Les vrais bons amis... du patronat

Un groupe de 51 pays, s’autoproclamant les « vrais bons amis des services » comprenant notamment la Suisse, l’Union Européenne et les USA négocient en ce moment l’Accord sur le commerce des services (ACS ou TISA selon l’acronymes anglais). Les négociations ont lieu à Genève dans le plus grand secret.

 

Manifestement, les négo­cia­teurs sont soucieux de maintenir les populations dans l’ignorance. Cette précaution ne concerne naturellement pas les multinationales, associées aux négociations, qui ont, contrairement au reste du monde, accès aux documents. Des aveux même du GSC (Coalition internationale des industries de service) cet accord a d’ailleurs été conçu «pour apaiser la frustration des entreprises en raison de l’impasse du cycle de Doha en matière de services»1. On comprend mieux de qui les dirigeants en question sont bons amis.

 

 

Services publics en péril

 

Si l’opacité qui entoure les négociations a de quoi inquiéter, les in­for­mations qui ont « fuité » ne sont pas pour nous rassurer. Le traité vise en effet une libéralisation poussée et une mise en concurrence internationale des services. Seraient concernés tous services dans lesquels des activités privées et bénévoles existent déjà en marge du secteur public. De fait, ceci comprend des secteurs comme la santé, l’éducation, la gestion de l’eau, les transports publics, etc. L’Etat devrait se tenir à une «neutralité concurrentielle» entre établissements publics et privés. En clair il devrait financer à même hauteur, dans le secteur de la santé par exemple, cliniques privées et hôpitaux publics.

L’accord prévoit également une «clause à effet de cliquet». Elle signifie que toute mesure nationale postérieure à l’accord doit tendre vers d’avantage de conformité avec celui-ci. Il sera donc toujours possible, après ratification, de libéraliser mais pas de nationaliser. Cette clause est associée à une autre disposition, dite de statu quo, qui précise que tout service n’ayant pas explicitement été cité par un Etat dans la liste des secteurs exclus de la privatisation devra impérativement et automatiquement être libéralisé.

L’offensive est particulièrement marquée sur les services financiers. L’ACS exigerait de revenir sur toute restriction au commerce de ceux-ci. Les (maigres) limitations existantes, arrachées notamment après la crise de 2008, seraient alors balayées et l’accord serait un obstacle à toute tentative de régulation comme la taxation des produits financiers qui pourrait être interdite.

 

 

Travailleurs·euses et environnement menacés

 

Le texte en négociation porte également atteinte à la législation concernant les tra­vail­leurs·euses temporairement déplacés pour une période limitée. Ceux-ci sont actuellement soumis aux normes de l’OIT (Organisation international du travail), mais le texte prévoit de transférer cette responsabilité à l’OMC, gageant que cela permettrait un « assouplissement » des règles en vigueur, c’est-à-dire de meilleures possibilités pour le dumping salarial.

Enfin, l’accord prévoit la mise en place de tribunaux d’arbitrage. Taillés sur mesure pour les multinationales, ils leurs permettraient de poursuivre en « justice » les Etats mettant en place une politique jugée trop restrictive qui, pour des raisons écologiques ou sociales, porterait atteinte à leurs possibilités de profits. Cet élément est une revendication forte des milieux patronaux et figurait déjà dans le traité de l’AMI (Accord multilatéral sur l’investissement) qui a été rejeté en 1998. Négocié lui aussi dans le secret, il avait été surnommé Dracula pour être mort une fois exposé à la lumière. La mobilisation populaire avait été déterminante dans le rejet de ce traité. Nous n’avons qu’à souhaiter qu’il en soit de même pour l’ACS, mais aussi pour le TAFTA (voir le Cahier émancipationS de ce numéro.)

Ces traités s’inscrivent dans la logique profonde du capitalisme. Sa dynamique le pousse en effet toujours plus loin dans la marchandisation généralisée des activités sociales. Ils sont aussi à analyser dans le contexte actuel de libéralisation à marche forcée. La Suisse a, par exemple, récemment ratifié un accord de libre-échange avec la Chine en procédant également de la manière la plus opaque. D’autres négociations sont actuellement en cours, notamment avec l’Inde. 

 

 

Ripostons ensemble dans la rue

 

On le constate une fois de plus : lorsque les intérêts du grand capital sont en jeu, les Etats ne s’encombrent pas de démocratie. Face à ces traités qui menacent les droits démocratiques, les services publics, ainsi que les acquis sociaux, il est nécessaire d’organiser la riposte. Une journée d’action européenne est prévue le 11 octobre, à Genève une manifestation aura lieu. Faisons en sorte qu’elle soit un succès, mais également qu’elle ne représente que le début d’une forte mobilisation qui, seule, pourra enterrer ces traités néfastes à tous les égards.

 

Jean Burgermeister