Libre opinion: Israël, racisme d'État: repères pour la solidarité

Libre opinion

Israël, racisme d´État

Des repères pour la solidarité


Par Françoise FORT*



Dans le n° 2 de votre journal, Karl Grünberg a présenté sa prise de position comme une contribution «trop courte, mais fondamentale», indispensable à l´ouverture d´un débat…



Difficile, me semble-t-il, d´aligner autant de clichés, de contrevérités éculées, et donc, pour le lecteur, d´en retenir quoi que ce soit dans la perspective d´un débat sérieux. Je voudrais tout de même exprimer l´étonnement que j´éprouve, chaque fois que l´occasion se présente, de lire ce genre de prose, qui met en scène le procès de l´antisémitisme tout à fait hors de propos.

D´une vision anti-sioniste de l´histoire…


Cette réaction découle de l´ignorance de la société israélienne dont fait preuve l´auteur; ignorance, en particulier, de sa capacité à relire sa propre histoire, telle que la restituent les nouveaux historiens depuis dix ans. En effet, les travaux universitaires de Benny Morris, d´Ilan Pappe, de Tom Seguev ont apporté une contribution majeure, et débarrassé le terrain des falsifications négationnistes de l´histoire officielle. Ces historiens ont créé les bases d´une réflexion objective, que les générations nouvelles d´intellectuels israéliens ne remettent plus en cause.



Avant cela, depuis la constitution de l´Etat d´Israël, les analyses du groupe anti-sioniste Matspen, les travaux de Nur Masalha, historien israélien de renom, palestinien d´origine, et particulièrement ceux de Simha Flapa – «Les mythes et réalités de la naissance d´Israël» – avaient, avec l´ensemble du narratif palestinien, mis en évidence le projet politique sioniste, camouflé par l´odyssée pionnière. Puis, en 1968, Nathan Weinstock publiait «Le sionisme contre Israël»; en 1975, Israël Shahak dénonçait «Le racisme de l´Etat d´Israël».



Tous ces ouvrages ont constitué et constituent toujours les références théoriques des militants d´extrême gauche anti-impérialistes, auxquels appartenait Karl Grünberg à l´époque. C´est au nom de cet héritage, que nous pouvons partager, sans nous laisser impressionner par les accusations d´antisémitisme, la déclaration d´Ilan Pappe à ses détracteurs: «Ma position est que l´Etat d´Israël a été créé à l´aide du colonialisme occidental. Israël a déraciné intentionnellement la population palestinienne et a justifié cette action a posteriori par la ‘‘particularité juive’’ consécutive à la shoah (…)»1

…à une solidarité effective


C´est pourtant de cette justification – la particularité juive – que se sert K. Grünberg pour attaquer les initiateurs du tract et, par là même, empêcher de nombreux jeunes qui ont rejoint la manifestation (et sur lesquels plane déjà l´accusation de s´être mobilisés sur un tract «aux relents antisémites») de se donner des repères clairs pour se solidariser avec la lutte que mènent les peuples opprimés pour leurs droits fondamentaux. Droits reconnus par l´ensemble de la communauté internationale.



K. Grünberg sait très bien que nous ne nions en aucun cas l´existence d´Israël (et faut-il rappeler que c´est aussi le cas du peuple palestinien tout entier depuis 1988), mais que nous dénonçons sans compromis une politique qui se fonde sur l´exclusion de l´autre. Sur ce point aussi, nous refusons les falsifications négationnistes des «défenseurs d´Israël».



L´édification du projet sioniste et les souffrances de ses victimes ont été décrites très minutieusement par les historiens palestiniens et israéliens. Il n´est pas nécessaire d´y revenir. L´exclusion et le transfert des autochtones constituaient une pré-condition du projet sioniste. Les pères fondateurs ne l´ont, d´ailleurs, jamais dissimulé. Théodore Herzl, en 1895, écrivait dans son Journal: «Nous devons les [les Palestiniens] exproprier gentiment. Le processus d´expropriation et de déplacement des pauvres doit être accompli à la fois secrètement et avec prudence»2, ou encore Ben Gourion, en 1944: «Le transfert des Arabes est plus facile que tout autre type de transfert. Et il y a des Etats arabes dans la région»3. Ce qui semble donc déranger Karl Grünberg, c´est que l´identité palestinienne demeure encore, 50 ans plus tard, dans la conscience des «transférés»!



L´expulsion par les milices juives, puis le déracinement de 1948-49 (nakba, la catastrophe) se répétera en 1967. Aujourd´hui, la politique de Sharon consiste à mettre un point final au plan Dalet de 1947: donner carte blanche à l´armée pour «judéiser» l´ensemble de la Palestine historique. «Judéiser» les terres par des colonies qui encerclent «stratégiquement» et étouffent les villes palestiniennes par l´installation massive de l´immigration, hier orientale, russe, aujourd´hui argentine, ne suffira pas. Il y faudra les tanks, les F16, les bulldozers, la famine. Comme le câblait le dirigeant militaire Moshe Carmel à tous les commandants en 1948, alors que l´issue de la guerre ne faisait plus aucun doute: «Faites tout ce qui est en votre pouvoir pour nettoyer rapidement et immédiatement tous les éléments hostiles des zones conquises, en accord avec les ordres qui ont été donnés. Il faut aider les habitants à quitter les zones conquises.»4



Les moyens sont les mêmes, seul le vocabulaire a changé: les éléments hostiles sont devenus des terroristes. Lorsque Sharon déclare, au moment de son élection, qu´il s´emploiera à terminer ce qui n´a pu se finir en 1948, la réflexion historique nous enseigne ce que cela veut dire.



Le peuple palestinien a tiré les enseignements de la tragédie de 1948. Et, quelle que soit la sauvagerie avec laquelle Sharon poursuit son projet, il résiste. Dans le combat qu´il mène depuis 1948 pour la reconnaissance de ses droits inaliénables, il compte sur l´engagement de toutes les associations solidaires, de toutes les forces anti-impérialistes.



Karl Grünberg signe sa prise de position comme Secrétaire de «S.O.S-Racisme», nous considérons qu´il détourne ainsi cette association de ses objectifs historiques pour les mettre au service d´Israël, c´est-à-dire au profit d´un Etat qui a institutionnalisé le racisme. Son discours ne constitue pas une surprise pour nous; mais il est grave de disqualifier S.O.S-Racisme à ce point sans lui laisser jamais l´occasion de s´identifier au combat que mènent en Israël des associations comme Ha´Moked, B´Tselem, la Ligue des droits de l´Homme, les militants d´extrême gauche, les Femmes en Noir et bien d´autres.

  1. Journal Haaretz, juin 1994
  2. Alain Gresh, «Israël Palestine – Vérités sur un conflit» Ed. Fayard 2001- p.81
  3. Ibid. p.133
  4. Ibid. p.136