Sergent Garcia sème son envie de révolution

Sergent Garcia sème son envie de révolution

Après la sortie en septembre dernier de Semillia Escondida, son quatrième album, Sergent Garcia est parti en tournée européenne avec son Sound System. Les deux soirées prévues en Suisse se sont déroulées à guichet fermé. Au lendemain de son concert à Bulle et deux heures avant son concert à Genève, nous avons rencontré le malicieux sergent, histoire de discuter autour d’une plaque de chocolat suisse au label Max Havelaar…

Tu as enregistré ton quatrième album, la Semilla Escondida, entre la Jamaïque, Cuba et Paris. Peux-tu nous dire deux mots sur l’apport des Caraïbes à ce CD?

C’était déjà une certaine expérience d’aller enregistrer avec les musiciens jamaïquains et cubains qui m’inspirent, c’était une grande joie. J’avais envie d’aller voir cette fusion que je fais ici, là-bas, avec les musiciens locaux. C’est ça qui m’intéressait au départ, vraiment travailler ce métissage musical entre salsa et raggamuffin directement aux Caraïbes.

Ta musique est festive et tes textes sont assez engagés, avec une bonne dose d’humour. Ça fait un peu penser au style du sous-commandant Marcos. Quelle est ta philosophie d’écriture?

La comparaison me fait plaisir. Je pense que de toute façon il y a une absurdité dans la vie et on ne peut pas changer les choses si on n’a pas en soi une joie de les changer, une force positive pour bouleverser le cours des choses. Cette force positive, je la trouve dans la musique, et justement dans une façon de dénoncer l’ordre établi avec légèreté, parce que, quelque part, mon pouvoir il s’arrête quand même au fait que je suis juste un artiste et que je ne suis pas en au cœur de la bataille…

Oui, enfin, tu es quand même un artiste engagé…

Oui, mais si tu veux, ce n’est pas parce que je chante «Stop da War» que la guerre elle s’est arrêtée…

Justement, «Stop da War», c’est un morceau qui était diffusé en boucle dans les manifs contre la guerre en février..

C’est là où je veux en venir, ma philosophie, c’est de semer des graines, la Semilla Escondida, c’est ça, de semer des graines qui vont être ensuite reprises par d’autre gens, qui vont faire que certaines personnes vont penser à certains problèmes dont j’ai parlé. Mais je ne vais pas en parler de manière pleurnicharde, c’est peut-être aussi une question de caractère.

Tu as joué un concert au dernier FSE, tu as lancé ton album en région parisienne avec une campagne sur le café du commerce équitable, tu étais à l’affiche d’un concert pour le Tibet, tu as diffusé librement «Stop da War», qu’on a entendu dans toutes les manifs contre la guerre. Tu portes quel regard sur l’essor du mouvement altermondialiste?

Le regard que je porte, c’est d’abord un constat: il y a maintenant des gens qui se bougent pour réfléchir à une autre manière de vivre. Alors, là dedans, il y a beaucoup de gens différents, mais c’est une fusion intéressante. Je crois qu’on est aujourd’hui à la charnière d’une nouvelle époque où il y a des gens qui s’investissent et que leur luttes sont assez internationales et c’est ça qui me semble réellement novateur. On retrouve des gens dans beaucoup de pays qui se bougent sur des projets assez concrets et qui, finalement, d’une autre manière, comme moi avec mes chansons je peux faire un certain travail, eux font aussi un travail, au jour le jour, dans des associations d’entraide, de solidarité, de réflexion. Alors mon regard sur ce mouvement, il est vraiment positif. Maintenant, c’est vrai aussi que c’est un mouvement qui vient de naître, mais il est assez intéressant, dans le sens où il fait aujourd’hui malgré tout réfléchir les politiciens qui avant n’écoutaient personne. Là, il se disent «attention, il y a danger», parce que c’est devenu un réel mouvement.

Tu es de ceux qui pensent qu’il faut changer le monde et ce mouvement qui prend de l’ampleur est en ce sens réjouissant, mais n’es-tu pas d’abord attaché aux changements individuels, aux révolutions personnelles de chacune et de chacun dans leur vies quotidiennes?

En fait, je crois aux deux. On a vu l’échec d’un certain système communiste et on assiste aujourd’hui à l’échec du système capitaliste. Quand le mur de Berlin est tombé, tout le monde criait à la victoire, moi je me suis dit: «c’est vrai que pour certaines choses c’est plus libre, mais c’est pas du tout ça qui va faire que le monde va changer». Je pense que le monde doit être changé, mais il me semble, qu’aujourd’hui, on n’a pas les idées assez révolutionnaires pour changer vraiment le monde. Parce que même les partis révolutionnaires, en définitive, proposent trop souvent un schéma axé sur le travail, très occidental finalement et assez archaïque à mon avis, voir nationaliste, même si parfois ils l’expriment au niveau européen. Je trouve que ça reste assez «petit» comme vision du monde. Moi j’attends des gens qu’ils me parlent de choses beaucoup plus ouvertes sur la planète entière, sur la place du Tiers-Monde, sur celle des peuples ou des cultures, sur le but de la vie, sur l’éducation et sur beaucoup d’autre choses encore avec un angle de vue et de réflexion plus large.

Mais en faisant ton clin d’œil à Max Havelaar lors du lancement de la Semilla Escondida, tu mets en lumière l’importance des prises de conscience individuelles, au jour le jour…

Max Havelaar, c’est des gens qui font, je trouve, un super bon boulot. Je pense que ce qui nous arrive actuellement est la conséquence de ce qui a été fait ou décidé il y a trente ans. Donc, aujourd’hui, il faut penser avec anticipation et finalement, tous les rêves qu’on peut avoir de société plus juste, plus égalitaire, de répartition des richesses, on ne le verra peut-être pas nous mêmes. C’est clair, parce que c’est un travail qui se fera à super long terme pour changer le pouvoir, pour le retirer des mains de ceux qui l’ont et le partager surtout. Mais en même temps, on ne peut pas se dire qu’il faut baisser les bras, donc il faut continuer à avancer dans des luttes concrètes, qui font que ces luttes-là donnent naissance à d’autre choses et que ces autre choses aussi donnent naissance à d’autre choses. Et c’est ça qui fait que le monde, peu à peu, évolue.

Tu as participé au dernier album de Michael Franti1, comment ça s’est passé?

Je le connaissais par son travail depuis les Beatnik, ensuite avec Disposable Heroes que j’ai vraiment bien aimé, et maintenant encore avec Spearhead. On s’est rencontré à un festival en Hollande, il a vu le concert de Garcia et il est venu me dire qu’il l’avait beaucoup aimé. On est resté en contact et il m’a invité à chanter sur son dernier album, donc je suis allé à San Fransisco. Il m’avait envoyé deux morceaux sur lesquels j’avais commencé à bosser et en arrivant, dans la voiture, en revenant de l’aéroport, on parlait de choses et d’autre et je lui ai dit «ah ben tiens, j’ai un disque de champeta criolla», c’est de la musique de la côte caraïbe de Colombie, avec des mélanges de rumba africaine et musiques latines, salsa, reggae. Il a complètement flashé sur le morceau et il m’a dit «ah, mais c’est ça qu’il faut qu’on face, il faut qu’on face un morceau de champeta criolla». On est donc parti sur ce morceau-là et on a fait «Taxi radio».

C’est vrai que quand on écoute le dernier disque de Franti, on sent cette même idée de métissage musical que tu développes dans ton travail, cette idée de ne pas rester cloisonné dans un seul style musical. Finalement, ton message d’ouverture passe autant par tes paroles que par ta musique?

Exactement, c’est pour ça que ça ne me dérange pas de chanter en espagnol, parce que je pense qu’il y a déjà un message qui passe à travers ma musique. Le fait de mélanger les rythmiques africaines, les mélodies occidentales et espagnoles, les riddim jamaïquains, ça fait partie du message, d’une conception de la vie. J’ai grandi dans toutes ces ambiances-là et finalement je ne vois pas pourquoi j’en éliminerais une au profit des autres. Ça veut dire aussi qu’aujourd’hui, justement, le monde a changé et il faut qu’on réfléchisse à la manière de faire la ville de demain. Il y a deux manières de voir qui s’opposent aujourd’hui. Le communautarisme, où on met chaque communauté dans des quartiers différents, sans surtout qu’elles aient des contacts entre elles, gardant leurs traditions, mais chacune chez soi. Ça, à mon avis, ça nous amène vers une société à l’américaine, vers une société ultra violente, où les gens ne se connaissent pas et ne communiquent pas entre eux, une société de ghettos.


L’autre façon de voir les choses, c’est de réfléchir à une intégration intelligente, c’est-à-dire sans effacer l’origine des gens, mais au contraire en s’enrichissant de leurs cultures, de leurs savoirs et de leurs connaissances. Il s’agit en fin de compte d’avoir une vraie démarche internationaliste dans le fait de l’immigration. Et puis, il y a toute une politique à avoir vis-à-vis du Tiers-Monde, vis-à-vis de la dette, vis-à-vis des richesses naturelles, vis-à-vis de la propriété de la terre, qui ne veut pas dire grand chose finalement, qui devrait être classée patrimoine de l’humanité. On devrait retourner un peu en arrière, voir ce que pensaient les Indiens d’Amérique de la nature, voir ce que pensaient les Africains de la conception d’une ville, il y a plein de choses que l’on doit apprendre des autres.

Micheal Franti, comme Ani DiFranco ou d’autres artistes états-uniens, sont fortement engagés politiquement et, le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas toujours très facile pour eux. Qu’en est-il ici, en Europe?

La situation d’un artiste en Europe, est celle de quelqu’un qui peut s’exprimer assez librement, mais qui n’est pas très médiatisé, donc finalement, le danger est qu’il ne parle qu’à des gens qui pensent comme lui… Moi, j’arrive à y échapper un tout petit peu, parce qu’il y a des gens qui m’écoutent par rapport à ma musique aussi et pas seulement par rapport à mes paroles. La première fois qu’un morceau à moi a décollé un peu dans les hits, c’était «Acabar Mal», qui est vraiment un texte super dur sur la société, qui est peut être une des chansons les plus dures que j’ai faite. Il y a plein de gens qui ont découvert Sergent Garcia grâce à ce morceau-là, mais grâce au fait que les gens ne comprenaient pas les paroles et qu’ils ont pu le passer. Donc c’est assez rigolo comme pied de nez. Des artistes comme Michael Franti, c’est un peu la même chose. Aux Etats-Unis, ils peuvent faire des disques, ils peuvent s’exprimer, mais on ne leur donne surtout pas trop la parole…

En France, la situation des intermittents a posé un certain nombre de bonnes questions sur la place des artistes, et donc de l’art, dans nos sociétés de plus en plus matérialistes et productivistes. Comment gères-tu ta situation d’artiste à la fois fortement impliqué dans les mouvements alternatifs, et en même temps sous contrat dans une grande maison de disque?

Ecoute, c’est un peu ce que je te disais tout à l’heure. On ne peut pas tout changer d’un seul coup, en tout les cas, pas aujourd’hui, je crois. Il y a un proverbe arabe qui dit: «Si tu ne peux pas casser la porte de Babylone, trouve celui qui a les clés.» Et c’est un peu la politique que j’ai décidé d’adopter. C’est-à-dire que je pense que mon message aujourd’hui passe mieux en faisant des disques, en menant les actions que je mène. Si je dois parfois faire quelque concessions, je suis prêt à les faire, parce que je pense que ça sert à mon message, mais j’ai mes limites! Je garde ma liberté d’aller parler avec qui je veux, quand je veux, où je veux et de faire les disques que j’ai envie de faire, sans que personne ne vienne me dire «ça il ne faut pas le dire» ou «ça il ne faut pas le faire».

Un dernier mot?

Il est terrible ce chocolat!


Entretien réalisé par Erik GROBET

  1. Michael Franti, Everyone deserves music, voir: «Se taire est impossible et c’est tant mieux», solidaritéS n°30, 2 juillet 2003.