Élection du Conseil Fédéral par le peuple

Élection du Conseil Fédéral par le peuple : L'horizon indépassable de la formule magique

Avouons-le d’emblée : l’introduction de l’élection du Conseil fédéral par le peuple ne sera pas synonyme de bouleversement majeur du système politique suisse. Claude Longchamp, oracle national médiatique en matière de sondages politiques, s’est amusé à simuler le résultat d’une telle élection. Alain Berset et Didier Burkhalter auraient été remplacés par la socialiste argovienne Pascale Bruderer et la radicale saint-galloise Karin Keller-Sutter (24 Heures, 25.4.13). Quel chambardement, en effet ! Reste que l’élection de l’exécutif fédéral par le peuple représenterait – même revendiquée par l’UDC – une avancée démocratique, comme le PS du reste l’expliquait en 1900 et en 1942, lorsqu’il défendait lui-même cette revendication. Aujourd’hui, il rejette « par principe » cette élection populaire. Les principes sont visiblement changeants.

Le débat autour de cette initiative de l’UDC a toutefois donné lieu, à gauche, à une avalanche de positions défendant la formule magique et la démocratie de concordance comme horizon indépassable de la politique suisse. A la fin des années 50, Sartre avait rendu célèbre la formule de l’horizon indépassable («le marxisme est l’horizon indépassable de notre temps»). Nos politiciens ont un point de vue beaucoup plus étroit et se contentent du cadre étriqué de la formule magique. En fait, au-delà des chiffres (2-2-2-1 ou 2-2-1-1-1, en fonction des partis représentés, par exemple) la formule magique n’est que l’expression mathématique de la démocratie de concordance. Le Dictionnaire historique de la Suisse la définit ainsi : «Dans la démocratie de concordance, la prise de décision ne se fonde pas […] sur le principe de majorité, mais sur la recherche d’accord à l’amiable et de compromis largement accepté. Tous les partis importants sont impliqués dans le processus et se voient attribuer des fonctions politiques et des postes à responsabilité dans l’administration, l’armée et la justice, proportionnellement à leur force électorale.?»

Entamée à la fin des années 30, après que le PS a décidé de soutenir la défense nationale et les institutions démocratiques bourgeoises, la démocratie de concordance, avec son marchandage constant et sa grande part d’opacité, prend véritablement son envol au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. A la participation collégiale des sociaux-démocrates au gouvernement bourgeois au niveau politique correspond le développement de la paix du travail dans la politique sociale. Depuis la crise et les contre-réformes néolibérales, l’axe des deux volets de cette politique s’est largement déplacé à droite. Son contenu est devenu de plus en plus clairement antisocial.

Cela n’empêche nullement sociaux-démocrates et Verts de défendre bec et ongles l’ensemble de ce processus, avec son rituel de l’élection du Conseil fédéral par l’Assemblée fédérale. Passons sur les arguments ridicules, dignes de fins avinées de comices agricoles, du genre « Une élection nationale verrait les Alémaniques élire des personnalités latines» (Lilian Maury Pasquier, Le Temps, 23.4, repris aussi par les Verts sur leur site). Comme si actuellement, à l’Assemblée fédérale, les élus alémaniques ne votaient pas pour les candidat·e·s romands au gouvernement… Non, là où le sommet de l’aveuglement est atteint c’est lorsqu’on lit que «l’élection par le peuple peut amener à choisir des personnalités moins consensuelles et moins collégiales» (L. Maury Pasquier), ou encore que cette réforme mettrait en péril «la recherche subtile d’un équilibre au sein du gouvernement », «le fonctionnement collégial du gouvernement» et finalement «la démocratie de concordance» (Jean-Daniel Delley, collaborateur de Domaine public, sur le site du réseau socio­libéral kontrapunkt). Même défense du principe de collégialité lors de l’assemblée des délégué·e·s des Verts le 27 avril. Il est vrai qu’Adèle Thomas Goumaz, coprésidente, avait pris soin de souligner la capacité de son parti à se situer «au-delà des intérêts de classe».

Cette défense obstinée de la démocratie de consensus et des ses résultats, cet au-delà des intérêts de classe, c’est le paradis rêvé des bourgeois et le cimetière de la gauche institutionnelle. Tous les quatre ans, le PS sacrifie ainsi ses modestes engagements électoraux pour gagner le droit de participer comme majordome à la gestion des affaires du pays, au service de représentants attitrés de la grande industrie et de la banque. Si l’élection du Conseil fédéral par le peuple pouvait mettre un peu de sable dans cette machine trop bien huilée, ce ne serait pas pour nous déplaire. 

 

Daniel Süri