Tunisie:

Tunisie: : Poursuivre la révolution

Nous nous sommes entretenus avec notre camarade Anis Mansouri de retour de Tunis.

 

Tu reviens de Tunis, peux-tu nous donner des informations sur la situation politique et sociale sur place ?

Dix mois de pouvoir des islamistes ont engendré une situation politique et sociale catastrophique. Le déficit budgétaire dépasse 6,6 % et la dette 4 millions de dinars. L’augmentation du coût de la vie provoque la détérioration de la situation des couches sociales les plus  démuni·e·s dans le pays. Plus de 2,5 millions de Tunisien·nes vivent sous le seuil de pauvreté. Les coupures interminables de l’eau courante et de l’électricité, d’autant plus insupportables en pleine canicule et durant le ramadan, sont devenues le pain quotidien d’une large partie de la population. Ces conditions inacceptables ont provoqué des mobilisations qui se sont soldées par des arrestations violentes dignes du régime de Ben Ali. Le chômage a lui aussi augmenté, et les chômeurs·euses désormais diabolisés n’ont reçu pour seule réponse à leurs mobilisations qu’une répression féroce.

       Les revendications légitimes des  bléssé·e·s de la révolution ainsi que des familles des martyrs continuent à être ignorées, alors que les islamistes ont tenté de concocter une loi visant à « indemniser », à hauteur d’un million de dinars, ceux qui parmi eux ont subi l’incarcération sous Ben Ali ; un projet néanmoins suspendu suite aux larges protestations populaires. Les agressions menées par des groupes salafistes contre des citoyen·nes et des artistes se multiplient avec le silence et le laxisme complices du  ministère de  l’intérieur qui n’hésite pas à interdire voire à réprimer violemment les mobilisations de la société civile et du mouvement démocratique et progressiste. Ainsi en a-t-il été de la manifestation du 5 août dernier contre la montée de la politique dictatoriale du gouvernement des islamistes et de leurs alliés, renforcée par leur mainmise sur les médias (personnes inféodées aux islamistes et connus par le passé pour leur appartenance aux régimes de Ben Ali nommés à la tête des journaux et de la télévision publique). Les responsables syndicaux (comme ceux de l’hôpital de Sfa), et les militant·e·s engagé.e.s dans les mobilisations sociales qui embrasent les régions démunies du pays (notamment à Sidi Bouzid berceau de la révolution et à Makthar) sont arrêtés.

 

De nombreuses manifestations de femmes ont eu lieu. Est-ce qu’il te semble que quelque chose est en train de bouger sur ce terrain ?

En effet, les femmes tunisiennes doivent faire face à des attaques toujours plus virulentes à leurs acquis en matière de droits et de citoyenneté; ainsi en est-il du projet de constitution qui revient sur tous leurs acquis. Pensons au projet de loi qui exige que le poste de la présidence de la république ne soit alloué qu’aux hommes de confession musulmane et à celui qui  réduit les femmes à leur « rôle naturel » d’épouse et de mère, ignorant leurs statuts de citoyennes. Durant des semaines, de larges mobilisations de femmes et des mouvements démocratiques, progressistes et féministes ont eu lieu dans toutes les régions de Tunisie. La soirée du 13 août, date du 56° anniversaire de la promulagation du code du statut personnel qui a octroyé des acquis importants aux femmes tunisiennes, en a été le moment culminant. Cepenant, ce mouvement ne pourra être un rempart contre l’obscurantisme rampant en Tunisie qu’à condition qu’il assimile les revendications sociales et populaires des plus démuni·e·s.

 

Comment expliques-tu le regroupement des mouvements de la gauche ? Sur quelles bases et avec quels objectifs ?

Le projet en cours de regroupement des différentes composantes de la gauche combative est une urgence. La situation politique et sociale  impose une analyse pertinente qui permette de définir les tâches et le rôle des forces capables de mener à bien les objectifs de la révolution trahie par les forces réactionnaires, islamistes et libérales. Le triomphe du processus révolutionnaire en cours en Tunisie est conditionné par la convergence de toutes les forces révolutionnaires dans un seul pôle ouvrier et populaire. Il s’agit de contrer la bipolarisation de la scène politique par la troïka constituée par les islamistes et leurs alliés et par un autre rassemblement libérale autour des anciens des régimes de Bourguiba et de Ben Ali qui ont réussi à copter des forces dites « modernistes » de centre gauche et des socio-démocrates réunis par un seul mot d’ordre « anti Ennahdha » !

       Ce troisième pôle tend à être l’expression des aspirations du mouvement ouvrier et populaire et non une simple alliance électoraliste. Le front populaire qui devrait voir le jour très prochainement rassemblera les principales organisations politiques de la gauche marxiste et nationaliste arabes en Tunisie, telles que le parti communiste des ouvriers tunisien PCOT (renommé récemment parti des travailleurs PT), le mouvement des patriotes démocrates MOUPAD, la Ligue de la gauche ouvrière LGO, le Parti populaire pour la liberté et le progrès etc… Ce troisième pôle ne pourra constituer une véritable alternative aux deux pôles libéralo-obscurantistes que s’il se cristallise autour d’un programme politique et d’un plan de mobilisation pour une démocratie politique et sociale. Il doit donc viser à concrétiser les revendications sociales et politiques de ceux et celles qui ont été anéantis par des décennies de politique antipopulaire et antidémocratique : garantie d’un revenu stable, emploi des jeunes diplômé·e·s, développement régional équitable, mise en accusation des criminels et des pilleurs de richesses, garantie de l’égalité en droit de toutes et tous, annulation de la dette et des accords d’associations avec toutes les instances monétaires impériales…

       La poursuite du processus révolutionnaire est donc encore bien d’actualité. 

 

Propos recueillis par notre rédaction