Le «modèle social allemand» vu de l'intérieur

Le «modèle social allemand» vu de l'intérieur : Offensives contre le droit de grève en Allemagne

Le modèle allemand, tant vanté par la presse dominante en France et en Suisse, se révèle beaucoup moins enthousiasmant pour les salarié·e·s lorsqu’on le regarde de l’intérieur. Il faut rappeler qu’il n’y a pas de vrai droit de grève en Allemagne. Or, aujourd’hui, la coalition SPD/CDU au pouvoir souhaite renforcer encore plus l’encadrement du droit de grève. Dans ce contexte, la plus grande confédération syndicale allemande (DGB) joue un rôle ambigu et se laisse embarquer par le syndicat des patrons (DBA, équivalent du Medef).

Nous proposons ici quelques extraits d’un article paru dans le bulletin d’information d’un réseau de militants syndicaux baptisé « Initiative pour la mise en réseau des gauches syndicales », article paru dans son intégralité sur le site d’Europe Solidaire Sans Frontières (europe-solidaire.org).

 

Position ambiguë du DGB ?

En 2011, le DGB, la plus grande confédération syndicale, s’est laissé embarquer par la BDA, le syndicat des patrons, dans une initiative commune pour faire passer une loi qui réglementerait l’unicité des conventions collectives. Les deux organisations s’étaient entendues sur l’objectif commun de neutraliser les petits syndicats qui sont (parfois) plus combatifs. Pour le capital, cela devait permettre d’assurer plus de calme dans les entreprises et de réduire sensiblement la fréquence des grèves dans le pays. Pour le DGB, cela devait éliminer la concurrence embêtante de la part de ces petits syndicats, car un syndicat empêché de mener une lutte pour une convention collective spécifique (parce qu’il serait obligé d’appliquer et de reconnaître la convention signée par un autre syndicat, en pratique par un syndicat du DGB) n’aurait plus de fonction propre, donc plus de raison d’être. Leurs membres s’affilieraient par conséquent – tel est du moins l’espoir du DGB – à l’un des syndicats membres du DGB.

Au-delà de cet espoir (typiquement bureaucratique) de voir s’accroître le nombre d’adhérents, l’avantage était pour les directions syndicales de ne plus être obligées d’expliquer et de justifier leur passivité, comparée à ce que les autres syndicats arrivent à arracher au patronat par un peu plus de combativité.

 

Deux offensives : le projet de loi et l’initiative de la fondation Weizsäcker

Deux offensives sont liées : le projet de loi gouvernemental et l’initiative de la fondation Weizsäcker (1). On ne connaît pas encore les détails du projet de loi du gouvernement mais il avance. L’agence Reuters, par exemple, donne quelques indications : «Chez Lufthansa, les pilotes ont commencé ce mercredi une grève de trois jours et ainsi paralysé le trafic aérien de la compagnie. Les pilotes sont organisés dans Cockpit, d’autres employés de Lufthansa dans ver.di. A travers cette loi, le gouvernement veut assurer qu’il n’y ait pas différentes conventions collectives au sein d’un même consortium (Konzern), signées par des syndicats selon les secteurs professionnels. C’est ainsi que doit être évité qu’il y ait constamment des conflits sociaux (donc des grèves). Il s’agit d’appliquer le principe ‹une entreprise, une convention collective». (2)

La principale ligne d’argumentation sera d’éviter que le « public non concerné » soit affecté par les conséquences d’une grève. Dans un article paru dans le journal Stuttgarter Nachrichten du 2 avril 2014, le député chrétien-démocrate au Bundestag, Arnold Vaatz, déclare ainsi : «Les dégâts causés par une grève doivent être proportionnels à la cause du conflit.» Le journaliste poursuit : «D’après Vaatz, il est inadmissible qu’un syndicat, dont les membres occupent des postes stratégiques, profite de cette position pour mieux avancer que d’autres syndicats. Cela cible évidemment Cockpit (le syndicat des pilotes) et la grève chez Lufthansa». La grève chez Lufthansa, explique Vaatz, «va certainement avoir des conséquences énormes au niveau de l’économie nationale». Une fois la porte ouverte à l’évaluation préalable des conséquences comme critère d’autorisation d’une grève, un changement profond de rapport de force entre les classes peut survenir.

Ces réflexions sont complétées par l’initiative pour un projet de loi présentée par la fondation Carl Friedrich von Weizsäcker, qui vise à réglementer de façon importante le droit de grève dans le secteur public. Y sont incluses des restrictions telles que : «Obligation de préavis: Une grève n’est légale que si le syndicat l’annonce 4 jours à l’avance […] Une grève n’est légale que si plus de 50% des membres du syndicat ont participé à un scrutin et si plus de 50% des votants se sont prononcés pour la grève.» Cette initiative prend comme modèle les règlementations restrictives introduites en Grande-Bretagne par Thatcher. Le gouvernement n’essayera certainement pas de faire passer ces deux projets en même temps, mais une fois le premier adopté au parlement, le deuxième ne tardera pas à être également présenté.

 

Quelle stratégie pour riposter ?

Malheureusement les syndicats de secteurs professionnels se limitent à une pétition en ligne. Les signatures nécessaires (50 000) ont déjà été réunies. Mais cela n’est qu’un tout petit élément de la campagne de sensibilisation. C’est le renforcement de la résistance dans les syndicats du DGB et l’information du public en général qui seront décisifs. Pour atteindre cet objectif, il est indispensable de mener les discussions les plus larges possibles dans ces syndicats et de parvenir à voter des résolutions contre ce projet de loi.

 

Jakob Schafer

Adapté par notre rédaction

 

  1. La fondation Carl Friedrich von Weiszäcker (cfvw.org/stiftung)
  2. Dépêche Reuters du 2 avril 2014