Mouvement étudiant au Chili: « une remise en cause du système économique chilien »

Mouvement étudiant au Chili: « une remise en
cause du système économique chilien »

Entretien avec Sebastian Farfán
Salinas, secrétaire général de la
Fédération des étudiants de
l’Université de Valparaiso (FEUV)

Quelle est la situation concrète des
étudiant·e·s avec la loi organique sur
l’éducation, dernier « cadeau »
du gorille Pinochet aux gouvernements de la
« Concertation » ?

Les étudiants chiliens sont victimes d’un système
pervers qui a transformé l’éducation en
marché. Dans ce pays, les études coûtent plus cher
qu’une maison. Il faut s’endetter auprès des banques
privées pour accéder à l’enseignement
supérieur, car l’éducation n’est pas un droit
garanti par l’Etat. La majeure partie des étudiants sont
inscrits dans des universités privées, dont beaucoup
accumulent des bénéfices sur le dos des familles
chiliennes. Les universités étatiques existantes
(très faibles) sont entrées dans une logique
d’auto-financement, vu la faible contribution de l’Etat.
Elles se retrouvent sur un marché ouvert, où elles
doivent gagner des clients. Par exemple, le budget de mon
université (à statut public) n’est couvert
qu’à 7 % par l’Etat ; tout le reste
est financé par nous. Pour cette raison, les taxes
d’inscription sont très élevées, il
n’y a pas de professeurs embauchés, notre infrastructure
est désastreuse. Au Chili, la taxe moyenne d’inscription
est supérieure au salaire minimum d’un travailleur.
[…]

    Tout cela n’est pas un hasard. Ce
modèle est un héritage direct de Pinochet. Il fut
imposé par une dictature militaire féroce. Joaquin Lavin,
ex-ministre de l’Education – destitué grâce
à notre mouvement – et l’un des représentants
de la droite la plus dure, parlait d’une
« révolution silencieuse ». Dès
1975, le néo-libéralisme s’est imposé
[…] L’un des secteurs touchés fut
l’éducation. Une série de
« réformes » permirent de la
marchandiser et de commencer sa privatisation. Le
démantèlement de l’éducation
supérieure, processus très long et complexe, a
débuté en 1981. Un jour avant que le tyran Pinochet
cède sa place, la Loi organique sur l’éducation
(LOCE), qui légalisait toutes les privatisations de la
dictature, fut promulguée.

    Les gouvernements de la
« Concertation » n’ont pas
modifié cette loi. Cette coalition arrivée au pouvoir en
promettant des changements s’est contentée
d’administrer le modèle mis en place par la dictature et
de le protéger à tout prix. De nombreux assassinats
témoignent du véritable visage de la
« Concertation ».

    En 2006, nous avons eu un avant-goût du
processus actuel, lorsque la LOCE et les fondements de
l’éducation de marché chilienne furent remis en
cause. Ce mouvement, connu comme la « révolution
des pingouins », mobilisa les étudiants du
secondaire. Pour désamorcer le conflit, le gouvernement promit
de réviser la LOCE : il promulgua la Loi
générale sur l’éducation (LGE), qui
maintenait les bases de ce système

Pourquoi le mouvement étudiant est-il si massif et recueille-t-il un appui social très large ?

Les contradictions inévitables de ce modèle apparaissent
clairement. Les gens comprennent que l’éducation est en
crise. Ce thème transversal affecte tout le monde, la population
chilienne a donc réagi positivement à l’appel des
étudiants, cette année. […] Nos parents ont vu que
nous luttions pour une juste cause et que notre mobilisation
était nécessaire, que cette crise ne concernait pas
seulement l’éducation, mais qu’elle remettait en
cause tout le modèle dominant et son aspect institutionnel.
Après des années où l’on nous promettait
« l’arrivée du bonheur », les
gens se sentent floués. Aujourd’hui, les anciens consensus
s’effondrent, on commence à questionner les bases
mêmes du pouvoir de la classe dominante. La frustration, la
tromperie et une marginalisation constante font que la grande
majorité de la population nous regarde avec d’autres yeux
et qu’elle placent leurs espoirs de changements en nous. A cela,
s’ajoute l’émergence d’une nouvelle
génération de jeunes […] Tout cet enthousiasme
explose aujourd’hui dans un Chili qui semblait dominé et
réduit au silence. Cela a aussi suscité un grand soutien.

    Enfin, ce processus est sans
précédent. Durant les années de la
« Concertation », une lente accumulation de
forces et d’articulations du tissu social s’est produite.
Lentement, le peuple chilien a commencé à se lever contre
ce système et il est descendu dans la rue pour lutter pour ses
droits. Des luttes historiques des Mapuche, en passant par les
mobilisations des travailleurs du cuivre et de la forêt, des
combats pour l’environnement jusqu’au mouvement
étudiant, une nouvelle étape semble s’ouvrir en
2011, un nouveau moment pour le Chili […]

Quelles sont les perspectives pour faire aboutir les revendications du mouvement ?

Cette mobilisation étudiante a réussi à imposer
des thèmes très profonds. A d’autres moments, les
étudiants luttaient seulement pour leur propre compte et se
retrouvaient enfermés dans une lutte sectorielle, sans en voir
l’aspect global. Aujourd’hui, les étudiants luttent
pour l’éducation gratuite, pour la prise en charge de
l’éducation des jeunes à 100 % par
l’Etat. Le débat très intéressant qui
s’est ouvert met en question le dogme néo-libéral.
Nous avons affirmé que les ressources existaient au Chili, et
qu’on devrait donc les prendre là où elles se
trouvent […]. On a relevé que les grandes multinationales
volaient nos ressources naturelles et, par conséquent, la
question de la renationalisation du cuivre est posée. […]
Notre consigne est : « Renationalisation du cuivre,
pour un travail digne et pour l’éducation
gratuite » et nous sommes descendus dans la rue aux
côtés des travailleurs du cuivre.

    Les revendications ont donc dépassé le
cadre sectoriel pour passer à une remise en cause du
système économique chilien. Qualitativement, c’est
un saut gigantesque. Dans nos assemblées, on discute comment
mener à bien ces changements et l’on arrive toujours
à la conclusion que c’est une tâche de tout le
peuple dans le cadre d’un processus de transformation radicale de
la société. […]


Propos recueillis par Hans-Peter Renk

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