Une nouvelle démarche pour une solution pacifique au conflit colombien

 

Les 23 24 et 25 mars s’est tenu à Lausanne la « Rencontre internationale pour la paix et une solution pacifique au conflit colombien ». Préparée de longue date, cette conférence a rassemblé des re­pré­sen­tant·e·s de nombreuses associations, syndicats et mouvements politique présents en Colombie ainsi que des re­pré­sen­tant·e·s des collectifs de Co­lom­bien·ne·s exilé·e·s dans plusieurs pays d’Europe. Les 150 par­ti­cipant·e·s ont adopté à l’unanimité des conclusions qui soulignent le succès de cette démarche inédite, à condition, bien entendu, de la considérer comme la première étape d’un processus amené à ce poursuivre et se renouveler au cours des prochaines années.

 

Parmi les participant·e·s à cette conférence, ont figuré entre autres Boris Duarte, porte-parole de la Confédération étudiante MANE, Alberto Castilla, membre de l’organisation Minga, Eugenio Guerrero du « Mouvement Politique Marche Patriotique », Yesid Arteta et Carlos Arturo Velendia, ex guérilleros et maintenant spécialistes en résolution des conflits, Franklin Castañeda et Ramiro Orjuela défenseurs de prisonniers politiques et des droits humains, ainsi que l’organisation Appel de Genève.

            La tenue de cette rencontre est le résultat d’une fructueuse collaboration entre plusieurs organisations qui se mobilisent en Colombie pour une solution pacifique et négociée au conflit qui ravage la Colombie depuis une quarantaine d’année, et, les exi­lé·e·s et im­mi­gré·e·s co­lom­bien·ne·s, notamment en Europe, lesquels ont décidé de prendre une part active à la construction d’un processus de paix dans leur pays.

            L’essor récent de mouvements sociaux en Colombie a été l’élément catalyseur de  cette rencontre. Citons notamment la lutte, à ce jour victorieuse, des étu­diant·e·s contre la tentative du président colombien Juan Manuel Santos de privatiser entièrement l’Education supérieure colombienne, en novembre dernier, ainsi que les mobilisations unitaires du Mouvement politique et social de la « Marche Patriotique » et celles du « Congrès des peuples ».

            Mais il ne s’agit rien de plus qu’une première étape tant les obstacles politiques structurels à recherche d’une solution pacifique au conflits vont continuer de peser de tout leur poids au cours des prochaines années. Interviewé dans le Courrier du 24 mars 2012, Alberto Pinzón Sanchez, médecin et anthropologue, médiateur durant une précédente négociations de paix (1998-2002), actuellement exilé en Allemagne, soulignait : « Je ne crois pas que nous soyons au seuil d’un processus menant à la résolution du conflit. […] Principalement, parce que la classe dominante est trop divisée. Il y a ceux qui se situent du côté du président Juan Manuel Santos, qui reconnaît l’existence d’un conflit armé interne, ce qui est un préalable à la paix. De l’autre, ceux qui avec l’ancien président Avaro Uribe, considèrent que les guérillas sont des mouvements terroristes et qu’il faut en finir avec elles par les armes. Lequel de ces deux camps va triompher, nous ne le savons pas.?»

            Nicolas Rodríguez, commandant de l’ELN a transmis un document exprimant l’ouverture de cette organisation à un dialogue «ouvert et public, sans agenda caché et avec la participation de la société colombienne». Ce message coïncide avec les dernières déclarations de Timoleón Jiménez, chef des FARC.

            Pour les participant·e·s à la rencontre, la solution pacifique au conflit ne passe par une nouvelle négociation exclusive entre le gouvernement et les mouvements de guérilla (FARC et ELN). Cette négociation devra être inclue dans un processus global impliquant les organisations de la société civile comme acteurs de premier plan. En ce sens,  la clé de la paix passe par la mobilisation des mouvements sociaux, lesquels posent sur la table les éléments fondamentaux à l’origine de la guerre et qui continue de l’alimenter : la nécessité d’une réforme agraire, le retour des 5,2 millions de déplacé·e·s – fuyant les exactions des groupes paramilitaires et les expropriations forcées des paysans pauvres et des peuples indigènes –  et la fin de l’impunité pour ceux qui assassinent des syndicalistes (50 syndicalistes tués en 2011), des paysan·ne·s et des peuples indigènes.

            Cela pose également la question du rôle qu’un mouvement de solidarité porté par les organisations sociales, politiques et syndicales peuvent jouer en Suisse pour soutenir l’essor du processus de paix en Colombie. Citons l’exemple du soutien indispensable le pétition de Droit sans frontière qui demande au Conseil fédéral et au Parlement de créer les bases légales pour que les entreprises ayant leur siège en Suisse doivent respecter les droits humains et l’environnement partout dans le monde?;

 

L’actualité de cette campagne est particulièrement illustrée par les deux exemples suivants :

  •         Le syndicat colombien SINALTRAINAL a récemment mis en accusation la multinationale Nestlé par le dépôt d’une plainte pénale à Zoug, visant les dirigeants de Nestlé Cicolac en Colombie liés aux propriétaires fonciers et aux bandes paramilitaires de la région de Cesar. Ceux-ci sont accusés d’être responsables de l’assassinat  du syndicaliste Luciano Romero et la responsabilité pénale de Nestlé, comme personne morale, est mise en cause en vertu de l’art. 102 du code pénal suisse.
  •           Alfredo Tovar, représentant du syndicat colombien Sintramienergetica, est venu au siège de Glencore Xstrata à Zoug en décembre 2010 suivi de Karmen Ramírez Boscán, représentante du peuple Wayuu de Colombie en décembre 2011. Tous les deux sont venus demander aux dirigeants de la plus importantes société minière basée en Suisse (chiffre d’affaire de 186,2 milliards dollars en 2011, 3,5 fois celui du géant Novartis, première entreprise suisse devant Nestlé), de mettre fin aux exactions  à Cerrejón (département de Guajira) où se trouve la plus grande mine de charbon à ciel ouvert du monde. Exemple type de l’entreprise parasitaire, vivant de la rente foncière, Glenncore Xstrata se caractérise par un cynisme absolu concernant les graves  atteintes  à l’environnement qu’elle provoque, ainsi qu’à celles aux droit humains. Pour implanter ses installations à Cerrejón, elle a rasé des villages entiers et exproprié leurs habitants de force avec la complicité des autorités et de l’armée.

 

La Conférence a adopté une « feuille de route » qui souligne à la fois les objectifs politiques et sociaux à atteindre : la reconnaissance des collectifs organisés de mi­grant·e·s co­lom­bien·ne·s comme inter­locu­teur·trice·s légitimes dans le processus politique colombien, la reconnaissance de l’existence des prisonniers politiques au sens des Conventions de Genève (le gouvernement colombien les qualifient de terroristes ou de prisonniers de droit commun), préalable à la négociation de leur libération, la mise en œuvre d’une réforme agraire et surtout les moyens pour y parvenir : multiplication des initiatives unitaires destinées à rechercher des alliances à l’extérieur auprès de l’ONU, du Parlement européen, etc..  et à encourager les mobilisations sociales à l’intérieur de la Colombie.

 

Pierre-Yves Oppikofer