Classer, hiérarchiser, exploiter
Aujourd’hui, des millions de personnes se voient contraintes de prendre les sentiers de l’exil et de quitter leur foyer. Les politiques impérialistes, les répressions meurtrières des régimes autoritaires, l’activité des multinationales et le réchauffement climatique génèrent guerres, famines et misère, et imposent de toutes leurs forces l’impératif de circulation. Par millions, des personnes forcées au départ cherchent, parfois désespérément, une terre où elles pourront vivre. Face à ce phénomène, nos gouvernements, en plus de transformer l’Europe en forteresse difficile à pénétrer et la Méditerranée en grand cimetière, n’ont de cesse de développer un arsenal législatif, soi-disant à même de protéger la population résidente.
Cependant, les lois qui encadrent l’arrivée de personnes sur notre territoire, loin de stopper l’immigration ou d’offrir une quelconque forme de protection réelle contre le chômage ou la sous-enchère salariale, servent avant tout à limiter les droits des migrant·e·s, et à diviser les travailleurs·euses. Ce dispositif législatif, allant des accords de Schengen à la loi sur l’asile, classifie les migrant·e·s par statut et les hiérarchise sur la base de leur origine, construisant ainsi un système social discriminatoire, base d’un véritable racisme d’Etat. Ces lois offrent de facto de grandes possibilités au patronat pour contourner les faibles protections des salarié·e·s et représentent des outils de dumping salarial extrêmement efficaces.
Le cas d’Alpen Peak a ceci d’exemplaire qu’il nous montre de quelle façon les patrons jouent avec les différentes catégories de statuts des salarié·e·s étrangers, afin d’échapper aux contrôles et violer ce faisant les conventions collectives pour diviser par plus de moitié les salaires. Les centaines de milliers de travailleurs·euses sans-papiers, produits concrets de ce système législatif aberrant, se retrouvent aussi sur le marché du travail sans pouvoir faire valoir leurs droits, se transformant ainsi en un réservoir de main d’œuvre corvéable à merci. Il en va de même pour nombre de réfugié·e·s qui, frappés d’interdiction de travailler, doivent pour survivre accepter des travaux sous-payés et effectués en toute illégalité.
Si les milieux patronaux et leurs représentant·e·s politiques martèlent sans discontinuer que ces dispositifs législatifs sont autant de garde-fous nécessaires à l’épanouissement de la Suisse, ils se gardent bien de dire à quel point ils servent leurs intérêts au détriment de l’immense majorité de la population. Malheureusement, le matraquage incessant de l’aile particulièrement xénophobe de notre bourgeoisie produit des effets néfastes.
Alors qu’une lutte acharnée contre ces lois racistes devrait être à l’agenda politique de toutes les forces progressistes et des organisations de travailleurs·euses, on assiste au contraire à une adhésion toujours plus large aux thèses xénophobes. Dans le cadre de la mise en œuvre de l’initiative contre l’immigration de masse, l’abandon du renforcement des mesures d’accompagnement par le PSS et les centrales syndicales, au profit d’une préférence nationale, démontre sans ambages ce glissement vers la droite.
Face aux expulsions inhumaines et toujours plus violentes de requérant·e·s d’asile effectuées par les autorités suisses, face à la précarisation de centaines de milliers de travailleurs·euses clandestins, face aux pratiques de dumping salarial toujours plus agressives de la part du patronat, face à l’extension toujours plus grande de catégories de personnes ayant des droits restreints, nous devons redéfinir un horizon politique qui guidera les luttes durant ces prochaines années.
La destruction du dispositif législatif raciste, qui divise les travailleurs·euses et les offre en pâture à une mise en concurrence sauvage, est un prérequis qui ne peut passer que par l’affirmation d’une liberté totale de circulation et d’établissement. L’abolition de cette catégorisation de travailleurs·euses étrangers n’est cependant pas à elle seule suffisante et doit nécessairement s’accompagner d’un renforcement des droits sociaux et politiques. En articulant l’abandon du racisme d’Etat avec le développement de réelles protections du travail et de droits politiques pour toutes et tous, nous pouvons commencer à fournir un horizon politique capable de réunir l’ensemble des travailleurs·euses.
Seul ce front uni, réunissant étrangers·ères et résident·e·s pourra lutter efficacement contre les véritables menaces que représentent les intérêts des possédants. Ils cherchent à nous séparer, ensemble revendiquons nos libertés!
Pablo Cruchon