Bandes dessinées en lutte

Zeina Abirached
Mourir, partir, revenir: le jeu des hirondelles
Editions Cambourakis, 2007

Beyrouth 1984, un immeuble au 38, rue Youssef Semaani, situé sur la ligne de démarcation, la fameuse ligne verte. Au 1er étage, les habitant·e·s sont réunis dans un appartement pour affronter ensemble les bombardements quotidiens qui ponctuent cette guerre civile. Un couple, une famille, des jumeaux boute-en-train, un chauffeur de taxi, des enfants attendant leurs parents, autant de personnages, dignes représentants du Liban des années 80, qui partagent leur nourriture, rient, commentent la guerre et surtout trompent la mort. Une œuvre tout en subtilité, qui démontre avec une douceur peu commune et un dessin au croisement des fresques asiatiques et du graphisme européen, comment un sentiment de sécurité peut se recréer même dans les pires situations. Avec ce roman graphique, Zeina Abirached essaie de comprendre les mécanismes qui ont amené de nombreux Libanais-es à rester à Beyrouth malgré la guerre. Sa réponse, la solidarité!

Chloé Cruchaudet
Mauvais Genre
2013, Delcourt/Mirages

Mauvais Genre est une histoire vraie, mais hors du commun. Une histoire qui mêle habilement la destinée collective de nos sociétés aux passions individuelles. A Paris, Paul et Suzanne se marient et s’attendent à filer le parfait amour. Mais les puissances impérialistes en décident autrement et déclenchent la Première Guerre mondiale. Du bonheur casanier à l’horreur des tranchées, Paul, au milieu des cadavres, va décider de survivre plutôt que de se battre. Devenu déserteur, clandestin, il fuit les lignes de front et se réfugie dans une chambre d’hôtel. Enfermé, sombrant peu à peu dans une mélancolie de claustrophobe, Paul décide de se travestir pour sortir. Paul devient Suzanne et avec Louise, ils commencent une seconde vie. L’auteure, Chloé Cruchaudet va dès ce moment nous servir une approche très fine de ce changement de genre qui interroge les normes de la société, qui bouscule les limites entre la sphère privée et publique et qui bouleverse le couple. Un magnifique roman graphique en noir et blanc ou la seule couleur qui s’invite est le rouge. Le rouge de la violence, du sang, mais aussi de l’amour. Une histoire tragique et triste, mais qui éclaire la réalité de nos vies, de nos mœurs d’une très belle manière.

Jean-Pierre Filiu et David B.
Les meilleurs ennemis: une histoire des relations entre les Etats-Unis et le Moyen-Orient 1783 à 2013
Futuropolis
Première partie 1783
1953, 2011
Deuxième partie 1953
1984, 2014
Troisième partie 1984
2013, 2016

Nous avons d’un côté un historien, spécialiste du Moyen-Orient et de l’Islam, et de l’autre un des plus grands talents de la bande dessinée contemporaine. De cette rencontre est né un projet ambitieux: une bande dessinée en trois tomes essayant de comprendre et de vulgariser les relations politiques, économiques et militaires entre les Etats-Unis et le Moyen-Orient. Et on peut le dire, dans l’ensemble ce projet est une vraie réussite. Avec l’appui des dessins emplis de poésie de David B., cette immense fresque historique a le mérite de rendre accessible tout un pan parfois méconnu par le grand public de l’histoire impérialiste américaine. En retraçant cette histoire, les auteurs nous font traverser toute une série d’événements historiques, mais aussi d’anecdotes depuis la reconnaissance de l’Indépendance des Etats-Unis par le Royaume-Uni (1783) jusqu’en 2013. Mais si l’analyse des enjeux géostratégiques est au centre du récit, les auteurs n’oublient pas que l’histoire est aussi constituée de mythes fondateurs qui construisent le sens propre à chaque acteur. Visuellement époustouflant et très intéressant historiquement, cet ouvrage est un encore un essai concluant, après l’adaptation du livre d’Howard Zinn en bande dessinée, de l’utilisation de ce support pour démocratiser notre histoire.

Ed Piskor
Hip-Hop Family Tree vol 1. 1970
1981
Editions Papa Guédé

Enfin, la traduction française de Hip-Hop Family Tree est disponible. Le tome 1 de la saga d’Ed Piskor, sur la naissance de cette culture suburbaine, allant de 1970 à 1981, est tout simplement magnifique. Nous plongeant dans le Bronx où les gangs sévissent, Ed Piskor nous montre comment l’art et la culture populaire naissent des ruines de quartiers dévastés, des destins des oubliés et de la résistance des opprimés. A l’aide d’un graphisme coloré au style vintage délavé absolument superbe et d’un travail journalistique extrêmement fouillé, la plongée dans ces années folles de la subculture hip-hop est tout simplement unique. Loin d’une simple vision idyllique, Ed Piskor nous présente un portrait sans concessions de ce mouvement populaire qui rapidement se professionnalise et donne naissance à une industrie particulièrement agressive. Un cours d’histoire populaire et un éloge à la culture hip-hop à lire et relire. PaC