Barazzone et la taxe au tonnage - C'est du lourd

C’est du lourd

17 000 francs de téléphone, des dizaines de milliers de francs de dépenses «par mégarde» aux frais de la Ville: Barazzone, élu PDC à Genève, fait fort.


L’un des porte-conteneurs de MSC. Un seul de ces bateaux pollue autant que 50 millions de voitures.

On aurait tort d’oublier son voyage à Abu Dhabi sur les traces de Pierre Maudet. Car si la justice s’intéresse aux dépenses abusives de l’élu à l’Exécutif municipal, Guillaume Barazzone se trouve déjà au centre d’une enquête du Ministère public relevant du domaine de la corruption, pour acceptation d’un avantage.

Le Conseil administratif bottait en touche sur ce sujet, indiquant que ce voyage n’avait pas de lien avec la fonction municipale de Barazzone. Et c’est en effet le conseiller national Barazzone qui doit voir son immunité parlementaire levée pour pouvoir être poursuivi dans cette affaire. C’est le conseiller national Barazzone qui s’est battu à Berne (avec Christian Lüscher) pour introduire la taxe au tonnage en déposant notamment un postulat en septembre 2014 et en reprenant comme un perroquet les arguments des parties intéressées.

Et c’est Diego Aponte, PDG de MSC, la deuxième plus grande entreprise de transport de conteneurs maritimes au monde, basée à Genève, le même qui a ramené Maudet d’Iran dans son jet privé, qui a introduit Barazzone dans l’enceinte privilégiée de la tour du circuit de Formule 1 d’Abu Dhabi, après qu’un «ami» lui ait opportunément offert le voyage.

Le PDC parti de la «famille»?

Le même Aponte a des «liens familiaux» avec le conseiller de l’Élysée Alexis Kohler, épinglé en France par le Parquet national financier ou la Cour des Comptes, et qui est dans le collimateur de l’association de lutte anticorruption Anticor (v. Mediapart sur le sujet).

La taxe au tonnage constitue un mode d’imposition forfaitaire cousu main pour la branche du transport maritime, sans rapport avec le bénéfice effectif des entreprises. Par le passé, la taxe au tonnage était écartée comme un fâcheux «précédent dont pourraient se prévaloir d’autres secteurs économiques». En 2002, le Conseil fédéral écrivait que: «En instaurant cette taxe au tonnage l’État doit s’attendre à un sérieux manque à gagner au niveau des rentrées d’impôts et des contributions sociales.»

En vue de la RIE3, ladite taxe était envisagée. Mais il ressort d’un avis de droit, commandé par le Conseil fédéral, qu’elle doit être considérée comme un «allégement fiscal comparable à une subvention» ou encore une «aide d’État et un avantage sélectif» pour les entreprises concernées. Cette imposition privilégiée, dit l’avis de droit du professeur Danon, «heurterait les principes d’égalité de l’imposition et de capacité économique» et exigerait pour le moins une base constitutionnelle spécifique.

La taxe attend dans les coulisses

Face à ces difficultés, la taxe au tonnage a été sortie de la RIE3. Mise en stand-by, elle n’est pas morte. Elle a été renvoyée au Conseil fédéral pour élaboration d’un projet spécifique. Ainsi, les méthodes auxquelles auraient recours MSC et ses pairs pour soutenir ce projet fiscal qui les intéresse vivement doivent retenir notre attention. L’escapade de Barazzone aux Émirats mérite donc qu’on s’y arrête, quelles que soient ses frasques par ailleurs.

La levée de son immunité le moment venu à Berne y contribuera, elle sera d’autant plus légitime que les voyages ne sont admis pour un parlementaire fédéral qu’à condition que celui-ci prenne lui-même en charge ses frais de voyage à teneur des directives émises le 1er décembre 2015 par les bureaux des deux Chambres du parlement. Les député·e·s sont passibles de poursuites «s’il est possible d’établir une relation réelle entre l’avantage indu qui a été accepté et le mandat parlementaire». Or cette relation a semblée évidente à tous les médias.

Pierre Vanek