Sous-enchère fiscale à Lucerne

Sous-enchère fiscale à Lucerne : Une idéologie catastrophique

Aucun autre canton n’aura récemment poussé aussi loin sa politique de baisse des impôts que celui deLucerne. Lentement, toutefois, une résistance
se fait jour.

 

Des années durant, Lucerne n’a fait que des cadeaux?; dans tous les domaines, revenus, fortune, bénéfices, les taux d’imposition ont été massivement réduits. Ce sont prioritairement les personnes à haut revenu et les entreprises qui en ont profité. En une décennie, l’impôt sur la fortune est passé de 6,4 à 2,4 pour mille, l’imposition des entreprises, déjà basse, a été divisée par deux et se situe généralement en dessous de sept pour cent. Le canton, qui avait longtemps fait figure d’« enfer fiscal » comparé à ses voisins de la Suisse centrale, est devenu en une décennie un vrai paradis fiscal. Il y a trois ans, lorsque le corps électoral a approuvé une nouvelle baisse d’impôts, le directeur des Finances du canton, l’indépendant Marcel Schwerzmann, proche des radicaux (PLR), posait fièrement devant un panneau d’agglomération bleu portant la mention : « Imposition des entreprises la plus basse (LU) ». Il expliquait alors : «le but d’une baisse de l’impôt, c’est finalement d’encaisser plus d’argent».

 

Des trous dans la caisse

La réalité de cette politique d’imposition minimaliste est un peu différente. La ruée attendue des riches et des entreprises financièrement bien dotées ne s’est pas produite. En revanche, l’assèchement des rentrées fiscales a entraîné de profondes fissures dans les caisses de l’Etat. Le canton veut économiser près de 60 millions de francs l’année prochaine et même 112 millions en 2014. Les réductions toucheront surtout l’éducation et le personnel de la fonction publique. La situation est particulièrement dramatique dans la ville de Lucerne, qui supporte les charges d’une ville-centre. Durant la seule dernière année, la Ville a encaissé 24 millions de rentrées fiscales en moins qu’en 2007. Pendant les cinq dernières années, elle a appliqué des mesures d’économies de 41,5 millions de francs et un nouveau paquet de 4 millions est déjà décidé. Entretemps, la situation est devenue si précaire que l’exécutif communal prévoit d’augmenter le coefficient annuel d’imposition de 3,08 pour cent, cela pour la première fois depuis trente ans. Le 16 décembre, la population de la cité se prononcera sur cette augmentation. Si elle est refusée, il faudra recourir à un nouveau gros paquet d’économies de 15 millions.

Le conseiller communal socialiste Daniel Furrer explique : «Si la hausse des impôts est refusée, nous nous trouverons dans une situation désastreuse» en faisant référence à la menace des 15 millions d’économies supplémentaires. «La Ville n’aurait plus de ressources pour le travail en direction des enfants et de la jeunesse dans les quartiers et les contributions communales pour la garde des enfants seraient supprimées.?» Pour Furrer, la stratégie fiscale des partis bourgeois est un échec. «C’est de l’idéologie pure et simple que de croire que les impôts sont le facteur par excellence du choix d’un établissement et de tout miser en conséquence sur les réductions fiscales. Les services publics – de bonnes voies de communication, une offre de formation variée, le réseau de soins, des logements accessibles – jouent un rôle tout aussi grand.?» L’économiste en chef de l’Union syndicale suisse, Daniel Lampart le confirme : «L’influence de la politique fiscale sur le choix d’un établissement est surévaluée». Pour les entreprises, justement, les impôts ne sont pas le facteur déterminant : «Des perspectives de débouchés attrayantes et l’offre d’une main-d’œuvre adéquate sont des facteurs plus importants», selon lui. Au lieu de réduire constamment et sans succès les impôts, le canton de Lucerne serait mieux inspiré d’implanter des secteurs économiques productifs et de continuer à développer le secteur de la formation.

 

Des conséquences douloureuses

L’issue de la votation du 16 décembre dans la ville de Lucerne est incertaine. Mais les conséquences douloureuses pour la population n’en cesseront pas pour autant. Dans ce contexte, une résistance à cette politique fiscale du gouvernement bourgeois commence – enfin – lentement à se former. Le week-end passé, le syndicat SSP a appelé à une manifestation publique et les écoliers, les écolières ainsi que les en-seignant·e·s ont donné une dimension bien visible à leur protestation contre les coupes dans le domaine de l’éducation. En même temps, des politicien·ne·s bourgeois commencent à se dire que mener une stratégie d’imposition minimaliste au milieu de cantons qui la pratiquent depuis bien plus longtemps déjà ne fait finalement que des perdants. 

 

Jan Jirát

« Wochenzeitung » du 29.11.12

(traduction : DS)