Rivières suisses

Rivières suisses : Une trompeuse transparence

De prime abord, les eaux des rivières suisses ont l’air saines. On y trouve rarement des carcasses rouillées de machine à laver ou des amas flottants de déchets et pas non plus de bancs de mousses diversement colorées. Mais cette transparence est trompeuse. Car on y trouve plus de cent pesticides.

Récemment parue, une étude publiée par l’EAWAG (l’Institut de recherche de l’eau du domaine des EPF), commandée par l’Office fédéral de l’environnement, a traqué les pesticides contenus dans l’eau vive des rivières suisses. Et les résultats n’ont rien de rassurant, surtout si l’on tient compte des angles morts des connaissances scientifiques actuelles (Aqua & Gas, nº 3, 2014).

Pour mener son étude, l’Institut de recherche de l’eau a sélectionné cinq cours d’eau de moyenne dimension dans le Plateau suisse. Leur représentativité concernait la taille de leur bassin versant, mais aussi la répartition des usages des différentes surfaces de ce bassin. Surfaces bâties ou surfaces cultivées, ces dernières divisées selon les types de cultures : d’une part, celles qui sont moins consommatrices de pesticides, comme les grandes cultures (céréales, maïs, colza et betteraves sucrières) et d’autre part celles qui en font un grand usage : vergers, cultures maraîchères, vignes, fruits, pommes de terre. La présence ou non de stations d’épuration (STEP) a aussi été prise en compte. Des cinq rivières ainsi retenues, quatre se situent en Suisse alémanique : la Salmsacher Aach (SG), la Furtbach (ZH), la Surb (AG) et la Limpach (SO)?; pour la Suisse romande, seules les eaux de la Menthue, qui descend du Jorat vers la Thielle ont été examinées.

 

Médaille d’or pour les phytosanitaires

Sur les 104 substances autorisées et détectables par les analyses réalisées (chromatographie liquide et spectrométrie), 82 étaient des produits phytosanitaires, 2 des biocides et 20 étaient autorisés aussi bien comme biocides que comme produits phytosanitaires. Parmi ces derniers figurent surtout des herbicides. Voici ce qu’en dit le résumé de l’étude : «L’exigence numérique de l’Ordonnance sur la protection des eaux (100 ng/l) pour des pesticides individuels a été dépassée pour 19 substances actives. Dans les cinq cours d’eau, on a mis en évidence, pour 4 à 11 substances, des concentrations supérieures à leur critère de qualité écotoxicologique. On ne peut donc pas exclure sur ces cinq sites une pollution des organismes aquatiques par des pesticides. L’étude montre que les cours d’eau de moyenne dimension, sur l’ensemble de la période d’étude, sont pollués par une pluralité de pesticides». Il faut préciser ici que l’étude ne porte pas sur les pics de concentration, mais bien sur des situations standard. En conséquence : «les concentrations de courte durée, selon les déductions des participants au projet, doivent être en partie de beaucoup supérieures, et pour certaines substances individuelles, même largement au-­dessus de la limite au-delà de laquelle elles possèdent une toxicité aiguë.?»

 

L’absence du glyphosate

Les méthodes d’analyse utilisée ne permettent toutefois pas de saisir les concentrations de substances, toxiques, mais rapidement absorbées ou adsorbées, comme les insecticides de la famille des pyréthroïdes, largement présents dans les insecticides domestiques et dont certaines études ont montré la toxicité pour les crustacés d’eau douce. La présence du glyphosate non plus n’a pas pu être vérifiée par l’étude, bien que ses auteurs jugent que les quantités de cette substance devraient être du même ordre que celle des autres désherbants. Produit phare de la multinationale Monsanto (Roundup), herbicide le plus utilisé dans le monde, le glyphosate se voit trop rapidement attribué un rôle écotoxicologique mineur dans la qualité de l’eau par l’étude. On sait pourtant que l’on retrouve du glyphosate dans le corps humain, qu’il traverse le placenta et perturbe le système endocrinien.

 

En attendant l’effet cocktail

Comme l’une des auteures de l’étude, la professeure Juliane Hollender, le souligne, il est nécessaire de procéder désormais aussi à une évaluation de la toxicité des mélanges des substances détectées. C’est ce que l’on appelle l’«effet cocktail», qui peut démultiplier l’effet toxique dans des proportions surprenantes et donc inquiétantes. Une étude préliminaire, publiée l’an passé dans la revue scientifique en ligne PloS, montrait qu’à très faible dose, des pesticides se combinant entre eux formaient un cocktail détonant. Le biologiste moléculaire Claude Reiss, l’un des auteurs, indiquait ainsi : «?Des substances réputées sans effet pour la reproduction humaine, non neurotoxiques et non cancérigènes ont, en combinaison, des effets insoupçonnés» (Le Monde, 7 août 2012). Il détaillait ensuite trois types d’impact sur les cellules humaines : la dégradation de leur viabilité, la perte de leur alimentation en énergie (donc la mort des cellules par autodestruction) et enfin la soumission des cellules à un stress oxydatif très puissant, possiblement cancérigène. La menace n’a rien d’anodin et permet de conclure en soulignant trois exigences urgentes :

 

les seuils de toxicité définis pour une seule substance doivent être considérés désormais comme des indicateurs à faible validité, tant qu’ils ne sont pas réévalués dans la double perspective des combinaisons possibles et des effets à faibles doses de certaines substances (perturbateurs endocriniens).

la recherche en matière d’« effet cocktail » doit être considérée comme une priorité pour la santé publique.

le modèle agro-industriel avec son recours soutenu aux intrants (engrais, herbicides, insecticides, etc.) devient aussi un problème de santé humaine. Raison de plus pour en changer. 

 

Daniel Süri