#MeToo secoue la RTS

Le 31 octobre, Le Temps publiait un article faisant état de nombreux cas de harcèlement sexuel au sein de la Radio-Télévision Suisse. Ces révélations font l’effet d’une bombe, tant par la gravité des actes rapportés que par leur nombre et la durée sur laquelle ils se sont produits.

Action féministe devant la RTS, Lausanne, 2 novembre 2020
Action devant la RTS, Lausanne, 2 novembre 2020

La loi du silence et la protection des harceleurs

Trois collaborateurs sont ainsi pointés du doigt, dont Darius Rochebin, présentateur star de la chaîne pendant plus de 20 ans, jusqu’à son départ pour la chaîne française LCI à la rentrée 2020. On prend connaissance de nombreux cas de harcèlement et agressions sexuelles, parfois dénoncés à la hiérarchie, sans effet.

Les journalistes évoquent le cas de « Robert », dénoncé à la hiérarchie pour mobbing et harcèlement sexuel au milieu des années 2010 et promu dans un « placard doré ». De nombreux·ses employé·e·s témoignent du manque de réactivité des supérieurs face à des plaintes pour agressions ou harcèlement. Ils·elles dénoncent une forme de culture du silence et de l’impunité. Les victimes sont invitées à se taire et les agresseurs prospèrent.

Violence machiste, offensive féministe et organisation des travailleur·euse·s

La publication de l’article entraîne des réactions fortes sur les réseaux sociaux et dans la presse. Rapidement, le collectif de la grève féministe interne à la RTS s’organise pour exiger de la direction des mesures conséquentes. Les employé·e·s sont soutenu·e·s par différents collectifs locaux de la grève, qui publient le jour-même un communiqué de presse de soutien et un appel à briser le silence avec le hashtag #BalancetaRTS.

Les jours qui suivent, des actions de soutien ont également lieu devant les sièges de la RTS dans les villes de Lausanne, Genève et Fribourg. De nombreux témoignages sont partagés sur les pages Facebook et Instagram de la Grève féministe, auxquels s’ajoutent ceux qui sont publiés dans Le Matin Dimanche du 8 novembre dernier. Ils confirment tous le profond dysfonctionnement du service et le climat toxique qui y règne bien souvent.

Un dysfonctionnement également mis en avant et dénoncé par le Syndicat suisse des mass media (SSM) dans une communication du 31 octobre. Le syndicat s’étonne de la réaction de la direction de la RTS qui a, immédiatement après la parution de l’article, assuré traiter chaque cas de harcèlement porté à ses oreilles avec « diligence et fermeté ». Le syndicat indique avoir communiqué par le passé à la direction sa désapprobation quant à la gestion du cas de « Robert ».

En parallèle, des salarié·e·s de la RTS, révolté·e·s par les réponses en demi-teinte et le manque de responsabilisation de la part de leur hiérarchie, vont exiger, dans un mail interne signé par quelque 700 collaborateur·rice·s, la mise sur pied d’une commission d’expert·e·s mixte composée de trois personnes : une proposée par la RTS, une par le collectif RTS de la grève féministe et une négociée par la SSR et le collectif de la grève féministe.

Cette commission aura la charge de réaliser différentes enquêtes sur les faits dénoncés et la gestion de ceux-ci par Gilles Marchand et Pascal Crittin, respectivement directeur général de la SSR et directeur de la RTS, et par les ressources humaines. Dans l’attente des résultats, les employé·e·s demandent la suspension des deux cadres incriminés.

Pour un service public sans oppressions et violences sexistes

Soyons clair, la RTS, comme toute institution enracinée dans notre société patriarcale, est traversée par des dynamiques d’oppression à l’encontre des femmes et des personnes LGBTIQ+, potentiellement combinées au racisme et au classisme. La privatisation du peu de service public qu’il nous reste en Suisse, comme cela a été demandé par des voix minoritaires à la suite des révélations du Temps, n’est pas la solution.

Celle-ci réside dans l’auto-organisation des travailleur·euses pour obtenir une inversion du rapport de force et obliger les employeurs à prendre leurs responsabilités face à des cas de harcèlement. Elle réside dans la solidarité féministe pour toutes les victimes d’agressions sexuelles et dans l’exigence collective de la fin du régime du silence et de la honte. La création de commissions du personnel sur les lieux de travail, dont les élu·e·s seraient à l’abri du licenciement, favoriserait un tel horizon.

En attendant, à la RTS, nous devons exiger la protection de tou·te·s les salarié·e·s qui témoigneront durant cette enquête.

La mobilisation des employé·e·s du service et le soutien qu’elles·ils ont reçu des différents collectifs féministes de Suisse romande sont exemplaires. Preuve que la lutte paie, la direction a annoncé depuis la suspension des cadres incriminés jusqu’à l’aboutissement d’une enquête interne. Darius Rochebin, de son côté, est absent du plateau de LCI depuis le 31 octobre.

Noémie Rentsch