Pour la paix et la justice sociale en Colombie
En 2016, un accord de paix était signé à La Havane entre la guérilla et l’État colombien. De son application dépend le respect de la vie, mais aussi la marche vers la démocratie et la justice sociale en Colombie.

La solidarité internationale est indispensable, comme l’ont expliqué à Genève le sénateur Iván Cepeda, représentant du Pôle Démocratique alternatif et une série d’émissaires de mouvements sociaux et des droits humains, le 15 novembre dernier, dans le cadre d’une journée internationale de la solidarité organisée simultanément à Quito, Montevideo, San José, New York et Genève. Nous reproduisons ici le discours prononcé à cette occasion par notre camarade Jean Batou.
Plus qu’un accord de paix
« L’accord de paix, déposé en Suisse, a une valeur constitutionnelle. Il porte essentiellement sur cinq points :
- la réforme agraire et la récupération des terres spoliées ;
- la démocratie politique et la participation citoyenne ;
- la lutte contre les trafics illégaux de stupéfiants en garantissant des cultures de substitution qui permettent aux paysan·ne·s de vivre de leur travail ;
- la mise en place d’une justice transitionnelle garantissant la vérité, la justice, la réparation et la non répétition des crimes commis ;
- l’arrêt du conflit armé et la démobilisation des combattant·e·s.
Cet accord a été jusqu’ici respecté par les FARC qui, de Forces armées révolutionnaires de Colombie sont devenues au civil la Force alternative révolutionnaire commune, sous la direction de Rodrigo Londoño (alias Timochenko), qui tiennent même souvent sur l’armée et sur la police des propos moins critiques que les ONG ou les observateurs·trices étrangers·ères, provoquant parfois l’incrédulité d’une partie des anciens combattant·e·s…
Un gouvernement belliciste
Pourtant, ces mêmes accords souffrent d’un « non respect frappant du gouvernement actuel » d’Ivan Duque, successeur politique d’Álvaro Uribe (cf. Beat Wehrle, Forum, RTS, 31 août 2019). Le parti au pouvoir mène en effet une campagne d’opinion contre cet accord, tandis que les puissances impérialistes, l’oligarchie colombienne et l’appareil d’État divergent quant à son application.
Selon le Kroc Institute for Peace Studies de l’Université Notre-Dame, dans l’Indiana (USA), les clauses de cet accord ne sont appliquées qu’entre 0 et 17 %, selon les sujets (4 % pour ce qui est de la réforme agraire). Plus concrètement :
- des groupes paramilitaires toujours opérationnels sont encore de pures émanations de l’État, comme Águilas Negras ;
- des territoires évacués par les FARC ont été investis par des bandes criminelles ;
- la Juridiction spéciale pour la paix a vu son budget diminuer de 28 % en 2019 ;
- les assassinats de leaders sociaux (environ 800) et d’ex-combattant·e·s (environ 150) se poursuivent depuis le paraphage des accords.
Dans ce contexte, une minorité de la guérilla (1500 à 2000 personnes), sous l’impulsion de son dirigeant en second, Iván Marquez, ont repris le maquis, en août dernier. Il faut dire que le souvenir de l’expérience de l’Unión Patriótica est toujours vivant. Dans les années 1980, lorsque la guérilla était pour la première fois sortie de la forêt pour s’engager dans le combat politique à visage découvert, des milliers de ses combattant·e·s et de leaders civils avaient assassiné·e·s.
Division de l’oligarchie et mobilisation populaire
La paix commence évidemment par le respect et l’application de l’Accord. C’est pourquoi, nous devons insister pour que le Plan de coopération 2017–2020 de la Suisse avec la Colombie soit prorogé et renforcé, et qu’il se centre de façon plus déterminante sur le respect des droits humains, la défense de la démocratie et de la participation citoyenne, la restitution des terres spoliées et les prérogatives des communautés rurales.
Sur le plan électoral, l’échec du parti de l’oligarchie belliciste aux élections municipales et régionales du 27 octobre dernier est un signe qui ne trompe pas : il a été défait dans ses fiefs de Medellin ou de la côte Caraïbe, mais aussi à Cali et à Bogotá, avec l’élection de Claudia López, du parti des Verts. Pour autant, seule une mobilisation populaire de masse du peuple colombien peut garantir le droit à la vie et les transformations économiques, sociales et politiques nécessaires à l’instauration de la justice sociale et de la paix. »
Depuis lors, l’énorme mobilisation populaire du 21 novembre 2019, avec un demi-million de personnes dans les rues de Colombie, a dépassé toutes nos espérances. Le combat pour la démocratie et la justice sociale a fait un nouveau pas en avant, même si le combat s’annonce encore rude.
Jean Batou