L'asile en Suisse

L'asile en Suisse : Entre mensonges et inhumanité

Malgré un contexte menaçant, ELISA-ASILE a fêté le 16 juin l’inauguration d’une nouvelle permanence d’assistance juridique, située à la Roseraie, en pleine ville de Genève.

Tous les vendredis matins, des mandataires sont à disposition des personnes qui viennent d’être attribuées au Canton de Genève et qui n’ont pas encore reçu de décision de l’Office des migrations (ODM), ou ayant reçu une décision de renvoi dans un pays tiers en application du règlement Dublin.

 

Les informations erronées

La petite fête conviviale avait été précédée d’une conférence de presse où Michel Ottet, fondateur d’ELISA, permanent de la Roseraie, ainsi que Thao Pham, mandataire au Foyer des Tattes (Vernier) ont dit tout le mal qu’ils pensaient des projets de la révision sur la loi d’asile. Après avoir vu l’émission TV Infrarouge sur le sujet, Michel Ottet a tenu à

1) rappeler quelques définitions :

– requérant-e d’asile : une personne en cours de procédure d’examen de sa demande de protection contre des persécutions soit au niveau de l’instruction auprès de l’ODM ou en attente d’une décision à son recours auprès du Tribunal administratif,

– débouté·e :  a vu sa demande de protection rejetée définitivement et doit quitter la Suisse,

– un-e NEM (comme non-entrée en matière) : a vu sa demande liquidée pour des raisons formelles sans que ses motifs soient examinés.

– NEM Dublin : a reçu une décision de non-entrée en matière au motif que la Suisse n’est pas responsable de l’examen de sa demande d’asile en application du règlement Dublin.

2) rectifier certaines erreurs répétées inlassablement par la presse, notamment les fameux 1400 jours de durée moyenne de séjour. C’est un chiffre absolument inexact.

En effet, il correspond à une durée moyenne pour des personnes qui font appel contre la décision de première instance, or seules 30 % des décisions de première instance sont combattues par un recours. À ce chiffre, on ajoute encore les procédures extraordinaires (réexamen, reconsidération ou révision), en fait très rares. Et on additionne encore la durée nécessaire à l’exécution du renvoi des personnes déboutées, ce qui n’a par définition rien à voir avec la procédure. La durée effective de la procédure est donc sensiblement plus courte. M. Gattiker, directeur de l’ODM, le reconnaissait lui-même lors du débat d’Infrarouge. Il faut cesser de publier ce chiffre qui n’a aucun sens et qui perturbe le débat politique.

 

L’ODM démantelé

Il est aussi question à longueur de presse de « la crise de l’hébergement ». C’est une situation créée de toutes pièces par les décisions funestes du Département fédéral de justice et police (DFJP). Ces dernières années, de nombreux centres d’hébergement pour les requérants d’asile ont été fermés pour des raisons d’économie ; de même l’Office a été démantelé par des licenciements et d’incessantes restructurations démotivant le personnel.

     Actuellement plus de 15 000 demandes d’asile sont en souffrance et l’ODM est incapable de suivre les nouvelles demandes d’asile. L’affaiblissement des capacités de l’Office a coïncidé avec une augmentation des demandes consécutives aux révolutions arabes.

 

Des mesures inhumaines

Au lieu de s’attacher à résoudre la crise de l’ODM, nos législateurs s’appliquent à prendre des mesures inacceptables, allant jusqu’à violer la Convention de Genève sur les Réfugiés. Par exemple :

– La péjoration des conditions de vie des demandeurs d’asile qui seront soumis à un régime équivalent à l’aide d’urgence, qui frappe les NEM et les déboutés.

– L’introduction d’un service de recours interne au DFJP, par conséquent dépendant directement de l’instance décisionnaire.

– L’augmentation du délai nécessaire pour obtenir une véritable autorisation de séjour.

– L’élimination de l’accès au statut de réfugié pour les personnes qui continuent à militer pour leur pays en Suisse. Cette clause est une violation des droits fondamentaux tels que la liberté d’opinion ou la liberté de réunion et d’association.

– La suppression de l’article prévoyant d’accorder l’asile aux familles des réfugiés reconnus.

– La création de camps d’internement pour les requérants d’asile dits récalcitrants.

 

Deux situations vécues

Thao Pham, en présentant des cas concrets, a démontré l’inhumanité de deux propositions de Mme Sommaruga, déjà adoptées par le Conseil des États et soumises au Conseil national pour approbation, la non-reconnaissance du statut de réfugiés pour les objecteurs et les déserteurs et la suppression des demandes d’asile aux ambassades :

     Nous assistons un couple syrien originaire d’une région violemment attaquée par les troupes pro-Assad. Le jeune homme a fui une convocation à servir l’armée, pour ne pas prendre les armes contre son propre peuple. Il n’est point besoin d’épiloguer sur les risques qu’il encourt pour son refus, les autorités n’ayant aucune limite dans la répression.

Alors quid de sa demande d’asile si l’exclusion des déserteurs à la qualité de réfugié venait à s’appliquer ?

     Nous recevons beaucoup de requérant·e·s de Somalie, où la situation humanitaire se détériore à un rythme alarmant. Outre la guerre civile, tant la sécheresse dans le centre que les inondations dans le sud contraignent les populations à fuir. Un jeune homme somalien titulaire d’un permis F (admission provisoire) est venu nous consulter à la fin de l’été dernier.

     Ayant dû fuir dans l’urgence et faute de moyens, il a été contraint de laisser son épouse enceinte et son bébé. Mais livrée à elle-même, son épouse n’a eu d’autres choix que de fuir vers un camp de réfugiés en Ouganda. Faute de pouvoir réunir toutes les conditions pour un regroupement familial, nous avons aidé la jeune femme à déposer une demande d’asile auprès de l’ambassade suisse à Kampala en Ouganda en octobre dernier. Nous venons de recevoir l’autorisation d’entrée émise par Berne.

     Que se serait-il passé si la possibilité de déposer une demande d’asile à l’ambassade n’avait pas été possible ?

 

Maryelle Budry