Initiative contre «l'immigration de masse»

Initiative contre «l'immigration de masse» : Sous la modération, le mépris sans limite

Slogan : «La démesure nuit à la Suisse». Titre général «Le sens de la mesure, aussi dans l’immigration!» (français fédéral d’origine.) Visiblement l’UDC, dans son tous-ménages national, cherche à donner d’elle une image modérée et raisonnable, «car la démesure conduit tôt ou tard au désastre». A la modération s’ajoute une sollicitude appuyée pour les sa­la­rié·e·s helvétiques, qui souffrent de la pression sur les salaires provoquée par l’immigration de masse, se trouvent de plus embouteillés quotidiennement dans la circulation routière, alors que leur AVS est sournoisement minée par le même phénomène migratoire, pendant que leurs enfants perdent pied dans une école où les rythmes d’apprentissage sont perturbés par les rejetons de ceux et celles qui ne sont pas d’ici. Les terres agricoles disparaissent ? La criminalité croît ? Les logements deviennent inaccessibles ? L’immigration de masse est l’alpha et l’oméga de toutes ces évolutions. La double page centrale du tous-ménages illustre spectaculairement le surplus de charges entraîné par l’immigration : logements, hôpitaux, écoles, éoliennes (!) à construire?; postes de médecins, d’infirmières et d’en­seignant·e·s à créer, etc. La démesure ? Une spécialité de l’UDC !

Mais même si ce parti cherche à se donner des airs raisonnables et modérés, les vieilles ficelles sont toujours là. Prétendant représenter l’immigration en provenance de l’UE en 2012, un graphique « montre » que la catégorie du regroupement familial  vient largement en tête de ce flux. Problème : le graphique ne porte pas sur la totalité de ce mouvement migratoire, l’histogramme ne donnant des résultats que pour 70,8 % du total. Et les 29,2 % restants ? Ils viennent démentir la thèse de l’UDC selon laquelle les mi­grant·e·s hautement qualifiés ne sont qu’une infime minorité. Donc on n’en parle pas. Qui donc ira prendre sa calculette pour vérifier les chiffres ?

Mais il y a pire – avec l’UDC, le pire n’est jamais loin : dans le commentaire du même graphique, il est dit que chaque année il y a 10 000 immigrant·e·s de professions non définissables qui arrivent en Suisse. Une position statistique que l’UDC décortique à plaisir, faisant surgir des occupations professionnelles improbables telles que « compléteurs de filtre, entreteneurs de vitrine, piqueurs de racine », etc. Le but est évidemment de faire croire que ces catégories statistiques représentent la réalité de l’immigration, alors qu’il ne s’agit que d’une énumération administrative. Pour mieux dénigrer les migrant·e·s, l’UDC a systématiquement éliminé les occupations professionnelles qui, dans cette liste, auraient pu donner une image à ses yeux plus positive. On y trouve par exemple des conseillers en communication ou des planificateurs de recherche. Mais pas de compléteurs de filtre, d’entreteneurs de vitrine ou autres piqueurs de racine. Invention pure et simple ? Que non : traduction « à la Google » des termes allemands. Les véritables dénominations, qui figurent dans le répertoire des professions de l’Office fédéral de la statistique, sont respectivement finisseur de filtres, gardien de vitrines et coupeur de racines. Ce dernier terme est imprimé en italique dans l’édition de 1990. Ce qui signifie qu’il s’agit d’une profession ancienne qui n’a plus été indiquée dans le recensement de cette année-là déjà. Mépris du lecteur et de la lectrice romands par une traduction approximative, volonté de déprécier les migrant·e·s en ressuscitant une profession disparue au siècle dernier déjà, l’UDC nouvelle ressemble fort à l’UDC d’avant la modération.

Manipulation, travestissement, trucage, tout est bon pour la cause. Une cause qui tient en seul mot : déshumaniser le ou la migrant·e, n’en faire plus qu’une variable d’ajustement, une force de travail désincarnée, que l’on prend et que l’on jette. L’UDC trouve scandaleux que certains mi­grant·e·s aient quelques droits, comme celui du regroupement familial. L’UDC veut ramener les mi­grant·e·s à un statut de marchandise dont le coût social aurait été rabaissé au maximum. L’UDC triche et ment, l’UDC diabolise les migrants. 

 

Daniel Süri