L’expérimentation agricole des Hirondelles

Le collectif des Hirondelles a occupé durant trois semaines le domaine de Pontareuse. Même si les propriétaires ont accepté de leur laisser la petite ferme de 4,5 pièces, la dimension collective du projet n’est plus possible. Retour sur ces moments d’effervescence d’énergie collective et agricole.

Vue du domaine de Pontareuse occupé par le collectif des Hirondelles
Le collectif des Hirondelles cultivent la terre du domaine de Pontareuse
Les Hirondelles

Au matin du samedi 23 mars 2024, un collectif composé de maraicher·es, étudiant·es en quête de sens, d’ingénieur·es déserteur·euses et bien d’autres encore, a occupé le lieu-dit de Pontareuse, à Boudry. Des personnes sont entrées dans la grande maison vide depuis cinq ans, et y ont déployé des banderoles. Peu après, une cinquantaine de personnes se sont lancées dans un grand chantier participatif pour préparer des planches de cultures et monter une serre tunnel sur les terres fertiles du hameau. 

Cette action, soutenue par les Grondements des Terres, avait pour but de créer un espace d’expérimentation agricole, hors des logiques marchandes qui forcent les paysan·nes à rentrer dans des schémas toujours plus productivistes.

Les bâtiments et parcelles concernés appartiennent à la fondation Addiction Neuchâtel – qui y accueillait des personnes en situation d’addiction, en proposant logement et ateliers d’insertion, dont du maraîchage et de la culture de fruits et petits fruits – et étaient utilisés jusqu’en 2017. Depuis lors, les lieux étaient laissés à l’abandon, malgré les appels à projets, et les bâtiments dépérissent.

Les terrains alentour ont été prêtés il y a peu à des agriculteur·ices, mais certaines parcelles, avec quelques blocs de béton ou de ferraille, ne permettent pas une exploitation mécanisée avec tracteur. Ces parcelles se retrouvent donc inutilisées.

En trois semaines d’occupation, c’est un réel apprentissage de vie collective qui s’y est pourtant déroulé, à base d’autogestion, de répartition des tâches, de cuisine pour 70 personnes, de partages de connaissances. Au jardin, des semis de carottes, des patates, des plantons de tomates et bien d’autres ont été plantés. Un atelier greffe et des partages de connaissances sur la taille des arbres ont été organisés. Des espaces de travail ont permis d’accueillir des tables rondes et des conférences sur l’accès à la terre.

Aujourd’hui, les Hirondelles ont accepté de partir, pour se protéger d’une plainte pénale et poursuivre les négociations avec les propriétaires, qui ont toutefois refusé catégoriquement de laisser la grande maison.

En contrepartie, iels acceptent de laisser le collectif — à l’origine composé de 50 personnes dont 20 habitant·es — utiliser le petit appartement de 4,5 pièces de la ferme un peu plus haut sur le site.

Ce refus des propriétaires enterre la dimension collective du projet, qui pourtant était indissociable de l’aspect agricole. Car il ne s’agit pas ici de «faire une coloc avec petit jardin», mais bien de réinventer notre façon de vivre, de cultiver, d’habiter. Et cela ne peut pas se faire sans espaces adaptés aux fourmillements d’énergie qui ont eu lieu pendant ces trois semaines, sans parler de l’incongruité de laisser un bâtiment vide et en parfait état en plein milieu de ce lieu.

La population locale soutient pourtant le projet. Autour de Pontareuse, des liens se sont tissés entre les agriculteur·ices alentour, certain·es voisin·es, et les Hirondelles. Une tribune de soutien a été lancée, et en quelques heures, plus de 80 personnalités publiques, paysan·nes, associations et organisations l’ont signée.

Il est révoltant que ce système légal permette à celleux qui ont plus que les autres de pouvoir laisser abandonner de tels espaces, alors que nombre de personnes ont la motivation de faire vivre ces lieux durant leurs vacances.

Ce cas n’est qu’un exemple illustrant le problème systémique posé par la propriété privée: les propriétaires peuvent légalement laisser des lieux vacants, même si cela crée des inégalités, favorise l’augmentation du prix du foncier, freine des projets d’utilité publique… C’est aussi à cela que s’opposent les Hirondelles. Proposer une autre manière de vivre passe par la création de brèches, par le contournement de lois injustes qui maintiennent les rapports de pouvoir entre dominant·es et dominé·es.

Marc et Johan, collectif des Hirondelles