Guerre au Congo: 3 millions de morts, rivalités ethniques ou impérialistes?

Guerre au Congo: 3 millions de morts, rivalités ethniques ou impérialistes?

La guerre qui a ravagé le Congo-Kinshasa pendant cinq ans a été probablement la plus meurtrière qu’ait connue l’humanité depuis la Seconde guerre mondiale. A en croire des ONGs comme International Rescue Committee ou Amnesty International, elle aurait causé la mort d’environ 3 millions de personnes (victimes directes et indirectes des combats), déplacé 2,5 millions d’autres et abouti au viol de milliers de femmes, ceci dans l’indifférence générale de la communauté Internationale, de la grande presse, voire même du mouvement pour la paix.1


Suite au cri d’alarme lancé par le médiateur Ketumile Masire, ex-président du Botswana, le Premier ministre belge, Louis Michel, avait bien versé quelques larmes de crocodile: «L’Afrique est un continent mortifié, ignoré, abandonné, méprisé. C’est scandaleux.» La communauté internationale, dont la Belgique d’ailleurs, a exploité l’Afrique par le passé… Pourquoi est-ce que subitement la communauté internationale s’occupe du Kosovo en déversant des milliards sur ce pays d’un million d’habitants, alors que la guerre dans les Grands Lacs est continentale et a fait plus de 3 millions de morts depuis 1995?»2. Finalement, après s’être occupée d’affaires plus sérieuses,la communauté internationale a soutenu l’œuvre pacificatrice de la France3.


Nous allons tenter ici d’expliquer les enjeux de ce conflit extrêmement meurtrier, qui a plus à voir avec la mondialisation capitaliste d’hier et d’aujourd’hui – en raison notamment de l’exploitation d’un métal essentiel pour la filière micro-électronique civile et militaire, le coltan (colombo-tantale) – qu’avec les antagonismes tribaux du continent noir.


Les années 90 ont été celles de la «démocratisation» de l’Afrique subsaharienne. Des peuples, longtemps exclus de la scène politique, sinon comme témoins de l’auto-consécration de régimes monopartistes, se sont trouvés ainsi «libres» de soutenir des forces différentes, avec la restauration du multipartisme4. Pourtant, cette «démocratisation» politique a pu favoriser l’éclatement de guerres civiles; dans certains cas, elle n’a pas réussi à les empêcher (Angola5, Congo-Brazzaville, Congo-Kinshasa, Côte d’Ivoire, Liberia).

Origines coloniales des guerres ethniques

Ces conflits, étiquetées «ethniques» ou «tribaux», ont été décrits comme des résurgences de l’Afrique pré-moderne. Par exemple, la guerre au Congo-Kinshasa, s’expliquerait par des violences ethniques du fait des milices rivales hema et lendu à Bunia (capitale du district de l’Ituri, dans la Province Orientale). Seule l’intervention humanitaire de l’armée française, sous mandat de l’Union Européenne et de l’ONU, aurait mis fin à ce carnage.


Certes, le caractère ethnique des massacres est indéniable: les témoins affirment que des Hema tuent des Lendu à Bunia, après avoir été eux-mêmes victimes des Lendu. Ce cycle infernal a commencé en 1999, avec la participation d’autres ethnies du district. Dès le XIXe siècle, la rivalité de ces deux ethnies était expliquée par l’incompatibilité de leurs cultures: les Hema, considérés comme Hamites, à l’instar des Tutsi du Burundi et du Rwanda, ou des Hima de l’Ouganda, s’opposeraient ainsi aux Lendu, des Bantous comme les Hutu du Burundi et du Rwanda, ainsi que nombre d’autres peuples de la République Démocratique du Congo, auxquels on ajoutera les Pygmées, dont les Twa du Burundi et du Rwanda. Les premiers, de tradition pastorale et venus d’ailleurs, seraient «supérieurs» aux seconds, d’anciens agriculteurs autochtones. Une classification coloniale hiérarchisée, qui va structurer à son tour la coexistence de ces peuples. Sans elle, on ne peut comprendre les guerres ethniques de la région des Grands Lacs (Est du Congo-Kinshasa – ex-Congo-Belge, puis Zaïre –, Burundi, Ouganda, Rwanda).


En fait, l’hostilité meurtrière des Hema et des Lendu a commencé avec l’intrusion des premiers sur les terres des seconds pour y faire paître leur bétail, avec le soutien des colons. Conflit d’origine foncière, entretenu par le favoritisme colonial à l’égard des Hema minoritaires, mais considérés comme plus proches «racialement» des blancs. Une hiérarchie cultivée par le mobutisme, l’oligarchie hema se confondant avec les gros fermiers du district de l’Ituri. Majoritaires, les Lendu fournissent l’essentiel du prolétariat agro-pastoral et subissent le pouvoir des Hema sur ce qu’ils considèrent être leurs terres ancestrales. En un siècle, Hema et Lendu se sont ainsi affrontés à maintes reprises.

Interventions de l’Ouganda et du Rwanda

Mais revenons aux circonstances précises de ce conflit. En août 1998, sous prétexte de sécuriser leurs frontières face aux rébellions «basées» en République Démocratique du Congo (RDC), les armées de l’Ouganda et du Rwanda, soutenues par celle du Burundi, envahissent l’Est du pays. Elles s’appuient sur des alliés locaux: une opposition politico-militaire composée d’anti-mobutistes déçus par le régime de L.-D. Kabila et de mobutistes, jusque-ici exilés, réunis dans le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD). A ce secteur va se joindre le Mouvement pour la Libération du Congo (MLC), ainsi qu’une prolifération, par fractionnements successifs, de groupes politico-miltaires parrainés par le Rwanda et l’Ouganda. Ce front hétéroclite mènera une guerre ininterrompue, pendant cinq ans, aux armées congolaises, soutenues par l’Angola, le Zimbabwe, la Namibie, ainsi que par différents groupes politico-militaires6. En réalité, l’Est du Congo a été morcelé en fiefs qui recrutent leurs milices aussi bien sur des bases ethniques que multi-ethniques. Des factions du même camp peuvent ainsi se trouver en guerre pour l’hégémonie.


Le Coltan, minerai dangereux ou cadeau du Père-Noël?

Le Coltan (colombo-tantale) sert à produire le tantale, dont le pantoxide résiste extrêmement bien à la chaleur et à la corrosion. Il est utilisé dans les outils de précision, les avions et l’armement, mais surtout dans les condensateurs de la filière micro-électronique, en particulier pour les jeux vidéos et les téléphones portables. Les plus gros producteurs sont le Brésil, l’Australie et le Canada. Pourtant, la pression de la demande est devenue si forte sur le marché mondial, que celui-ci s’est tourné de plus en plus vers le Congo, malgré la guerre, suscitant des filières d’exportation clandestines vers l’Europe et l’Asie.


Le minerai de coltan contient de l’uranium. Au Congo, ses conditions d’exploitation sont primitives et les éboulements mortels fréquents. Lors de son extraction, des déchets radioactifs sont inhalés par les mineurs, avant d’être rejetés dans les rivières… Le parc national du pays a été investi par les chercheurs de coltan, ce qui a conduit à l’élimination d’une grande partie de ses gorilles, éléphants et okapis. Pourtant, à Noël 2002, Sony n’a pas été en mesure de produire sa «Play Station 2» en séries suffisantes, faute de tantale, suscitant la colère des consommateurs/trices.

(jb)


Un nouveau cycle de violences ethniques, plus meurtrières, a donc commencé avec l’invasion des armées rwandaise et ougandaise et les expropriations foncières qui en ont résulté, aux dépens des Lendu. Rappelons que les Tutsi (Rwanda) et les Hima (Ouganda), qui dominent ces appareils militaires, sont «apparentés» aux Hema. Et pour couronner le tout, le chef d’Etat-major général de l’armée ougandaise, James Kazini, a annoncé que le district de l’Ituri allait devenir une entité autonome, détachée de la Province Orientale de la RDC, sous domination hema, préparant peut-être l’annexion pure et simple de l’Ituri à l’Ouganda.


Pourtant, comme nous allons le voir, c’est dans un contexte travaillé par le conflit de puissants intérêts économiques locaux et internationaux, qu’il convient de comprendre l’intervention permanente, particulièrement cruelle, des «milices ethniques».

Victimes ethniques et enjeux capitalistes

Comme dans tout l’Est du Congo, les massacres en Ituri ont été rythmés par les rapports croisés des différents protagonistes de tous bords, articulés à de gros intérêts économiques. Véritable enjeu: le pillage des richesses naturelles du pays – argent, cobalt, colombo-tantale, cuivre, diamant, étain, fer, or, uranium, zinc, etc. – dont l’exploitation a été pendant longtemps le privilège des oligarques de Kinshasa7.


Liés par leur anti-mobutisme, L.-D. Kabila, P. Kagame (Prés. du Rwanda) et Y. Museveni (Prés. de l’Ouganda) l’étaient aussi par des affaires communes: ils étaient co-propriétaires – dès les premières conquêtes des zones minières, en 1996-97 – d’entreprises financières et commerciales promises à un bel avenir. Avec la prise du pouvoir à Kinshasa, ils s’assuraient le contrôle exclusif des immenses richesses naturelles du Congo, de leur exploitation et de leur exportation. Ce partenariat était garanti par l’assistance militaire ougando-rwandaise au nouveau régime, à laquelle L.-D. Kabila a cependant décidé de mettre fin, en juillet 1998, déclenchant ainsi tentative de putsch à Kinshasa, invasion et rébellion… Les Etats-majors militaires ougandais et rwandais se sont révélés de véritables gangs économico-mafieux, investis dans le trafic des produits miniers, pétroliers et agricoles, des cigarettes, des armes et de la fausse monnaie, des transports aériens, du secteur bancaire et des douanes.


Ainsi, les enquêtes onusiennes ont établi, par exemple, que l’oligarchie militaire rwandaise était propriétaire de Rwanda Metals et contrôlait bon nombre de comptoirs de produits pillés. Elle arrivait ainsi à réaliser un profit d’au moins 15 millions de dollars par mois sur la vente du coltan (voir ci-contre). Dans l’Armée ougandaise, cette oligarchie s’incarnait particulièrement dans deux personnages: le Chef d’Etat-major Général, James Kazini8, principal agent de l’invasion militaire et de la création des formations politico-militaires congolaises, mais aussi patron de Trinity Investment, ainsi que le Général Salim Saleh, frère du président Museveni, souvent considéré comme le symbole du népotisme en Ouganda, patron entre autres du groupe Victoria. Ils agissaient en partenariat avec de vieux experts en la matière: les mobutistes9. Ainsi, derrière les milices ethniques très médiatisées, s’accumulent et se reproduisent d’énormes capitaux.

Intérêts et rivalités impérialistes

Il ne s’agit pourtant pas d’affaires exclusivement africaines. Car, en sous-main, ce sont des multinationales spécialisées dans l’exploitation, la transformation et le commerce des minerais précieux, ainsi que des banques, qui intriguent et sont parmi les principaux bénéficiaires. Il n’ y a pas d’industries de pointe pour utiliser ces matières premières dans la région des Grands Lacs: c’est toujours vers l’Occident et l’Afrique du Sud, voire l’Asie, qu’ils sont exportés. Des entreprises sud-africaines, belges, danoises, allemandes, britanniques, américaines, canadiennes, sont citées par les rapports onusiens. Déjà, la conquête du pouvoir par Kabila s’était accompagnée de concessions d’exploitation minière, par exemple à l’American Minerals Fields Inc. (AMFI)10. Puis, le même Kabila s’était mis à réviser les contrats miniers signés par le régime mobutiste, voire à ne plus respecter ceux négociés par lui, notamment avec l’AMFI, qui avait pourtant participé au financement de son armée avant la prise du pouvoir. Il accumulait ainsi des inimitiés qui ne sont pas étrangères à l’invasion rwando-ougandaise11. Certaines chancelleries, comme celles de l’Allemagne, ont aussi déployé une intense activité12. Quant à la Belgique, qui promettait de collaborer avec l’ONU, tout en émettant des réserves sur certains aspects de son rapport, elle a opté pour la «solidarité nationale»: le sénat de Bruxelles a considéré les preuves de l’implication de 29 entreprises belges dans le pillage de la RDC comme insuffisantes13.


L’efficacité tardive de l’intervention onusienne n’est pas exempte non plus de motivations économiques. En dirigeant la Force Multinationale Intérimaire d’Urgence à Bunia, la France fait de l’humanitaire intéressé. D’abord, elle peut, pour la première fois, se prévaloir d’une bonne image dans l’opinion congolaise, elle qui a toujours été du mauvais côté: mercenaires aux côtés de la sécession katangaise, soutien à Mobutu contre les maquis lumumbistes des années 60, parachutistes à Kolweizi en 1978, collaboration avec les génocidaires du «Hutu Power» rwandais et «mercenaires» contre les troupes de Kabila en 1996-1997. Tardivement, la France peut ainsi améliorer ses relations avec le nouveau régime, profitant des difficultés de celui-ci avec ses premiers alliés14.


La France n’a jamais caché son soutien à Joseph Kabila, fils de Laurent-Désiré, assassiné en janvier 2001, y compris dans ses relations avec les institutions financières internationales. Par ailleurs, vu la baisse de la tension congolo-ougandaise, à la veille de l’intervention française15, et les bonnes relations de Jean-Pierre Mbemba (l’un des deux Vice-présidents) avec le réseau françafricain, les intérêts de Paris dans la région ne seront pas lésés par le gouvernement de «réconciliation nationale». Très présent déjà dans la distribution des hydrocarbures au Congo-Kinshasa, Total n’est pas indifférente non plus aux réserves pétrolières de l’Ituri, déjà prospectées pendant la guerre par la compagnie canadienne Heritage Oil, sous la protection d’une société privée de Salim Saleh.

Instabilité politique et brutalisation néolibérale

Avec la pénible institution d’un gouvernement d’«unité nationale» de transition, la «Communauté nationale» serait arrivée à mettre un terme à cette guerre très meurtrière. Mais, il y a déjà des grincements de dents. L’Union Démocratique pour le Progrès Social (UDPS) d’Etienne Tshisekedi, considérée comme le principal parti de l’opposition non-armée, ne participe pas au gouvernement parce qu’elle n’a pas reçu le poste de Vice-président. Il est à craindre que cette exclusion soit source de tensions à Kinshasa, où elle est bien implanté et dans le Kasaï diamantifère, son principal fief. Le Mouvement National Congolais – Lumumba, dirigé par François Lumumba, fils de Patrice Lumumba, dans l’opposition depuis Mobutu, se considère aussi injustement exclu: il dénonce le choix de critères régionaux ou ethniques, plutôt que de «compétences», dans la constitution du gouvernement. Cependant, le plus à craindre, vu la composition du gouvernement actuel (mouvements et individus), c’est que la paix s’accompagne d’une consolidation de l’orientation néolibérale, parrainée par la «communauté internationale».


Les institutions financières internationales, les Etats capitalistes développés et autres bailleurs de fonds ne cachent pas leur volonté d’ouvrir plus encore le Congo aux intérêts étrangers. Joseph Kabila et ses Vice-présidents ont accumulé assez de richesses pour participer au partage des secteurs réservés aux privés nationaux dans le cadre de l’extension de la privatisation-libéralisation. Ceci ne fera qu’aggraver la misère du peuple congolais. Cependant, il semble qu’il n’y ait aucune véritable alternative à cette coalition gouvernementale. En effet, l’existence d’une Coordination des Forces Nationalistes Révolutionnaires, qui se réclame encore largement de Kabila père16, même si elle dénonce à juste titre les intérêts qui dominent cette «réconciliation nationale», sous la tutelle de la «communauté internationale» – Afrique du Sud comprise – semble ne pas vraiment augurer de la construction d’une force politique populaire et révolutionnaire, porteuse d’un projet social et politique alternatif au néo-colonialisme et au néolibéralisme.


Ainsi, dans les coulisses des massacres «ethniques», règne l’esprit du Capital, dont la barbarie a atteint des sommets en Afrique subsaharienne depuis le commerce triangulaire des XVIIe-XVIIIe siècles. Dans le dernier tiers du XIXe siècle, le Congo est au centre de ses préoccupations: sa richesse minière en fait le sujet principal de la Conférence de Berlin, dite du partage de l’Afrique (1885), qui confirme son appropriation par le roi des Belges, Léopold II, avec le soutien des Etats-Unis d’Amérique. Pour garantir l’exploitation de ce domaine privé, le bon roi conduit un véritable génocide: des millions de morts, des mutilations (mains coupées), des viols, etc. Après quoi, l’indépendance n’arrête pas la saignée du peuple congolais: assassinat de Patrice Lumumba, sécessions du Katanga et du sud-Kasaï, inspirées par la coalition belgo-étasunienne, pouvoir discrétionnaire des entreprises minières, trois décennies de dictature mobutiste, etc. Ainsi, l’invasion ougando-rwandaise et les cinq années de guerre à l’Est ne sont qu’un épisode de plus. Le peuple congolais, déjà paupérisé par le mobutisme, fait à nouveau les frais de conflits entre intérêts impérialistes.


Jean NANGA

  1. La Mission de l’ONU au Congo (MONUC) est particulièrement insignifiante: 7800 hommes, contre 42000 au Kosovo. A noter que le silence du mouvement anti-guerre international explique peut-être la méfiance de certains Africains à son égard.
  2. Marchés Tropicaux et Méditerranéens, n° 2997,18 avril 2003, pp. 821-822.
  3. L’inefficacité de la MONUC et la direction française de la Mission Artémis ont davantage discrédité l’ONU dans ce pays, où elle avait déjà brillé par son inefficacité, quatre décennies auparavant, en n’ayant pu empêcher la destitution et l’assassinat de Patrice Lumumba. Ce dernier étant alors sous la protection, entre autres, des troupes ghanéennes de l’ONU. L’échec de l’ONU avait été symbolisée par la mort «accidentelle», au-dessus de la Zambie, de son Secrétaire Général, Dag Hammarskjöld, de retour du Congo en 1961.
  4. En Ouganda, il n’existe pas encore de multipartisme mais des élections au cours desquelles les candidats du parti unique au pouvoir sont confrontés à des chalangers sans formation politique.
  5. La guerre angolaise a pris fin au lendemain de la mort du chef de l’UNITA (Union pour l’Indépendance Totale de l’Angola), Jonas Savimbi, en février 2002. Elle avait commencé après les élections de 1992, la direction de l’UNITA n’ayant pas accepté les résultats du premier tour des présidentielles, même si elle a conservé une fraction parlementaire à Luanda.
  6. En mai 1997, Mobutu s’exile, à l’arrivée des troupes de l’Alliance des Forces Démocratiques de Libération (AFDL), dirigée par L.-D. Kabila, après près d’un an d’une guerre partie de l’Est. Kabila est un ancien militant lumumbiste, qui a dirigé un maquis après l’assassinat de Lumumba et refusé pendant trois décennies tout compromis avec le régime de Mobutu. Sa victoire militaire est due en grande partie au soutien des armées d’Angola, d’Ouganda, du Rwanda. Après son assassinat, en janvier 2001, son fils Joseph lui succède à la présidence de la RDC.
  7. Les rapports des missions d’enquête de l’ONU confirment l’opinion populaire congolaise: dans les zones sous contrôle gouvernemental, comme dans celles contrôlées par les rebelles et leurs parrains ougandais et rwandais, les entrepreneurs politico-militaires sont aussi des entrepreneurs économiques.
  8. Celui-ci venait d’être relevé de son poste et attendait une comparution devant le tribunal militaire ougandais, suite aux «révélations» des experts de l’ONU. Pendant la période de l’invasion et du pillage du Congo, les rapports de James Kazini et de Salim Saleh, avaient pu parfois déboucher sur une rivalité ouverte, matérialisée par des affrontements entre les milices congolaises sous leur contrôle.
  9. Le principal associé de Kazini n’était autre que le n° 2 du RCD-ML John Tibisima, ex-député et PDG mobutiste de l’Office des mines d’or de Kilo Moto. Le leader du MLC, parrainé par l’Ouganda, Jean-Pierre Mbemba – actuellement l’un des vice-présidents du gouvernement congolais – est de tous les trafics aussi bien en direction de l’Ouganda que de la Centrafrique. C’est un enfant du sérail, fils du chef du patronat zaïrois sous Mobutu, Mbemba Saolona. Celui-ci était devenu par la grâce de l’alchimie patriotique congolaise, ministre du gouvernement de L.-D. Kabila, après avoir été accusé de tous les trafics et malversations possibles par la Conférence Nationale Souveraine (1990-1992), et incarcéré par le régime de Kabila père en 1997. Une réhabilitation qui cache mal la recomposition des alliances affairistes de Kabila. Son ministre Victor Mpoyo est aussi un habitué de certains milieux d’affaires internationaux et maître d’oeuvre des joint venture avec les capitaux zimbabwéens et angolais.
  10. Pierre Baracyetse, L’enjeu géopolitique des sociétés minières internationales en République démocratique du Congo (ex-Zaïre), Buzet (Belgique), décembre 1999. Bonnie Campbell, Les intérêts miniers canadiens et les droits de la personne en Afrique dans le cadre de la mondialisation», Université du Québec à Montréal, CIDPDD, 1999. Jean Nanga, «Les défis du nouveau pouvoir», Inprecor, n°417, octobre 1997.
  11. Parmi les entreprises lésées par Kabila, la Barrick Gold Corporation, 2e producteur mondial d’or (Georges Bush père et Brian Mulroney – ex-premier ministre canadien – sont membres de son conseil d’administration). Elle projette un partenariat avec Caled International, qui appartient à Salim Saleh, frère du président ougandais (cf. Pierre Baracyetse, op. cit.).
  12. Les experts onusiens rapportent que l’Allemagne a soutenu ses entreprises du pyrochlore et du coltan en RDC occupée (Report of the Panel of Experts on the Illegal Exploitation of Natural Resources and Other Forms of Wealth of the Democratic Republic of the Congo, p.23).
  13. Marchés Tropicaux et Méditérranéens, n° 2990, 28 février 2003, p. 461. Dans un article du Courrier International intitulé «Des pillards au pouvoir», il est question «du gouvernement belge, dont plusieurs représentants ont encouragé l’organisme étatique d’assurance-crédit, le DUCROIRE, à accorder sa couverture à un emprunt du groupe Forrest, mis en cause dans le rapport de l’ONU, pour le financement du projet d’exploitation des terrils de Lubumbashi. D’autant que l’ancien secrétaire d’Etat au commerce et actuel président de la chambre des représentants, Pierre Chevalier, ainsi que le chef de cabinet du Ministre de l’emploi, Jean-Claude Marcourt, siègent tous deux dans le conseil d’administration du groupe Forrest, qui rejette comme diffamatoires les accusations portées à son encontre» (12 juin 2003). Dans la province du Katanga, le patron du groupe Forrest – des Belges d’origine australienne établis au Congo – est toujours considéré comme le vice-roi, vu l’étendue de son empire économique.
  14. Sans nourrir d’illusion sur le soudain humanitarisme franco-européen, on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi les Etats-Unis se sont opposés à l’élargissement du mandat des forces de maintien de la paix, demandé par la France et par certains Etats africains, lors de la réunion du Conseil de Sécurité de l’ONU, le jeudi 19 juin 2003.
  15. Que la base arrière de la mission Artemis soit située en Ouganda n’est pas négligeable, vu l’histoire tumultueuse des relations entre la France et l’Ouganda, surtout depuis 1990, avec le début de la guerre entre l’armée rwandaise de Habyarimana, soutenue par Paris, et celle du Front Patriotrique Rwandais, dirigée par Paul Kagame (ex-officier supérieur), venue d’Ouganda et soutenue par le régime de Museveni. En 1997, à Kisangani, les troupes françaises, maquillées en mercenaires, avaient affronté les troupes ougandaises, qui soutenaient celles de Kabila, pour le compte de Mobutu.
  16. Ce front regroupe des kabilistes, des lumumbistes et des mulelistes. Pierre Mulelé a été ministre de l’Education de Lumumba; après une formation militaire en Chine, il a dirigé l’un des maquis lumumbistes des années 60. Replié par la suite au Congo-Brazzaville, il a été naïvement livré à Mobutu par le gouvernement de Brazzaville, qui avait reçu la garantie d’une réconciliation nationale. La Coordination a fait connaître son existence par la diffusion, à plusieurs milliers d’exemplaires, d’un tract signé par 14 organisations, à Kinshasa et dans d’autres villes, le 15 décembre 2002. On y retrouve ainsi le Front des Patriotes Congolais dirigé par Jean-Baptiste Sondji – ancien leader de la jeunesse estudiantine, opposant révolutionnaire kinois à Mobutu, puis ministre de la santé (cardio-chirurgien) de Kabila, démissionné au début de la guerre, ainsi que le PAREMA (le parti des guerriers Maï-Maï) du Général Padiri… A noter que la référence à Kabila, en tant que nationaliste et révolutionnaire, ne peut que susciter le scepticisme sur la radicalité de ce front.