà,
comme au Japon. Pour Tepco, exploitant de Fukushima, corruption et
dissimulations furent courants. Des révélations de
fausses déclarations dans des rapports d’inspections
– plus de 200 en vingt ans – avaient contraint la direction
à démissionner en 2002. En 2007, l’Agence de
sûreté industrielle et nucléaire (NISA) avait
indiqué que de 1978 à 2002, 97 incidents, dont 19
« critiques », avaient été
dissimulés !

    Parfois, mensonges ou dissimulations sont lourds
à porter : ainsi le professeur Kosako, conseiller
spécial du premier ministre japonais vient – en pleurs
– de démissionner, après la multiplication par 20
de la dose limite annuelle de radiation pour les enfants des
écoles. De 1 mSv par an elle a été
portée à 20 mSv, dose maximum pour les travailleurs du
nucléaire en France ! Le gouvernement se
justifie : les enfants pourront ainsi jouer dehors dans des
zones contaminées. Selon l’organisation de médecins
étatsuniens Physicians for Social Responsibility :
« [Vingt millisieverts] pour des enfants, les expose
à un risque de cancer de 1 sur 200. Sur deux ans
d’exposition le risque est de 1 sur 100. Ce niveau
d’exposition ne peut pas être considéré comme
« sûr » pour des
enfants… »

IFSN: le boss dégage

En Suisse, sans larmes et se justifiant encore, le président du
conseil de l’Inspection fédérale de la
sécurité nucléaire (IFSN) a été
forcé de lâcher son poste, suite aux
révélations par la Sonntagszeitung de ses liens avec les
FMB, exploitants de l’antique réacteur à
Mühleberg. En effet, Peter Hufschmied préside une
boîte massivement sponsorisée par les FMB – la
« maison tropicale » dans l’Oberland
– et a été payé par une filiale des FMB pour
un mandat « de conseil ».

    Les opposants ont donc demandé que les
membres du conseil de l’IFSN soient écartés du
dossier de Mühleberg. On ne s’étonnera pas, dans ce
contexte, du classement comme
« confidentielle » par l’IFSN
d’une expertise de 2006 sur les fissures du réacteur de
l’association allemande pour la surveillance technique TÜV
Nord. Selon ce rapport, dont le Tribunal administratif
fédéral avait interdit la consultation,
l’intégrité des tirants d’ancrage visant
à stabiliser les fissures dans le manteau du réacteur est
incertaine ! La Wochenzeitung a mis en ligne un mémoire
de l’avocat des opposants reprenant ces éléments.

Tchernobyl : 25 ans…dans la rue

Economiesuisse suivie d’organisations patronales de la
métallurgie et de la chimie sont montées ces jours au
créneau. Comme tous les pronucléaires, ils se rabattent
sur la défense, qualifiant toute décision de sortie
d’irréaliste et de prématurée.

    A l’inverse, les antinucléaires ayant
manifesté ces jours dans le pays veulent une vraie
décision de sortie du nucléaire et d’arrêt
immédiat de Mühleberg et de Beznau. Autour de
l’anniversaire des 25 ans de Tchernobyl, une grosse mobilisation
a eu lieu: marches de Pâques à Berne et à
Saint-Gall, chaîne humaine – prolongeant le campement
permanent présent depuis des semaines – autour du
siège des FMB à Berne, manif trinationale contre
Fessenheim à Bâle, centaines de
manifestant·e·s mobilisés à l’appel
de ContrAtom à Genève, où les militant-e-s de
l’association pour une OMS-Indépendante ont
manifesté devant l’OMS, contre la subordination de
celle-ci à l’AIEA… avec nombres d’autres
rendez-vous. La mobilisation a fusé, avec comme trait
réjouissant l’engagement important de jeunes ! Elle
augure bien de la grande manif nationale du 22 mai autour de Beznau.

    Mais les conséquences de la
nécessité de sortie du nucléaire n’ont pas
toutes été tirées. Du côté des
partisans de l’atome, on somme les
« antis » de
« prouver » qu’on peut compenser
l’arrêt de 40 % de la production électrique
du pays pour arriver aux mêmes enveloppes, en cumulant
économies d’énergie et nouvelles énergies.

A liquider : nucléaire et diktats du marché

Et les adversaires de l’atome montent au créneau, restant
souvent cantonnés dans le domaine technique. Or dans ce
débat il faut mettre en avant que :

    La sortie du nucléaire n’est pas un
« scénario » dont les
antinucléaires devraient « prouver »
qu’il est possible, réaliste, économique, etc. ad
nauseam avant qu’on ne s’y engage. C’est un
donné de base, un fait, auquel il faut s’adapter, sauf
à accepter le risque criminel d’un Fukushima
helvétique. La question « peut-on se passer du
nucléaire en Suisse ? » est
illégitime… autant demander si le Japon peut se passer
des six réacteurs de Fukushima.

    « Marché » et
recettes libérales ne sont pas adéquats pour gérer
ce tournant énergétique. Nous avons a contrario besoin
d’un secteur public fort, financé socialement, notamment
par l’impôt, contrôlé démocratiquement
et garant d’une politique de l’énergie socialement
juste. Il faut, en matière électrique, revenir à
un monopole de service public à 100 % et liquider la
LME-bis, si on veut pouvoir décider ensemble comment on produit,
on répartit et on distribue le fluide vital qu’est
l’électricité. Il faut garantir à tous les
habitant·e·s de ce pays un quota suffisant
d’électricité indispensable, à bas prix,
voire gratuitement ; introduire une discrimination entre les
« besoins » électriques socialement
indispensables, utiles, acceptables, nuisibles et les tarifer en
conséquence, voire les interdire ; et investir
massivement non seulement dans la production, mais dans
l’utilisation rationnelle de l’énergie. Bref,
au-delà de la technologie, il faut discuter le contrôle
social de la branche électrique et au-delà du
quantitatif, prendre en compte le qualitatif… Nous y reviendrons.


Pierre Vanek