Les comptes truqués des centrales de Gösgen et Leibstadt

L’Association Trinationale de Protection Nucléaire (ATPN), qui regroupe des antinucléaires suisses, français et allemands et compte une centaine de communes parmi ses membres, a déposéfindécembre, avec Greenpeace Suisse,uneplainteauprèsdu Ministère public de la Confédérationpourfauxen écriturecontrelescentralesnucléaires deGösgen-Däniken SA(KKG)etdeLeibstadtSA(KKL).

En effet, aux bilans de ces centrales, plus de 1,8 milliard non recouvrables ont été portés à l’actif,l’objectif de ces manipulations étant d’imputer à terme les coûts de suivi en matière de démantèlement et de déchets à la Confédération et aux contribuables, comme le permet l’art. 80 de la Loi sur l’énergie nucléaire en cas défaut des exploitants. Or à fin 2011, il manquait globalement 11,5 milliards de francs de liquidités pour les coûts de suivi en question.

 

Acrobaties comptables illégales

Aux bilans des deux sociétés, KKL et KKG, à fin 2011 les valeurs des fonds de désaffectation et de traitement des déchets affichaient 599 millions de plus que les valeurs marchandes desdits fonds. Pour KKL ce sont 238 et pour KKG 361 millions qui manquent, ceci alors que, selon le Code des obligations, ces valeurs doivent être estimées au maximum à la valeur du marché.

Par ailleurs, pour KKL les frais d’amortissement pour les opérations de fermeture, de désaffectation et de traitement des déchets ont en outre été portés à l’actif, gonflant le bilan d’un montant de 630 millions. Pour KKG, il s’agit de 608 millions. Ici aussi la loi exclut une telle inscription à l’actif de coûts d’amortissement pour les opérations de fermeture, de désaffectation et de traitement des déchets.

A fin 2011, apparaissent ainsi en tout dans ces bilans 1,837 milliards d’actifs qui ne devraient pas être portés au bilan n’étant pas recouvrables. Or sans ces « actifs », il n’y aurait plus de capital propre. Ces surévaluations et inscriptions à l’actif sont particulièrement graves dans le cas de KKL et de KKG parce qu’un redressement financier obligatoire conformément au Code des obligations est ainsi contourné.

 

Courant nucléaire trop bon marché et sécurité menacée

Suite à cet établissement non conforme de bilan et à cette insuffisance de couverture des coûts de suivi, les coûts des centrales atomiques et donc de l’énergie nucléaire sont estimés trop bas. La prise en charge des coûts de désaffectation et de traitement des déchets sont repoussés à un futur incertain avec une menace sur la collectivité et les contribuables de devoir assumer ces coûts de suivi.

Dans ce contexte, les autorités de contrôle sont mises sous pression pour prioriser la rentabilité sur la sécurité, sont amenées à n’exiger que des mises à niveau minimes et poussées à accepter des durées d’exploitation plus longues pour des centrales qui devraient être depuis longtemps désaffectées pour raisons de sécurité. Le redressement financier, voire la faillite, desdites centrale est aussi évité par ces manipulations.

Mais ces manipulations de bilan représentent la pointe de l’iceberg d’un problème plus vaste. Pour couvrir le suivi nucléaire il manquait à la fin de l’année 2011 des liquidités à hauteur de plus de 11,5 milliards de francs, selon les chiffres avancés par l’ATPN et Greenpeace, ceci alors que l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN) estime possible des écarts de coûts de plus de 30 % qui ne sont pas non plus préalablement financés.

 

Les contribuables à la caisse ?

Or après la prolongation d’exploitation des centrales à une période de 50 ans par le Conseil fédéral en décembre 2007, et pendant des années parfois, aucune contribution n’a été faite au fonds de suivi et les exploitants de centrales ont même perçu des remboursements; les réserves de capital des fonds de traitement des déchets ont donc décliné de 3,028 à 2,829 milliards de francs.

La couverture de coûts par les responsables, prévue théoriquement dans la loi, est donc gravement menacée… A signaler que le taux d’intérêt de 5 % pris en compte par les exploitants de centrales nucléaires et par le Conseil fédéral pour estimer les rendements desdits fonds contribue à masquer l’insuffisance de couverture réelle. Ceci alors qu’en matière de caisses de pension publique on exige au nom de baisses du taux technique à 3,5 % des contributions massives pour leur recapitalisation !

Et sans parler du fait que ces problèmes financiers ne sont bien sûr qu’un aspect du problème combiné des déchets et du démantèlement qui n’a pas de solution réellement satisfaisante sur le plan de la sécurité et de la défense de l’environnement.

 

Imposer le principe du pollueur – payeur

Quoiqu’il en soit, en sus de leur plainte pénale, ATPN et Greenpeace en appellent au Parlement et au Conseil fédéral en leur demandant de prendre les mesures suivantes pour imposer le principe du pollueur – payeur :

 

KKG et KKL ainsi que les fonds de désaffectation et de traitement des déchets doivent être assainis.

Les actionnaires des sociétés d’exploitation doivent partager la responsabilité des coûts de suivi.

L’ensemble des dépenses de suivi doit être garanti par un fonds indépendant.

La loi doit règlementer les durées d’exploitation, sinon le principe du pollueur-payeur pourrait à nouveau être remis en cause par de nouvelles prolongations de la durée de fonctionnement…

Le calcul devrait être étalé sur 40 ans d’exploitation selon le principe de précaution.

Le législateur devrait demander des réserves pour divers coûts supplémentaires éventuels.

 

Comme dans d’autres pays (par ex. la Finlande), l’autorisation d’exploitation devrait par ailleurs être immédiatement retirée en cas d’absence de garantie de financement…

 

Pierre Vanek