Violences domestiques, héréditaires?

Violences domestiques, héréditaires? : Nous n'avalons pas cette pilule!

Nous avons été extrêmement choquées à la lecture du programme du 10e Forum sur les violences domestiques [organisé par le canton de Genève, réd]. Ce programme fait état d’un parti pris de se centrer sur les seules dimensions neurobiologique, génétique, pharmacologique, psychiatrique et neuropsychologique. Est évacuée toute réflexion sur les conditions sociales, notamment les relations hommes-femmes et la socialisation des hommes, facteurs qui favorisent la violence.

 

La biologisation, la médicalisation et la naturalisation d’un problème social comme celui de la violence sont des biais bien connus pour occulter le phénomène et le restreindre à sa dimension individuelle (voir notamment le livre de Patrizia Romito, Un silence de mortes. La violence masculine occultée, Syllepse 2006).

Comme le souligne le célèbre neurobiologiste français Pierre Karli, membre de l’Académie des sciences, il n’y a aucune preuve que la violence puisse être héréditaire : «?L’idée selon laquelle nos comportements agressifs, violents, seraient très étroitement liés à notre «nature», notre identité, notre fonctionnement proprement biologiques et selon laquelle l’agressivité, la violence, seraient inscrites dans nos gènes et le cerveau – qui se développe sur la base de ces gènes – serait alors nécessairement un «générateur d’agressivité», un «générateur de violence» est déjà une vieille idée. On a parlé d’un «chromosome du crime», on «découvre» régulièrement le «gène de l’agressivité». Mais ces prises de position se fondent sur des préjugés d’ordre idéologique et non pas sur des faits scientifiques avérés et correctement interprétés.?»

«Maintenant, on peut se poser la question: qu’est-ce qu’un neuro­biologiste peut bien apporter à l’étude de la violence? Tout en précisant ce que la connaissance du fonctionnement du cerveau apporte à l’analyse et à l’interprétation des violences, je suis bien placé pour refuser qu’on biologise et qu’on médicalise de façon abusive un problème qui n’est pas d’abord, pas surtout, un problème d’ordre biologique et médical.?» (Le Figaro, 6 août 2001).

Nous rappelons que les grandes avancées en matière de violence à l’égard des femmes (dévoilement du problème, mise à jour de ses racines sociales (rapports de genre), description du processus violent, sens de la violence, etc.) ont été le fait de féministes et de chercheuses et chercheurs en sciences sociales. 

Nous nous posons la question sur le sens d’un tel colloque, organisé par l’Etat de Genève, par rapport aux enjeux concrets des violences domestiques à Genève. Quels sont les objectifs attendus ? Nous avons le sentiment que la signification de ce colloque pourrait être plus idéologique que scientifique en naturalisant le problème des violences avec pour conséquence de disculper ses auteurs : la violence pourrait ainsi ne plus être un choix et son auteur ne plus être responsable. Il s’agit là d’une stratégie classique toujours reprise par les groupes dominants lorsque leur suprématie est remise en cause. On attend de l’Etat, à l’inverse, une attitude responsable face à un réel phénomène de société.

 

Ces considérations amènent les associations féminines et les personnes suivantes à s’inquiéter de l’impact d’un tel colloque à vocation formative, destiné et offert aux  professionnel·le·s genevois. 

 

 

Organisations signataires de cet Appel

Le deuxième Observatoire?; F-Information?; SOS Femmes?; Viol-Secours?; Aspasie?; Collectif Slutwalk?; Association Fem Do Chi Vaud?; Association féministe « Dones d’Enllaç »?; l’émiliE?; Commission Femmes du syndicat SIT?; Commission femmes du SSP-Vaud (Syndicat des Services publics); Commission FéminismeS de solidaritéS?; Espace Femmes International, Groupe Egalité entre femmes et hommes du parti socialiste genevois?; Groupe Femmes Unia Genève

 

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Lucienne Gillioz, sociologue, auteure – avec Véronique Ducret et Jacqueline de Pury – de Domination et violence envers la femme dans le couple (1997, Payot), première recherche en Suisse sur le sujet (enquête quantitative auprès d’un échantillon représentatif au niveau suisse de 1500 femmes vivant en couple
 et étude qualitative reposant sur une trentaine d’entretiens approfondis avec des femmes victimes de violence), distribuait cet appel avec des membres des associations de femmes et de solidaritéS aux pro­fes­sionnel·le·s de la santé venus assister au Forum.

«On biologise, on médicalise un problème avant tout social. Cela va dans le sens d’une tendance actuelle à pathologiser les problèmes sociaux avec pour conséquence de les dépolitiser, d’occulter les rapports sociaux et de genre. Le problème urgent, réel est d’aider les victimes à sortir de leur enfer conjugal et e vivre dans la dignité. Comment les aider àe sortir du silence? À poursuivre une action en justice? Comment agir contre des menaces d’enlèvements d’enfants? Comment survivre avec les enfants quand on doit précipitam­ment quitter son appartement? Voilà des problèmes bien concrets, et au lieu de cela on parle de gènes! Il y a des priorités autrement plus importantes! Comment loger les femmes violentées et leurs enfants, assurer leur protection, évaluer l’efficacité des mesures juridiques prises contre la violence conjugale, par exemple la poursuite d’office ou l’éloignement de l’agresseur du domicile familial.

De plus, ce retour à un substrat physique ou biologique pour expliquer des comportements déviants rappelle les idéologies du 19e siècle qui cherchaient dans les caractéristiques physiques des criminels, notamment la forme de leur crâne, l’explication de leurs actes.?»

Véronique Ducret, autre chercheuse spécialisée sur le sujet, dénonce le rôle de l’éducation, qui toujours admet mieux l’agressivité des petits garçons que des petites filles, même après de multiples recherches et dénonciations des inégalités en ce domaine. Elle est intervenue dans ce sens lors du Forum. Une membre de notre commission, présente au Forum, a estimé: «Nous avons dérangé Tant mieux, mais il faut arriver à stopper ce dramatique retour en arrière.  MB