Débat autour de la Palestine

Débat autour de la Palestine : Négociations contre «manichéisme»?

Un de nos lecteurs, François Lederrey, qui se désigne lui-même comme « de gauche et ancien membre des Verts », estime que l’éditorial de Joseph Daher dans notre dernier numéro n’était qu’un brûlot un peu simpliste, peu susceptible de contribuer à la paix dans la région. Nous lui donnons ci-dessous la parole en publiant en même temps une brève réponse de la rédaction.


Vous vous proclamez anti-capitalistes et anti-impérialistes mais êtes exactement, à des fins inversées, dans le même état d’esprit et la même rhétorique que les Etats-Unis du temps de Georges Bush Junior. Comme vous n’avez assurément pas besoin de moi pour voir et souligner les failles d’Israël, je soulignerai davantage les failles de l’autre camp.

«Palestine vivra!» : d’accord. «Palestine vaincra!» : maintenant que le cessez-le-feu est proclamé, chacun des camps proclame sa victoire. Piètre victoire au demeurant : rien n’est réglé. Cela fait des années que des actions armées avec morts d’hommes ont lieu : actes de «résistance» ou de «légitime défense» pour leurs auteurs, actes de «terrorisme» pour leurs ennemis. Prétendre que l’Etat d’Israël est seul responsable fait montre d’un manichéisme primaire à la Dobeuliou. Il n’y a pas de gentils Palestiniens ni de méchants Israéliens ou l’inverse. Dans les deux camps, il y a des faucons et des colombes objets de mépris de la part de ceux-ci. Les durs d’Israël, représentés notamment par le Likoud et les durs de Palestine représentés notamment par le Hamas ne rêvent que d’en découdre et ne sont pas intéressé par la paix. […]

Accuser l’Autorité palestinienne de «collaboration» est grave et irresponsable, quelles que soient les insuffisances de celle-ci et c’est, volontairement ou non, faire le jeu du Likoud et du Hamas. Si vous êtes pour une «solution juste et durable», ce n’est pas en jetant de l’huile verbale sur le feu que vous y contribuerez. Pour sortir d’un conflit, à moins de l’anéantissement d’un des deux camps, ce que vous ne semblez pas souhaiter, les ennemis d’hier n’ont pas d’autre issue que de négocier et de parvenir à un accord ou devront être intégrés, bon gré mal gré les anciens « terroristes » et « collabos ». La Suisse officielle l’a d’ailleurs fort bien compris puisqu’elle a gardé le contact avec toutes les parties en présence.

Croyez-vous vraiment que le Hamas incarne «un ordre démocratique et socialement juste» ou bien restez-vous dans le déni des intellectuels de gauche qui ne voulaient pas dire le moindre mal de l’URSS au nom d’une union sacrée contre l’impérialisme US ? En outre, depuis que l’Etat d’Israël existe, les Etats arabes ont utilisé la cause palestinienne au gré de leurs intérêts propres et n’ont pas hésité à massacrer des Palestiniens quand ça les arrangeait. Croire qu’il en sera autrement suite au printemps arabe, c’est prendre ses désirs pour des réalités, comme vous le soulignez par rapport à l’Egypte.

La Suisse a des relations avec Israël mais a également avec l’Autorité palestinienne dont elle soutiendra, à juste titre, la demande légitime que la Palestine ait le statut d’Etat observateur à l’ONU. Les relations internationales sont ainsi faites que l’on ne peut pas se payer le luxe de couper les ponts avec des Etats et des entités qui n’incarnent pas «un ordre démocratique et socialement juste» tels qu’Israël, les Etats arabes voisins, l’autorité palestinienne et le Hamas. C’est dire que je ne vous rejoins pas sur vos conclusions et que, dans le cas précis, j’approuve la politique suisse. Pour moi, une alternative réside également dans l’exemple de Daniel Barenboim et de feu Edward Saïd qui ont mis sur pied un orchestre composé de musiciennes et musiciens israéliens et palestiniens qui a pu se produire à Ramallah et ont donc parié sur la réconciliation des deux peuples. 

Meilleures salutations 

 

François Lederrey

 

 

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Vous parlez de l’Etat d’Israël et du peuple palestinien comme de deux belligérants qui ont les mêmes torts. Rien n’est moins vrai. Les Pa-les-ti-nien·ne·s sont victimes d’une brutale oppression depuis 65 ans. Les 800 000 expulsés par Israël en 1948 ont donné naissance à 4,3 millions de ré-fu-gié·e·s, dont 1,3 vivent dans des camps. Le droit au retour leur est nié. Depuis 1967, la Cisjordanie et la bande de Gaza sont encore occupées par la puissance coloniale israélienne, qui refuse de s’en retirer en dépit du droit. De plus, la colonisation se poursuit sur ces territoires. Ne pas reconnaître cela, c’est se placer du côté de l’agresseur.

L’Autorité palestinienne a failli, parce qu’elle est de plus en plus liée à des intérêts qui profitent du statu quo, et qu’elle a largement abandonné la lutte pour la libération de son peuple. C’est cette capitulation qui a permis au Hamas de gagner une large audience populaire. Nous ne partageons pas le programme politique du Hamas, mais nous reconnaissons au peuple palestinien le droit de désigner démocratiquement ses autorités. Sans cela, aucune avancée n’est envisageable, en particulier pour la gauche anti-impérialiste.

Nous ne cessons de dénoncer la politique des Etats arabes de la région, dont les gouvernements préfèrent pactiser avec Israël et l’impérialisme (la Suisse ne se distinguant pas des autres puissances occidentales). Ils n’hésitent pas à persécuter les Pa-les-ti-nien·ne·s, que ce soit en Egypte, en Jordanie, en Syrie ou au Liban. L’Autorité palestinienne n’agit pas autrement, lorsque sa police réprime les luttes populaires… C’est encore l’attitude des Frères musulmans au pouvoir en Egypte, lorsqu’ils refusent d’ouvrir définitivement leur frontière avec la bande de Gaza.

Le récent conflit a fait 156 morts du côté palestinien, contre 6 du côté israélien. Des chiffres qui renvoient aux pires guerres coloniales. En assassinant Ahmed al-Jaabari, le chef militaire du Hamas, Israël a montré qu’il ne voulait pas laisser se développer l’aile de ce mouvement qui garantissait la non-belligérance. Avec le cessez-le-feu, il a dû cependant renoncer à envoyer des troupes au sol à Gaza. Nous ne pouvons que nous en réjouir, vu les souffrances supplémentaires qu’elle aurait infligées aux civils palestiniens. Les autorités égyptiennes ne pouvaient l’accepter, qui ont assez de difficultés avec leur propre révolution. Cela prouve que la résistance palestinienne n’a pas de meilleur allié que les peuples arabes en lutte.

 

(réd.)