Sous le ciel bleu de Fukushima... et de Mühleberg

« La situation est sous contrôle à Fukushima. Il n’y a aucun problème, cela n’a jamais causé, ni ne causera de dégâts à Tokyo ! Aucun problème de santé n’a été enregistré jusqu’à présent et il n’y en aura pas à l’avenir » (« Le Monde » 8.9.13). En Défendant ainsi, le 7 septembre, à Buenos Aires, la candidature de Tokyo aux Jeux Olympiques de 2020, Shinzo Abe, premier ministre conservateur du Japon, n’a pas fait dans la dentelle.

 

Et d’ajouter : «?Aujourd’hui, sous le ciel bleu de Fukushima, des enfants jouent au ballon et regardent vers l’avenir. Pas vers le passé.» Ce discours a suscité l’indignation des «lançeurs d’alerte», associations ou scientifiques indépendants, qui informent depuis le 11 mars 2011 sur les conséquences réelles de l’accident nucléaire de Fukushima, notamment en termes de santé publique.

«Trois réacteurs nucléaires qui doivent être refroidis en permanence avec des milliers tonnes d’eau qui deviennent à leur tour radioactives et que l’opérateur, Tepco, n’a pas les moyens ni d’entreposer, ni de décontaminer, je n’appelle pas cela une situation sous contrôle», indique ainsi Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire, responsable du laboratoire de la Criirad (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité), laboratoire basé à Valence dans la Drôme, qui avait notamment été à l’origine de l’information indépendante sur les retombées en France du nuage de Tchernobyl, en 1986, quand les autorités françaises se faisaient l’écho du mensonge d’Etat sur le «nuage arrêté aux frontières».

 

La catastrophe tragique continue

Malgré tout, le 22 août, l’Autorité de régulation nucléaire du Japon (ARN) a dû classer au niveau 3 (incident grave) et non plus 1 (anomalie) les fuites d’eau radioactives dans l’Océan Pacifique autour de Fukushima. 300 tonnes d’eau radioactive s’écoulent chaque jour dans la mer. Un rythme tellement effrayant que le gouvernement a repris le dossier de la décontamination en main en dessaisissant, le 3 septembre, l’exploitant, la société Tepco, de cette gestion.

Il faut dire que les stocks d’eau contaminée sont évalués à l’heure actuelle à 350 000 m3 et devraient doubler d’ici la fin 2015, dépassant les 700 000 m3. Avec des citernes fissurées un peu partout – Tepco a reconnu l’existence d’un flux d’eau ruisselant sous la centrale – et un risque sismique toujours présent.

De l’ordre d’un demi-milliard de dollars vont être engagés dans une opération surréaliste de « gel des sols » sous Fukushima pour tenter de stopper les écoulements radioactifs contaminés. Une bande de terrain, entre les quatre réacteurs endommagés et l’Océan, serait congelée jusqu’à une profondeur de 27 mètres grâce à la circulation de réfrigérants à basse température dans des tuyaux verticaux souterrains installés dans plus de 1000 puits. Cette barrière de glace empêcherait – mais pour combien de temps ? –  les eaux souterraines contaminées de se rendre à la mer.

Cette sinistre catastrophe en continu, dont les effets n’ont de loin pas fini de se révéler et de se répandre… jette une lumière crue sur la politique du Conseil fédéral en matière énergétique…

 

Exploiter les réacteurs… jusqu’à l’accident?

Le 4 septembre, le gouvernement suisse publiait sa « stratégie énergétique 2050 ». Cette stratégie molle et insuffisante a comme point central de refuser l’idée même qu’il pourrait y avoir une sortie du nucléaire par décision politique et même qu’on puisse légitimement fixer une durée d’exploitation limite quelconque pour une centrale nucléaire… Les centrales doivent et peuvent être exploitées… jusqu’à la catastrophe ou pour reprendre les termes du Conseil fédéral – tant qu’elles sont «en mesure de satisfaire aux exigences en matière de sécurité technique».

Une condition que remplissaient bien entendu – aux yeux des experts du lobby nucléaire – les centrales de Three Mile Island, de Tchernobyl et de Fukushima, pour ne citer qu’elles, jusqu’aux instants précédant leurs arrêts catastrophiques.

Cette visée de « sauvetage » de nos vieilles centrales est d’ailleurs reconnue de facto par le Conseil fédéral qui présente son plan comme un « contre-projet indirect » pour barrer la route à l’initiative fédérale, lancée par les Verts en 2011, qui prévoit pourtant une durée d’exploitation – déjà trop longue à nos yeux – de 45 ans pour les centrales existantes.

Cette stratégie «permettrait par ailleurs – dit le Conseil fédéral dans son communiqué – d’éviter des coûts supplémentaires imputables à une sortie rapide du nucléaire et d’éviter des demandes de dédommagement envisageables en cas de limitation au niveau politique de la durée d’exploitation» Les «coûts supplémentaires» humains écologiques et sociaux  incalculables imputables à une catastrophe le gouvernement s’en moque de les éviter …et de toute façon le ciel ne sera-t-il pas toujours bleu à Mühleberg, Beznau, Gösgen et Leibstadt… comme à Fukushima, comme sont bleus les yeux de Doris Leuthard.

 

Signons la pétition: 40 ans ça suffit!

Evidemment ce n’est pas vrai. Ni pour les yeux qui sont gris de la Conseillère fédérale PDC qui pilote cette vaste fumisterie, ni pour les enfants de Fukushima. Il nous faut donc une sortie la plus rapide possible du nucléaire, un arrêt immédiat des plus vieux réacteurs suisses comme Mühleberg et Beznau et une durée d’exploitation limitée politiquement et démocratiquement.

Dans ce sens, solidaritéS soutient la pétition « 40 ans, ça suffit ! » lancée par Greenpeace et qu’on trouve sur leur site Internet. Celle-ci demande au Conseil fédéral et au Parlement de «concrétiser la décision de sortie du nucléaire, en fixant à 40 ans la durée maximale de fonctionnement des centrales nucléaires dans la Loi sur l’énergie nucléaire (LENu).» On peut signer cette pétition en ligne sur le site de Greenpeace (greenpeace.ch) et y télé­charger des listes de à faire signer.

 

Pierre Vanek