Procureur contre liberté d'opinion

Procureur contre liberté d´opinion

Pour avoir refusé de communiquer à la police les noms des auteur-e-s d´une lettre de lecteurs/trices, le procureur général Bernard Bertossa menace Le Courrier de poursuites pénales. On se rappelle que le 26 novembre, le quotidien genevois avait publié une prise de position intitulée «L´action directe pour rompre avec le capitalisme», revendiquée par «un groupe d´organisateurs/trices et de participant/es à la manifestation anticapitaliste du 10 novembre 2001» (contre la conférence ministérielle de l´OMC à Doha). Ce texte défendait «l´action directe sous toutes ses formes» comme moyen de «marquer une rupture avec ce système».



Notre bimensuel se sent très directement concerné par ces mesures d´intimidation, dans la mesure où nous avions décidé de publier la même lettre et y avons précisément renoncé parce qu´elle venait de paraître dans Le Courrier. Nous estimons en effet que les opinions défendues par ses auteur/es, même si nous ne les partageons pas, nécessitent un débat

d´idées et une confrontation d´opinions, non des sanctions pénales. Cette discussion est en effet indispensable au développement de l´unité et au renforcement du mouvement contre la mondialisation néolibérale. Nous sommes quant à nous bien décidés à la poursuivre.



«Kleider machen Leute» (les habits font les gens) dit le proverbe allemand. Doit-on dès lors s´étonner du fait que le procureur général du canton de Genève – membre du parti socialiste et auréolé par sa lutte contre la criminalité économique, sur dénonciation du chef de la police, ait pris volontairement l´initiative de poursuivre, au chef de «provocation publique au crime», un groupe de militant-e-s politiques partisan de l´action directe. La question mérite d´être posée, à deux mois des prochaines élections judiciaires.



Au-delà de considérations sur la logique des institutions, ces faits montrent qu´un arsenal légal liberticide existe dans ce pays (cf. rapport de la Suisse du 19 décembre 2001 au comité ad hoc du Conseil de sécurité de l´ONU sur les mesures anti-terroristes). Voudrait-on lui faire donner toute sa mesure, après le 11 septembre, qu´on ne s´y prendrait pas autrement.



On savait que le procureur Bertossa n´aimait pas les squatters, même si sa politique à leur égard, après des débuts scabreux, s´est inscrite dans la continuité relativement peu interventionniste de son prédecesseur, le radical Bernard Corboz. On sait maintenant qu´il n´aime pas non plus les militant-e-s anticapitalistes. Certes, certains d’entre eux s´en prennent aux deventures des grandes multinationales (bris de vitrines, peintures, affichages…). Mais le fait qu´il se soit laissé aller à comparer les partisans de ce type d´actions avec les propagandistes de l´antisémitisme ou de la pédophilie en dit long sur ses critères de jugement. Il est vrai que le DFJP, dans un rapport de juillet 2001, avait préconisé une action préventive énergique contre «le potentiel de violence résidant sans le mouvement antimondialisation» (cf. solidaritéS 133, ancienne formule, du 14 septembre 2001).



En décidant d´attaquer Le Courrier, à la demande de la police, le procureur Bertossa s´en prend directement au seul quotidien romand indépendant, avec La Liberté. Après que la police ait cuisiné sans succès l´un de ses journalistes, le procureur a sommé son rédacteur en chef de jouer les balances. C´est la liberté de la presse qui est en jeu. Et derrière elle, la liberté d´opinion et les droits démocratiques des adversaires de la mondialisation néolibérale, dans la droite ligne des recommandations du DFJP.



Notre Comité de rédaction tient à exprimer sa sympathie et sa solidarité aux journalistes du Courrier et à son rédacteur en chef et appelle l´ensemble de nos lecteurs/trices à leur exprimer un soutien concret par exemple… en souscrivant un abonnement, si ce n’est pas déjà fait.