Islamophobie non dissimulée
Les citoyen·ne·s suisses voteront en mars 2021 sur l’initiative populaire islamophobe « Oui à l’interdiction de se dissimuler le visage ». L’objectif principal est une nouvelle campagne de stigmatisation contre les populations musulmanes.
Déposée en 2017 par le comité d’Egerkingen (déjà à l’origine de la votation « Contre la construction de minarets » en 2008), cette initiative est soutenue par l’UDC et par une majorité du groupe du centre (PDC, PBD et PEV). Elle prend sa source dans l’initiative tessinoise « Interdiction de la dissimulation du visage dans les lieux publics », initiée par le mouvement « Trouble-fête » avec le soutien de la Lega et de l’UDC, et acceptée par plus de 65 % des suffrages en septembre 2013.
Le racisme en campagne permanente
Le texte d’initiative a délibérément évité toute référence au voile intégral musulman. Mais ne nous y trompons pas, la burqa est l’objet principal d’accusation du comité d’Egerkingen et de ses soutiens, l’initiative ayant pour corollaire la discrimination envers les musulman·e·s plus généralement. Les visuels de campagne des initiant·e·s sont d’ailleurs limpides, puisqu’on y voit une image d’une femme en burqa, estampillée « stop à l’extrémisme ».
Cette votation s’inscrit dans une campagne continuelle et toujours plus stigmatisante contre les personnes non blanches, mais aussi contre les personnes musulmanes. L’UDC veut continuer à promouvoir et renforcer un discours xénophobe et islamophobe tout en maintenant une orientation néolibérale économique et destructrice sur le plan écologique.
L’égalité instrumentalisée
L’UDC et ses partisan·e·s ne cessent également d’instrumentaliser la question de l’émancipation des femmes dans leurs campagnes contre les étranger·ère·s et les populations musulmanes en particulier. Lors de la journée historique de la Grève féministe du 14 juin 2019, l’UDC romande, qui bien sûr ne la soutenait pas, avait organisé un repas de soutien pour une fondation anti-avortement (Aide suisse pour la mère et l’enfant). Pas surprenant de la part d’un parti qui avait soutenu l’initiative populaire « Financer l’avortement est une affaire privée », laquelle proposait d’exclure l’interruption volontaire de grossesse des prestations remboursées par l’assurance maladie (LAMal), refusée en votation en février 2014. L’UDC est au contraire un ennemi historique des avancées des droits des femmes.
D’autres voix se revendiquant « de gauche et féministes » soutiennent également l’initiative au nom de l’égalité, en déclarant que « le voile intégral n’est rien d’autre qu’une prison mobile réservée aux femmes ». Leur argument paternaliste – « nous n’avons jamais considéré le fait que certains individus acceptent ou même adhèrent à la discrimination dont ils sont victimes comme une raison d’arrêter de combattre cette même discrimination » – nie l’agentivité des femmes portant la burqa et ignore que cette initiative ne fera au contraire que renforcer les discriminations auxquelles elles sont déjà soumises.
L’autodétermination versus l’État patriarcal
De telles orientations politiques sont en porte-à-faux avec toute idée d’autodétermination des femmes par elles-mêmes, en jetant l’anathème sur les femmes portant la burqa, en parlant en leur nom et en les déclarant automatiquement oppressées sans leur donner la parole ou même les écouter. De plus, l’utilisation de l’appareil répressif de l’État n’est jamais un véhicule d’émancipation. Les femmes de confession musulmane, déjà suffisamment discriminées et sujettes à des stéréotypes ayant un impact considérable sur la réalisation de leurs droits, n’ont pas besoin que l’on décide à leur place.
Il est à signaler que l’organisation Terre des Femmes (TdF), qui s’engage en faveur de l’égalité des sexes et combat les violences liées au genre, s’est prononcée sans ambiguïté contre une interdiction de la burqa, de même que la section suisse d’Amnesty International. TdF la qualifie d’« hypocrite » : revendiquer une interdiction de la burqa au nom de l’égalité n’est autre qu’une « instrumentalisation raciste ».
Le Comité des droits de l’homme de l’ONU a d’ailleurs estimé en 2018 que la loi française sur l’interdiction de la burqa portait une atteinte disproportionnée à la liberté religieuse et constituait en même temps une « une forme de discrimination croisée basée sur le sexe et la religion ».
Voter en faveur d’une initiative qui ne fera que renforcer une forme de discrimination au nom de la lutte contre les discriminations faites aux femmes est un non-sens politique. Le voile et la burqa, imposées ou retirées par la force (par un État et/ou un individu), sont des actes réactionnaires qui vont à l’encontre de tout soutien à l’autodétermination des femmes.
Paola Salwan Daher & Joseph Daher