Fiscalité des entreprises dans le canton de Vaud

Fiscalité des entreprises dans le canton de Vaud : C'est l'union sacrée

Depuis 2005, les comptes de l’Etat de Vaud ont présenté sans interruption d’importants excédents de recettes. En 2013, le bénéfice s’élève à 743 millions (sur lesquels 735 millions ont été prélevés pour la recapitalisation de la Caisse de pension). Durant la même période, l’Etat de Vaud a pu diminuer sa dette nette de 8 649 millions (2004) à 475 millions en 2013.

 

Durant cette même période, le personnel de l’Etat tout service confondu et y compris le CHUV a augmenté (32 779 (27 161 EPT) en 2013)  dans une proportion comparable à la croissance démographique du canton de 1 % par année. Cet accroissement du volume des service publics n’a permis de répondre que partiellement aux nouveaux besoins sociaux : il manque toujours des milliers de places dans les lieux d’accueil de l’enfance, le personnel de la santé publique et parapublique est constamment surchargé et travaille en flux tendu.

Dans l’enseignement les moyens sont en deçà des besoins. Le manque de construction de logements à loyer abordable est criant. Face à  ces carences connues, on pourrait espérer que le gouvernement cantonal (à majorité rose verte) cherche à mettre en corrélation les dépenses publiques avec les besoins sociaux en s’appuyant sur la très bonne santé des finances cantonales. C’est le choix inverse qu’a fait un Conseil d’Etat avant tout soucieux de mettre en corrélation l’impôt avec les exigences de profits des entreprises. 

 

La recette vaudoise de la 3réforme des entreprises 

 

Dans le contexte de la 3e réforme des entreprises lancée par le Conseil fédéral, et donc de la probable suppression des statuts spéciaux pour certaines sociétés étrangères (holding, société de domicile, société mixte), le Grand conseil vaudois vient de se prononcer le 7 octobre en faveur de la «plus grande réforme fiscale depuis les années 1940» (Pascal Broulis, ministre des finances PLR) basée sur un compromis historique entre les deux principaux axes du pouvoir, le PS et le PLR. Le taux d’imposition du bénéfice des entreprises passera de 23,5 % actuellement à 13,8 %. Cela entrainera une diminution des recettes annuelles du canton de 450 millions. En contrepartie, les entreprises devraient augmenter leur contribution pour le financement des allocations familiales (augmentation de 30 francs de l’allocation enfant et de formation); l’Etat devrait augmenter son soutien financier au dispositif cantonal d’accueil de jour (20 millions) et les critères d’octroi des subsides pour la paiement des primes LAMAL devraient être plus généreux (50 millions). Cette contrepartie s’élèverait au total à 150 millions dont 80 millions dans le meilleur des cas – cela reste à négocier – seraient à la charge du patronat. Le cadeau fiscal net serait ramené à seulement 370 millions ! Concernant l’augmentation des moyens pour l’accueil de jour, le présenter comme une contrepartie est pour le moins trompeur puisque le peuple a voté en 2009 en faveur de l’instauration de la journée continue. Sa mise en œuvre est, quoi qu’il arrive, une tâche de l’Etat. En outre, le Conseil d’Etat espère que la compensation de la Confédération s’élèvera à au moins 107 millions par an. Au vote, tous les partis représentés au Grand conseil ont accepté la feuille de route, soit le compromis « Broulis-Maillard ». Seule La Gauche (POP et solidaritéS) l’a rejeté.

 

 

La politique des caisses vides de retour

 

On assiste donc avec consternation à une nouvelle forme de politique des caisses vides. L’Etat de Vaud a tant fait pour attirer les sociétés multinationales qui cherchent à se soustraire à l’impôt dans les pays où elle déploient leurs activités notamment les pays en voie de développement – avant tout les sociétés mixtes, soit des entreprises imposées de façon réduite pour la part de leurs activités réalisées à l’étranger – qu’il craint que la suppression de leurs privilèges fiscaux ne conduisent à leur départ de Suisse. 

Selon le gouvernement cantonal, «(
) le départ des société mixtes entrainerait des pertes fiscales de quelques 300 millions de franc auxquelles il convient d’ajouter les pertes relatives aux emplois (…). Les pertes fiscales totales devraient être comprises entre 520 et 600 millions de francs.
» (« Exposé des motifs du Conseil d’Etat de septembre 2014 », page 23).

Ce qu’oublie de dire le Conseil d’Etat, c’est que la diminution radicale de l’impôt sur le bénéfice de toutes les entreprises se traduira immanquablement par des pertes fiscales encore plus spectaculaires dès que la croissance économique exceptionnelle du canton de Vaud s’arrêtera. Les pertes fiscales nettes estimées à 370 millions entrainées par le projet de contre-réforme pourraient alors bien dépasser les 600 millions de perte que représenterait, par hypothèse, le départ de toutes les sociétés mixtes du canton en cas de disparition de leurs privilèges fiscaux. 

On notera par ailleurs que l’argument de la fuite automatique des entreprises est d’autant plus spécieux que la réforme prévue ne supprime pas « l’argument » de l’exonération fiscale temporaire en faveur des entreprises qui modifient de façon fondamentale leurs activités et qui annoncent une restructuration importante sur le plan économique.

Quelle que soit l’évolution de la situation économique, les substantiels cadeaux fiscaux faits aux entreprises se traduiront immanquablement par des restrictions des dépenses sociales. Si le gouvernement et le Grand conseil résistent déjà à répondre aux besoins de financement dans les dépenses sociales (santé, éducation, accueil de jour, logement) alors que les comptes de l’Etat sont largement bénéficiaires, il est évident que des politiques d’austérités seront immédiatement à l’ordre du jour dès le moindre retournement conjoncturel.

 

Pierre-Yves Oppikofer