Nouvelle réglementation des loyers: le bail des vampires

Nouvelle réglementation des loyers: le bail des vampires

Vous avez aimé les primes d’assurance-maladie et leur ascension pérpétuelle? Vous allez adorer le nouveau droit du bail et ses loyers en hausse incessante! Entretien avec Valérie Garbani, conseillère nationale socialiste et secrétaire générale de l’ASLOCA, Fédération romande. (réd)

Bombe à retardement pour les locataires, rackett des milieux immobiliers, les qualificatifs ne manquent pas pour désigner le nouveau droit du bail. Quels sont les mécanismes principaux de cette machine infernale?

Présenté comme le contre-projet indirect à l’initiative de l’ASLOCA «pour des loyers loyaux» rejetée en votation populaire en mai 2003, ce nouveau droit du bail répond en vérité aux revendications du lobby immobilier qui plaide, depuis 1992, en faveur d’une libéralisation.

Le découplage du lien entre loyer et taux hypothécaire invoqué par ses partisans comme étant un avantage pour les locataires cache en vérité des péjorations catastrophiques pour ces derniers. L’objectif réel de cette révision est d’élargir et de simplifier très notablement les possibilités pour les bailleurs d’adapter l’ensemble des loyers aux plus chers, soit aux loyers du marché.

A chaque changement de locataire, les loyers pourront massivement augmenter. Pour déterminer au début du bail si un loyer est abusif ou non, on ne se basera plus sur le rendement qu’en tire le bailleur mais sur la base des «loyers comparatifs». Ils seront fournis par une banque informatique de données dans laquelle seront essentiellement répertoriés les loyers les plus chers auxquels pourra encore être ajoutée une marge supplémentaire de 15%.

Si un loyer est inférieur de 10% aux loyers comparatifs, il pourra donc être augmenté de 25% sans que le bailleur n’ait à faire quoi que ce soit!

De plus, chaque année, le bailleur pourra répercuter sur les loyers le 100% du renchérissement moyen des deux dernières années. Il s’agit d’un privilège inacceptable. Ni les salaires, ni les rentes ne suivent intégralement l’indexation. Comme les primes d’assurance-maladie, les loyers augmenteront donc régulièrement. Les locataires ne pourront pas contester ces hausses.

De plus, comme le loyer est intégré à raison de 22% dans le calcul de l’indice suisse des prix à la consommation, toute hausse de loyer fondée sur l’indexation induira la suivante ce qui entraînera un effet de spirale de hausses.

Dans sa documentation, l’Office fédéral du logement admet que sous l’ancien système déjà, les baisses du taux hypothécaire n’étaient pas vraiment répercutées sur les loyers. Qu’adviendrait-il de ces possibilités de baisse sous le nouveau régime?

Effectivement, ce n’est pas le lien entre loyer et taux hypothécaire qui est problématique, mais la non obligation de répercuter automatiquement les baisses sur les loyers. Bon nombre de loyers sont donc aujourd’hui déjà trop élevés. Le nouveau droit prévoit que pour les baux existants, les pendules devront être remises à l’heure (adaptation à la hausse ou à la baisse en fonction du taux applicable lors de l’entrée en vigueur du nouveau droit) avant de pouvoir augmenter les loyers au 100% du renchérissement.

Cependant, par la suite, comme l’indice des prix à la consommation n’est jamais négatif, les locataires n’obtiendront plus de baisses de loyer. La révision prévoit aussi que les locataires pourront déposer, tous les cinq ans, une demande pour contrôler si leur loyer est abusif ou non sur la base des loyers comparatifs.

Toutefois, comme le critère de comparaison sera les loyers les plus élevés encore augmentés de 15%, ici aussi ils ne pourront espérer de baisses, au contraire, ils s’exposeront à des hausses ou des résiliations de bail.

Les médias ont beaucoup parlé de l’opposition des milieux immobiliers romands à ce nouveau droit du bail. Qu’en est-il réellement? Banques, assurances et propriétaires immobiliers seraient-ils moins rapaces de ce côté-ci de la Sarine?

Les milieux immobiliers romands s’opposent également à la révision notamment car ils refusent le recours aux loyers comparatifs. Contrairement à leurs homologues alémaniques, ils sont d’avis que cela conduira non pas à l’élargissement des loyers du marché mais à une étatisation des loyers.

Cela prouve, si besoin est, que le nouveau droit du bail, contrairement aux allégations de ses partisans, souffre d’un manque total de clarté, de sécurité et de transparence et qu’il est encore plus mauvais que le droit actuel.

Il y a actuellement une pénurie grave de logements abordables. Le nouveau droit du bail va sans aucun doute la renforcer. Peut-on déjà prévoir les catégories de la population qui seront le plus touchées en cas d’acceptation?

La révision veut aussi permettre aux bailleurs d’obtenir ce qu’ils obtiennent difficilement aujourd’hui, soit une augmentation massive des loyers des appartements anciens et de ceux occupés depuis longtemps par le même locataire. Les principales victimes seront les personnes âgées et les locataires qui se sont opposés avec succès aux hausses et qui ont obtenu des baisses en fonction de l’évolution du taux hypothécaire.

Avec le nouveau droit, à chaque changement de propriétaire, l’intégralité des loyers de l’immeuble pourra être adaptée au niveau très élevé des loyers comparatifs majorés de 15%, sans que le nouvel acquéreur n’ait à apporter une quelconque amélioration aux objets loués. Cette possibilité aura donc également pour effet d’encourager une nouvelle et désastreuse période de spéculation immobilière.

Ne va-t-on pas assister, si le projet passe, à l’éclosion, dans les villes, de quartiers-ghettos pour les logements à prix abordables ou au rejet de ceux-ci dans les régions périphériques? Cette attaque au pouvoir d’achat des salarié-e-s pourrait aussi avoir des effets sur la géographie sociale et urbaine?

Oui, d’autant que les locataires en place seront moins protégés contre les résiliations de leur bail. Les bailleurs pourront les menacer plus facilement de congés car ils ont aujourd’hui déjà le droit de mettre fin à un contrat de bail pour relouer l’appartement plus cher à un autre locataire à condition que le nouveau loyer ne soit pas abusif. Comme le caractère de l’abus sera les loyers les plus élevés + 15%, pour éviter de devoir quitter son logement, le locataire devra accepter une hausse massive de son loyer.

Le loyer correspond déjà à une charge très importante de 29% pour un revenu de Frs. 2500.- par mois et de 26% pour un revenu de Frs. 4000.- par mois. Une hausse généralisée et constante des loyers réduira encore davantage le pouvoir d’achat des plus modestes ce qui aura des effets négatifs pour la relance de l’économie, soit pour l’emploi.

Entretien réalisé par Daniel SÜRI