Grève chez Smood
Stop aux abus !
Un nouveau front social s’est ouvert dans quelques villes de Suisse romande. Les conditions de travail et les salaires chez Smood ont été vivement contestés de l’intérieur. Entretien avec un livreur en grève.

Smood est la contraction des mots Smart et Food. C’est une plateforme de livraison de repas. L’entreprise suisse née en 2012 et dont le principal actionnaire est la Migros (qui, on ne le répète jamais assez, engrange 29,9 milliards de chiffre d’affaires pour l’année 2020), engage ses livreurs·euses, contrairement à Uber, mais à quel prix ? Malgré un petit nombre de CDI, la plateforme emploie un grand nombre de livreurs·euses temporaires via l’agence Simple Pay, créée par une ancienne actionnaire de Smood et qui ne connaît qu’un seul client : Smood.
Cela fait maintenant 12 jours que les travailleurs·euses de Smood ont courageusement voté la grève qui a débuté à Yverdon, suivie par Neuchâtel un jour plus tard, puis Nyon, Sion, Lausanne et cela continue. Les grévistes dénoncent les conditions de travail ainsi que le système de l’entreprise qui contribue à l’essor des working poors en Suisse. Jean Charles, gréviste neuchâtelois de 63 ans, gagnant entre 2800 et 3000 francs net pour une moyenne de 43 heures de travail par semaine, répond à nos questions.
Les problèmes dans cette entreprise, comme pour les autres plateformes de livraison de repas, ne sont pas nouveaux. Qu’est-ce qui a mis le feu aux poudres ? Bien que, sur mon contrat, il n’y ait pas de taux d’activité, je pouvais généralement compter sur un 100 %. Avant le mois de septembre 2021, on donnait nos disponibilités pour le mois et les managers nous donnaient nos horaires. Maintenant, nous devons nous inscrire nous-mêmes pour les shifts tous les jours. Ils sortent tous les jours à 4 h 24 du matin et comme c’est premier arrivé premier servi, nous devons mettre un réveil toutes les nuits pour nous connecter. Cela engendre une compétition malsaine entre les livreurs·euses. Et ça devient de plus en plus difficile d’obtenir des shifts de plus de 5 heures par jour. Je dois travailler 7/7 pour réussir à avoir mes 175 heures par mois. Une raison qui nous a fait exploser.
Vous avez d’autres revendications ? Il y a plusieurs problèmes. Par exemple, avant on avait des voitures Smart qui étaient mises à disposition, alors que maintenant on doit utiliser nos véhicules privés, pour un défraiement horaire de 2 francs. Avec ce tarif, on n’entre pas dans nos frais. Notre deuxième outil de travail est le téléphone. On ne nous en fournit pas et zéro défraiement. Quand on a un problème avec l’un ou l’autre, Smood annule nos shifts et pas de salaire. C’est pareil quand on est malade, ils nous enlèvent du tableau pour qu’on n’arrive plus à avoir la preuve qu’on devait travailler et pas de salaire. Quant aux pourboires, ils partent dans une caisse commune et nous sont redistribués en fonction de notre nombre d’heures de travail et d’un algorithme qui calcule notre rapidité et notre disponibilité.
Depuis que vous êtes en grève, quelle est la réaction de la direction et de vos supérieur·e·s direct·e·s ? Pour le moment, c’est une fin de non-recevoir. L’entreprise envoie des casseur·euse·s de grève en nous remplaçant par les livreurs·euses de Simple Pay. À Neuchâtel, on ne voit plus que ça. Maintenant, on attend de voir comment la grève va prendre dans les grandes villes. Si Genève et Zurich annoncent la grève ça fera bouger les choses plus vite. Nous avons été clair·e·s, la seule chose qu’on demande c’est que la direction accepte de s’assoir autour d’une table avec nous et Unia. C’est tout !
Vous faites ce que l’on appelle un travail atypique, des organisations qui se multiplient en Suisse. Quelles sont les particularités et difficultés en général ? Ce qui est le plus déroutant, c’est les difficultés à entrer en contact direct avec notre direction et nos managers quand on a un problème. Nous ne les connaissons pas et ne les voyons jamais sauf pour signer le contrat. Tout se passe online et par WhatsApp, c’est une espèce de management déshumanisé, une direction volatile sans relation directe ni rapport interpersonnel. Alors, l’avantage, c’est de ne pas avoir un·e chef·fe sur notre dos tout le temps mais y a quand même une forme de contrôle, comme je le disais avant, avec les algorithmes ou par exemple si on ne valide pas directement une commande quand elle nous arrive sur le téléphone, parce’on est en train de conduire. Dans ce cas, la centrale à Genève nous appelle pour vérifier !
Comment vous situez-vous vis-à-vis du syndicat Syndicom, qui explique être en train de négocier une CCT avec Smood ? Ben, ce n’est pas compliqué, nous n’avions jamais entendu parler de ce syndicat. C’est quand on en a parlé à Unia qu’on a entendu ce nom pour la première fois.
Propos recueillis par Solenn Ochsner