Le soleil surchauffe parce qu’il a été sous-exploité

Le soleil surchauffe parce qu’il a été sous-exploité

Face à l’imminence d’une catastrophe climatique annoncée, les égocentriques prient pour qu’elle ne se produise pas dans leur cour, les élus espèrent qu’elle aura lieu après leur mandat et leur prochaine campagne électorale et les néoscientifiques opportunistes s’acharnent à démontrer que les canicules à répétitions n’apportent toujours pas de preuves suffisantes au réchauffement de la Planète1. C’est «après nous le déluge» – ou plutôt «le désert». En attendant, ceux qui en tirent directement profit feront «traîner les choses jusqu’à l’épuisement des énergies fossiles»2.


Car il s’agit bien de cela. Dès son instauration, le mode de production capitaliste a généralisé le recours aux énergies non renouvelables au détriment de la seule énergie inépuisable: le solaire, qui couvrait tous les besoins énergétiques jusque là, sans affecter l’environnement3. Le solaire a été progressivement remplacé par le charbon, le pétrole, le gaz naturel et l’uranium. Ce choix découlait de l’opportunité d’accroître les profits privés par le pillage et la vente de marchandises énergétiques, opportunité que le flux solaire dilué et dispersé ne pouvait assurer4. Il a conduit à la surconsommation d’énergies fossiles, à la conversion de l’ensemble des équipements productifs, de transports et de conditionnement et par conséquent à une dépendance totale envers ces combustibles en cours d’épuisement, alors que le manque d’énergie bon marché affecte des milliards de citoyens dans le monde. Plus grave, la combustion des ressources fossiles a propulsé une gigantesque masse de déchets gazeux dans l’atmosphère au point d’en réduire la transparence et, partant, le rafraîchissement de la terre par dégagement de sa chaleur dans l’espace.

Effet de serre et capitalisme

Le réchauffement climatique croissant que nous subissons depuis une dizaine d’années est dû à l’effet de serre, n’en déplaise aux chantres du capitalisme, qui font mine de découvrir ce phénomène connu de longue date5 et de douter qu’il découle de leurs choix technologiques mortifères. Le marché des énergies fossiles est une trop bonne affaire pour que les menaces pesant sur l’avenir de l’espèce humaine ne vienne le perturber. Tout est donc fait pour que l’évidence des relations de cause à effet entre les canicules actuelles et l’effet de serre soit brouillée, pour que les exploités et opprimés soient désignés comme seuls responsables de leurs souffrances, ceci afin d’empêcher une reprise en main des choix énergétiques par les principaux intéressés: six milliards d’homo sapiens contre quelques millions d’homo economicus.


Les «concepts», «mesures» et autres «protocoles» concoctés par les pouvoirs en place pour «lutter contre les causes humaines (sic) de la dégradation de l’environnement» ne doivent plus faire illusion. Ils n’ont pour seule fonction que de brouiller les cartes et de tromper le monde prolongeant ainsi la gabegie énergétique et productiviste d’encore quelques décennies. Leurs recettes vont des «économies d’énergie» aux «transports publics» (que nous soutenons bien sûr!) en passant par le «recours au nucléaire», dont les promoteurs ont le culot de dire qu’il constitue l’alternative aux combustibles fossiles, alors que la catastrophe des déchets carbonnés n’est rien face à celle tout aussi prévisible de la contamination des vivants par les déchets radioactifs. De plus, même si ces mesures étaient efficaces, elle ne sont mises en œuvre qu’à doses homéopathiques, faute de «volonté» politique des gouvernements, en clair, de marge de manoeuvre que le capital leur concède pour agir6.

Changer de cap

Plutôt que de décréter de toute urgence la réduction massive et immédiate des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale, les méga états-major planétaires du capital, telle que l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) préparent au contraire un arsenal juridique propre à accroître leur contrôle sur la marchandisation des biens communs et des services publics. L’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS), qui sera conconté à Cancún (Méxique) au début septembre prochain, s’annonce comme une nouvelle arme de destruction massive de l’environnement et des ressources. Le capital est décidé à accroître encore son contrôle discrétionnaire sur les biens et les services – propriété et acquis de l’humanité – car il ne veut envisager un quelconque autre mode de production que celui aberrant dans lequel il étouffe l’humanité. Selon l’un de ses porte-paroles autorisés, Georges W. Bush, toute réduction des émissions de gaz à effet de serre est exclue car «le mode de vie américain n’est pas négociable». S’il confond Etats Unis et continent américain, démocratie et business et s’il assimile le mode de vie de ses copains-coquins à celui des peuples américains et américanisés de force ce n’est que pour les dissuader d’espérer un mode vie meilleur en brouillant les pistes qui les y conduiraient.


Pour nous la piste est toute tracée: un autre mode de production est techniquement, énergétiquement et politiquement possible et nécessaire. Le rétablissement climatique dépend exclusivement du succès de nos luttes, seule inconnue dans les savantes prévisions météorologiques à court, moyen et long terme qui expliquent pourquoi les prévisions du réchauffement climatique à la fin de ce siècle varient entre 1,4 et 5 °C.


François ISELIN

  1. Le président du très officiel et compétent Intergovernmental panel on climate change, IPCC, affirme que les températures élevées en Europe ne sont pas «dues à des variations naturelles du climat» mais «sont des signes prémonitoires de ce qui nous attend à l’avenir» Le Monde 9 août 2003.
  2. Hubert Reeves, Mal de terre, Seuil, Paris, mars 2003 (p. 103). Cet ouvrage ainsi que celui de la note suivante sont à lire absolument. On lira aussi avec intérêt Pierre de Felice, L’effet de serre, un changement climatique annoncé, l’Harmattan, 2001.
  3. «A l’échelle du globe, les températures se sont réchauffées depuis le milieu du XIXe siècle […] durant la seconde moitié du XXe siècle, les émissions de gaz à effet de serre ont été clairement à l’origine de la majeure partie du réchauffement». Martine Rebétez, La Suisse se réchauffe, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2002 (pp 16-19).
  4. «La terre reçoit et absorbe en permanence une énergie équivalente à cent millions de réacteurs nucléaires, soit environ dix mille fois la quantité requise pour les besoins actuels de l’humanité »! H. Reeves, op. cit. (p. 90).
  5. Cet «effet de serre» a été décrit en 1827, ses conséquences ont été dénoncées dès 1875 et des mesures de gaz carbonique sont effectuées depuis 1957! M. Rebetez, op. cit. (p. 126).
  6. En Suisse, qui se dit exemplaire en matière de protection de l’environnement, par exemple «la consommation [de carburants] est encore en nette augmentation (13% entre 1990 et 2000)»! M. Rebetez, op. cit (p. 121) et «chaque habitant, en Suisse, émet dans l’atmosphère un peu plus de six tonnes de CO2 par année» Ibid (p. 118).