NO PASARÁN! Manifeste de José Saramago contre la guerre

NO PASARÁN! Manifeste de José Saramago contre la guerre*

Ils croyaient que nous étions fatigués des manifestations et que nous leur avions laissé les mains libres pour poursuivre leur hallucinante course vers la guerre. Ils se sont trompés. Nous, qui manifestons aujourd’hui, ici et dans le monde entier, sommes comme cette petite mouche qui plante obstinément, encore et encore, son aiguillon sur les parties sensibles de la bête. En termes populaires, clairs et francs, nous sommes la mouche casse-couilles du pouvoir. Eux, ils veulent la guerre, mais nous, nous n’allons pas leur ficher la paix. Ni la première bombe ni la dernière de celles qui s’abattront sur l’Irak ne feront perdre sa vigueur et son autorité (nous aussi, nous avons de l’autorité) à notre engagement, mûri dans les consciences et proclamé dans les rues. (…)


Bush, Blair et Aznar palabraient aimablement au sujet du divin et de l’inhumain, tranquilles et sûrs de leur rôle de puissants sorciers, (…) lorsque la terrible nouvelle fit irruption dans le bureau ovale où ils s’étaient réunis: les Etats Unis d’Amérique avaient cessé d’être la seule grande puissance mondiale. Avant que Bush puisse asséner son premier coup de poing sur la table, José María Aznar s’empressait de déclarer que cette nouvelle grande puissance n’était pas l’Espagne. «Je te le jure, Georges», dit-il. «Mon Royaume Uni non plus», ajouta rapidement Tony Blair (…). «Si ce n’est toi et que ce n’est pas toi non plus, qui est-ce, alors?», demanda Bush. Ce fut Colin Powell, ayant lui-même du mal à croire ses propres propos, qui répondit: «l’opinion publique, Monsieur le président». (…) Les sorciers Bush, Blair et Aznar, sans le vouloir, sans le faire exprès, rien que par leurs artifices indignes et leurs pires intentions, ont fait surgir un gigantesque, un immense mouvement d’opinion publique, spontané et impossible à endiguer. Un nouveau cri parcourt le monde, un nouveau «No pasarán» exprimé par les mots «Non à la guerre».


Il n’est nullement exagéré de dire que l’opinion publique mondiale contre la guerre s’est transformée en une puissance avec laquelle le pouvoir doit compter. Nous nous affrontons délibérément à ceux qui veulent la guerre, nous leurs disons «Non», et si même comme cela il s’obstinent dans leur démente volonté et déchaînent une fois de plus les chevaux de l’apocalypse, alors nous les prévenons d’ores et déjà que cette manifestation n’est pas la dernière, que nous continuerons à manifester pendant toute la durée de la guerre, et même au delà, car à partir de maintenant il ne s’agira plus de dire simplement «Non à la guerre!», il s’agira de combattre tous les jours et dans toutes les instances pour que la paix soit une réalité, pour que la paix cesse d’être manipulée comme élément d’un chantage émotionnel et sentimental à l’aide duquel on prétend justifier les guerres.


Sans paix, sans une paix authentique, juste et respectueuse, il n’y aura pas de droits humains. Et sans droits humains – tous les droits humains et chacun d’entre eux – la démocratie ne sera jamais qu’un sarcasme, une offense à la raison, un «foutage de gueule». Nous tous qui sommes ici, nous sommes une partie de la nouvelle puissance mondiale. Nous assumons nos responsabilités. Nous allons lutter avec notre cœur et notre cerveau, avec notre volonté et notre espérance. Nous savons que les êtres humains sont capables du meilleur comme du pire. Eux (je n’ai pas besoin de les citer), ont choisi le pire. Nous, nous avons choisi le meilleur.


* Prononcé par le prix Nobel de littérature à l’occasion de la manifestation anti-guerre du 15 mars à Madrid (El mundo,16 mars 2003). Traduction française de José Movidas Rubio.